L'Explorateur

- Debout, Yrëan !
La voix était forte, mais pas agressive, bien que formellement autoritaire…
Le garçon ouvrit ses grands yeux bruns. Avant même de voir quoi que ce soit de distinct, il sentit la pièce dans laquelle il se trouvait, "à l'odeur", pourrait-on dire. Elle ne sentait pas mauvais, pas du tout, elle sentait juste le renfermé. Elle sentait le milieu clos, de béton et de métal.
Ses yeux s'accoutumèrent à la lumière diffuse. Gagné : c'était une espèce de cellule, sans fenêtre, très spartiate. Elle était à l'image de la voix qui l'avait tiré de son sommeil difficile : rude, mais non pas faite pour déplaire.
Le lit était grand, trop grand pour lui. Le décor était réduit au minimum, et avait un petit quelque chose de futuriste.. Peut être le design, allez savoir.
Il se releva en grimaçant, essayant ses petits yeux d'enfant. S'asseyant au bord du lit, il laissa pendre ses deux jambes dans le vide, sans qu'elles puissent toucher le sol.
Tout était d'un vert kaki assez douteux, mais pas incommodant.
Un homme grand, fort et assez vieux se tenait devant lui. Non, il n'était pas grand d'ailleurs, il était immense ! Yrëan se sentait fragile en cet instant, à mi-chemin entre un rêve éveillé et une réalité un brin difficile.
L'homme devait avoir soixante ans, ou soixante-dix ? Mais il était bâti comme un athlète rempli de testostérone. Il n'était pas monstrueux, non, juste très "balaise". L'homme portait une vareuse blanche tirant sur le bleu pâle. Yrëan n'aurait pas su dire s'il ressemblait à un scientifique, un docteur, ou un militaire. Peut être un peu des trois, d'ailleurs.
L'homme avait les cheveux blancs, brossés en arrière, le visage marqué et taillé en angles, ainsi qu'une paire d'yeux impressionnants, car complètement vert. D'un vert émeraude, sans pupille, lançant un regard perçant qui brûlait l'âme, soutenu par un petit sourire en coin et un air vaguement amusé qui aurait pu être aussi effrayant que sympathique.
Yrëan était trop jeune pour se réveiller à côté de gens aussi bizarres…
Ne sachant pas comment réagir, il attendit, son petit corps cachant habilement sa vivacité habituelle.

L'homme tendit une main chaleureuse, et reprit de sa voix de baryton :
- Allez viens, Yrëan.
Le ton était calme et rassurant, Yrëan se leva, et suivit l'homme à petits pas. Celui ci le poussa d'une très légère pression sur le dos, et ouvrit la porte.
Celle-ci coulissa sur elle-même, dans un bruit pneumatique qui était définitivement futuriste, aux yeux d'Yrëan.
Au dehors : un couloir, perpendiculaire. Une longue baie vitrée d'un côté, et les murs de chambres de l'autre. Par la baie vitrée, Yrëan eu l'occasion de s'étouffer pour la première fois de la journée. Il écarquilla les yeux, la bouche pendante : c'était l'espace ! Le vrai, l'intersidéral ! On distinguait par la vitre-hublot une grande planète, en contrebas, auréolée de mille feux incandescents, mauve et azur. Et à côté de cela, le vide noir et constellé de points blancs de l'univers infini !
L'homme lui ferma la bouche d'une petite tape amicale sur le menton, et l'enjoint à continuer de le suivre :
- Avance, petit garçon, la journée qui t'attend n'a pas fini de te surprendre…
- Wouaaa !! Oui m'sieur !
Yrëan trottina à côté du vieil mais puissant homme. Le garçon s'exclama :
- Mais, on est où là ?
- Dans une station dispersive en transit.
- Hein ?! Mais c'est quoi ça ?
- Quelque chose de long et de difficile à t'expliquer pour le moment. Tout ce que tu dois savoir, c'est que tu es un garçon plein d'avenir, et c'est pour cela que nous t'avons récupéré…
- Qui ça, "nous" ?
- Hmm, moi, en fait.
- Vous êtes qui, vous ?
- Vous êtes quoi, serait une meilleure question, petit homme.
- Hm hm ?
- Je suis un Explorateur, tout comme toi.
- Mais… vous êtes très vieux !
- Crois-tu que ça change grand chose ?
Yrëan aperçu alors des reflets métalliques sur l'épaule de l'homme. Quand bien même il était jeune, il savait reconnaître une arme dangereuse quand il en voyait une… Même s'il ne comprenait pas ce que ça pouvait bien être ou comment ça pouvait fonctionner. Il reprit :
- Et, je vais être un héros ?
- Non.
- Oh, fit Yrëan d'un ton déçu.
- Mais tu vas voir des choses que personne ne verra jamais. Tu vas en voir beaucoup… énormement, même, et tu vas en découvrir de nouvelles toute ta vie. Tu te battras pour cela, d'ailleurs, jusqu'à ton dernier souffle, parce que c'est ce que tu es. Tu es un Explorateur.
- Ah…. Ah ? Et un Explorateur de quoi ?
- De tout.
- C'est vague.
- Je n'ai pas d'autres réponses à te fournir pour le moment. Tu vas devoir faire un choix…
Il arrivait au bout du couloir. Devant une grande porte tout aussi lisse et étrange que les autres tout au long du chemin. L'homme appuya sur un bouton sur le côté, et la porte s'ouvrit.
Pour la deuxième fois de la journée, Yrëan fut proprement stupéfait par ce qui s'offrait à ses yeux. Ils étaient sur le seuil d'un gouffre monstrueux, d'où rugissait un vent brûlant et tourbillonnant. C'était comme s'ils se trouvaient au bord d'un avion volant à des centaines de mètres au-dessus du désert. Sauf que ce désert là semblait plein de vie, et de créatures remuantes qu'Yrëan n'arrivaient que mal à distinguer. Des hommes ? Des bêtes ? Des rochers et du sable, à perte de vue, et eux se trouvaient au-dessus d'une sorte de cirque rocailleux, une grande clairière au milieu d'un petit dédale, survivant comme un cratère plat au milieu d'une immensité ambrée. Ca bougeait de partout, là, en bas. Les formes n'étaient pas tellement nombreuses, mais il y en avait pas mal, et aussi loin qu'Yrëan.

Il sentit du mouvement dans son dos, et manqua de chanceler de vertige en détachant sa vue du paysage bombardé par une lumière crue et massive.
Des hommes en armes et en armure venaient se placer derrière lui et l'homme. Ils étaient armés de fusil épais et, sans conteste, agressifs à voir. D'ailleurs, la moue indifférente des soldats laissaient peu de doutes sur le but de leur présence.
- Vous appelez ça un choix ? Dit Yrëan en regardant le vieil homme.
Il dut presque crier pour se faire entendre, tellement le vent devenait violent par moment.
L'homme en vareuse blanche ne le regardait pas, mais restait concentré sur le paysage en contrebas, comme s'il observait quelque chose de précis. Il avait toujours son sourire, mais aussi une certaine moue de retenue qui laissait penser à Yrëan qu'il était un peu soucieux. Le vieil homme cria en retour :
- Ils ne sont pas là pour toi, mais pour ce qui pourrait venir nous voir !
Yrëan eu un frisson, et eut soudain, en plus d'un vertige de plus en plus lancinant, une sourde terreur au creux du ventre.
- Ce qui pourrait venir nous voir ?! Mais quoi donc ?
- A toi de le découvrir ! Lui dit le vieil homme en lui souriant avec entrain.
Puis, alors même que sa phrase se terminait, il poussa Yrëan d'un grand coup dans le dos, par la porte.
Le garçon sentit le sol se dérober sous ses jambes, et entama une chute qu'il n'avait jamais voulu.
Pour la troisième fois en dix minutes, ses yeux et sa bouche s'ouvrirent très grands.

Explorateur, voyez-vous ça !

Fin.