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 Gardienne

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Blackberry
Premières histoires
Blackberry


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MessageSujet: Gardienne   Gardienne EmptyJeu 12 Avr - 12:24

Ceci est la plus longue histoire que j'ai jamais écrite ! Et, à vrai dire, la seule... les chapitres ne sont pas longs surtout au début j'espère que ça ne fait pas trop ridicule ! Voilà dites moi ce que vous en pensez et si ça vous plaît je mettrai les chapitres suivants !


Gardienne



Prologue

- A ce soir Mam ! lança Khanna de la porte d'entrée de l'appartement avant de sortir sans attendre la réponse.
Elle dévala les cinq étages que la séparaient du hall d'entrée de l'immeuble sinistre où elle habitait, et s'éloigna dans un grand bruit de roulettes. Khanna était comme ça, elle partait toujours en coup de vent et sa mère y était habituée.
La jeune fille avait un peu plus de quinze ans. Très grande, elle se tenait bien droite, en relevant fièrement le menton. Pas pour se donner une allure particulière, mais juste parce qu'elle se sentait comme ça à l'intérieur. Son visage semblait être taillé à coups de couteau, avec des traits durs malgré leur finesse. Elle avait de courts cheveux bruns, rebelles, qui retombaient devant ses yeux d'une couleur étrange entre le vert, le gris et le bleu.
Khanna adorait le skateboard, même si elle n'était pas spécialement douée. Elle aimait la piste, elle s'y sentait bien. Ce que recherchait la jeune fille, et ça se voyait, c'était la liberté.
Khanna, sur sa planche, recevait des regards tour à tour admiratifs et méfiants, mais ne s'en souciait pas. Elle ne paraissait pas avoir besoin de l'attention des autres. Oh, elle avait bien deux ou trois copains, mais pas très proches, et on la voyait le plus souvent seule. En dehors du skate, qui était sa seule passion, personne ne s'intéressait vraiment à elle.
Comme ce jour humide, sur la piste, où elle s'était magistralement étalée de tout son long par terre. Un gars lui avait bien tendu la main en passant, mais il était reparti sans lui adresser la parole. Il en allait de même chaque jour de son existence.
C'était dommage, car peut être aurait elle pu parler à quelqu'un de la véritable raison de son isolement, du lourd secret qui la séparait du reste du monde. Mais alors, sans doute que rien de ce qui suivit ne serait arrivé.


Chapitre 1

D'aussi loin que Khanna se rappelle, son rêve avait toujours été présent dans sa vie. A chaque fois le même. La plupart du temps, elle se réveillait sans aucun souvenir, mais depuis peu ces rêves se faisaient plus fréquents et précis. La première fois dont elle se rappelle assez bien était restée gravée dans sa mémoire de manière incroyablement précise. Elle avait quatre ans et s'était endormie après de longues heures d'agitation.

Elle se trouvait dans une bâtisse de pierre noire en ruine, qui avait des airs de temple abandonné. Le sol, nu, était à moitié recouvert de sable ; les murs, d'une hauteur impressionnante, présentaient des rangées d'écritures inconnues.
Khanna finit par franchir l'immense porte sans battant d'où filtrait une clarté éblouissante. Dehors, il y avait un désert. Le sable, qui ressemblait à du verre pilé, s'étendait à perte de vue. On voyait parfois un buisson rabougri, un tas de rochers noirs, ou même un bosquet d'arbres verts qui signalait une source.
La petite fille se mit en marche sous cette lumière accablante, mais elle ne ressentait la chaleur que par vagues, tandis qu'à certains moments elle avait l'impression de ne plus rien percevoir du tout. C'était déroutant pour son jeune cerveau, qui n'avait encore rien vu de pareil.
Au bout de ce qui lui semblait une éternité de cheminement, elle aperçut deux immenses tours de pierre argentée, si fines et hautes qu'elles semblaient percer le ciel de leur pointe impitoyable. Entre les deux aiguilles, un soleil couleur de sang descendait lentement vers l'horizon. Cette vision était si belle que Khanna en avait les larmes aux yeux. Elle se mit à courir éperdument vers les deux obélisques, mais à environ cent mètres de son objectif un voile gris s'abattait devant ses yeux, elle perdait tout repère, et un sentiment de terreur suffocante la faisait se réveiller.

Pour Khanna, ce rêve était différent de tous les autres. Quand elle rejoignait cette contrée qu'elle appelait le désert brillant, elle avait l'impression que quelque chose se débloquait dans son esprit. Elle se sentait plus sûre d'elle, comme si elle pouvait parler naturellement à n'importe qui en ayant la certitude d'être elle-même.
Quelle ironie ! Ses rêves lui semblaient du coup plus réels que sa propre vie. Par moments, Khanna se soupçonnait d'être folle, et le devenait sans doute un peu.
Voilà pourquoi les autres la mettaient à l'écart. Elle planait, toujours très loin de ce qui l'entourait. Elle rêvait.

**************

Khanna rentra de la piste de skate épuisée par un mal de tête inhabituel. Elle monta silencieusement dans sa chambre, alluma la radio, prit un livre, mais le cœur n'y était pas. Finalement, elle s'allongea et décida de se reposer une demi-heure avant d'aller manger.
Le rêve arriva, bien plus vite que d'habitude.

Quand elle se réveilla, elle eut l'impression d'avoir dormi très peu de temps. Elle regarda son réveil et fronça les sourcils en voyant que deux minutes seulement s'étaient écoulées. Elle sentait bien que quelque chose n'était pas normal, mais elle ne contrôlait plus rien. Sa tête retomba, ses yeux se fermèrent, le rêve la rappela. Mais cette fois, il reprit là où il s'était arrêté.
Il faisait nuit, mais la brume grise et étouffante qui la réveillait toujours avait disparu. La stupeur coupait le souffle à la jeune fille, et elle mit un certain temps à réagir comme à son habitude.
Les deux tours d'argent l'attiraient irrésistiblement. Elle s'ébranla lentement, puis courut de toutes ses forces, poussée par un instinct incontrôlable.
C'est ainsi que Khanna franchit pour la première fois la ligne des deux aiguilles argentées.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyJeu 3 Mai - 11:31

Désolée d'avoir tant tardé !!
J'espère que ça vous plaît...

Chapitre 2

De l'extérieur, on aurait dit que le désert se prolongeait derrière les deux obélisques. Cela ne ressemblait pas à une de ces incohérences propres aux rêves, aussi Khanna se dit qu'il s'agissait d'une illusion.
De l'autre côté, il y avait une ville.
Chaque rue, chaque édifice était construit de la même pierre blanche aux reflets argentés, et la jeune fille aussitôt en tomba amoureuse. Elle toucha le sol d'une main tremblante et le sentit presque palpiter sous ses doigts. Les pavés semblaient aussi s'agiter légèrement à son passage : ils la soutenaient, la poussaient en avant, elle avait l'impression de voler ! Bon sang, pourquoi n'avait-on jamais utilisé cette pierre dans son pays ? Elle était si vivante !
Khanna, jusque là, marchait mécaniquement, en regardant à peine autour d'elle. Lorsqu'elle leva le nez, elle découvrit de part et d'autre une foule qui gardait les yeux fixés sur elle, tout en restant à une distance respectable et s'écartant pour lui livrer passage. Beaucoup pleuraient, certains priaient à voix basse, quelques uns lui jetaient des regards méfiants, apeurés ou même franchement mauvais. Troublée, la jeune fille s'aperçut qu'ils avaient tous la peau blanche, immaculée, avec des yeux argentés, et portaient des vêtements de même couleur. Puis quelque chose attira son attention. Un homme, d'environ quarante ans, jouait des coudes pour arriver à sa hauteur. Il se précipita pour se planter devant elle et dit doucement :
- Bienvenue, Envoyée. Cela fait longtemps que nous vous attendons.
Pour toute réponse, Khanna lui sourit, en ayant le sentiment de sourire vraiment pour la première fois. Il lui prit le bras et l'entraîna à travers la foule vers des ruelles plus calmes, toutes plus jolies les unes que les autres.
Brusquement, elle ressentit un pincement au cœur, qui ne l'inquiéta pas outre mesure.
- Où m'emmenez vous ? demanda-t-elle.
- Dans un endroit que vous reconnaîtrez. Préparez-vous, répondit malicieusement son guide alors qu’ils s’arrêtaient avant un tournant.
Ils dépassèrent le coin et Khanna eut le souffle coupé.
- Wouaaah ! lâcha-t-elle.
Devant eux se dressait un magnifique palais de cinq étages, aux formes arrondies, aux angles doux, et à la couleur argentée si intense, si lumineuse...
Le visage de la jeune fille se fendait d'un immense sourire, excepté quand un autre pincement -plus insistant cette fois- lui arracha une grimace.
Ils pénétrèrent dans le bâtiment d'un pas respectueux, traversant de larges couloirs pour aboutir à une vaste salle au rez-de-chaussée. Non seulement Khanna avait l'impression de reconnaître ce lieu -comme une vieille maison dans laquelle on a passé un été, enfant, et qui donne un sentiment de déjà-vu mais chaque centimètre carré de pierre semblait lui souhaiter la bienvenue, lui envoyant de minuscules décharges électriques qui remplissaient son corps d'énergie.
Au milieu de la salle se tenait une très belle jeune femme, qui devait avoir un peu plus de trente ans. Toute sa peau avait l'air de scintiller, ainsi que ses cheveux dont la longue natte argentée dégringolait dans son dos. Son visage était sévère, ses traits nets et droits, ses yeux allongés surmontés de sourcils fuyant vers les tempes lui donnaient un air de faucon. Elle se retourna et regarda Khanna avec une expression indéchiffrable.
- La voilà, elle est arrivée, dit l'homme.
La jeune femme répondit quelque chose mais Khanna se rendit compte qu'elle n'arrivait pas à entendre ce qu'elle disait. Puis ce n'est pas un pincement qu'elle ressentit, mais une main qui s'enfonçait dans sa poitrine et lui broyait le cœur. Pliée en deux, elle poussa un hurlement de douleur et tout se mit à tourner autour d'elle. Khanna chercha désespérément quelque chose à quoi se raccrocher et ses yeux rencontrèrent ses vêtements, bleus et noirs, jurant terriblement avec l'univers argenté si pur et accueillant. Cela acheva sans doute de l'en arracher.
Elle entendit alors une voix dans sa tête -une voix masculine qui avait presque fini de muer, profonde, sombre même, qui parlait d'un ton de défi teinté d'ironie.
Tu as découvert le monde réel, Envoyée. J'espère pour toi qu'ils te laisseront revenir.
Khanna releva la tête et aperçut, seule image claire au milieu de la brume, un garçon de peut-être dix-sept ans, qui se tenait à moitié caché dans l'encadrement d'une fenêtre. Il ne souriait pas. Ses cheveux blond foncé en bataille retombaient sur ses yeux, non pas argentés, mais plutôt de la couleur d'une mer un jour de mauvais temps.
Longtemps après s'être retrouvée dans le noir, Khanna gardait encore la vision de ces yeux impénétrables plongés dans les siens.
Le Monde Réel. J'espère qu'ils te laisseront revenir.

********

- Réveille-toi Khanna, bon sang réveille-toi ! Oh mon dieu, ça y est, elle est de retour, elle est revenue !
La jeune fille eut la vague impression d'être serrée avec force et que des larmes coulaient sur elle. Émergeant du brouillard, elle reconnut la voix de sa mère. Elle ouvrit douloureusement les yeux. Sa gorge la brûlait et sa poitrine lui faisait mal. Elle entendait encore la voix du garçon résonner dans sa tête : le Monde Réel. Le Monde RÉEL.
- Qu'est ce qui s'est passé ? articula-t-elle difficilement.
Le médecin agenouillé à côté de son lit lui expliqua doucement :
- Un soir, ta mère n'a pas réussi à te réveiller. Tu respirais, ton cœur battait, mais rien ne pouvait te sortir du sommeil. Elle a appelé les secours, juste à temps car, peu après ton arrivée ici, ton cœur a brutalement cessé de battre. Ton coma a duré trois jours, mais Dieu soit loué, la réanimation a porté ses fruits ! Te voilà presque hors de danger. Mais comme la raison de cet accident est inconnue, nous avons peur qu'il se réitère... il faudra donc surveiller ta santé de près pendant un certain temps...
Il continua de parler, mais Khanna n'écoutait plus vraiment.
Trois jours. Trois jours dans le coma.
C'était fini, elle ne pourrait plus jamais retourner dans le monde des rêves. Elle ne devait pas. Il fallait qu'elle s'en empêche, car si elle cédait à la tentation, sans doute ne reverrait elle jamais son monde d'origine.
Mais quelque chose venait troubler son raisonnement : la voix dans sa tête qui revenait parfois la tourmenter.
Si le monde dans lequel elle vivait n'était pas réel, à quoi bon y rester ?

Une semaine passa, puis deux. La plupart du temps, elle se raccrochait aux choses importantes de sa vie : le skate, l'affection qu'elle portait à sa mère. Mais il lui arrivait de sombrer dans un sentiment de profond désespoir où elle oubliait tout ce qui comptait dans son existence. Un soir, elle revint encore plus déprimée que d'habitude à cause du temps, pluvieux et froid. Puis vint la nuit où sa volonté de s'accrocher à la vie s'éteignit totalement, et le rêve en profita.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 27 Mai - 7:39

dsl de vous avoir fait attendre Wink

Chapitre 3

Lorsque son rêve reprit, Khanna était allongée sur ce qui ressemblait à un lit d'hôpital. Elle remarqua une aiguille plantée dans son bras, reliée à un flacon rempli d'un liquide incolore. Son guide, assis à côté du lit, la regardait avec un mélange d'inquiétude et de soulagement, qui se transforma bientôt en colère.
- Vous êtes encore trop attachée à l'Autre Monde, dit-il brutalement. Vous manquez de force et de volonté. Pourtant, l'Envoyée se doit de ne pas céder à ce genre de petite faiblesse.
- Amethor ! Vous étiez donc là ! s'écria une voix provenant d'une porte à l'autre bout de la pièce.
La belle jeune femme que Khanna avait déjà vue entra et posa un regard sévère sur l'homme.
-Vous êtes trop dur, dit-elle en secouant la tête. Elle ne sait rien encore, elle ne peut pas comprendre un mot de ce que vous dites ! De plus, elle a l'air épuisé, nous parlerons de cela plus tard.
La jeune femme prit le bras de Khanna et en retira délicatement l'aiguille, puis l'aida à se lever.
- Je vais te montrer ta chambre, souffla-t-elle. Il faut que tu te reposes, après quoi nous pourront discuter.
Elle l'entraîna dans un dédale de corridors blanc-argent.
- Je suis la Gardienne de cette Cité, annonça-t-elle. Les gens d'ici doivent me nommer Dame Freda, mais appelle-moi tout simplement Freda. Quel est ton nom ?
- Khanna.
Freda répéta ce mot avec une délectation étrange. Puis elle ouvrit une porte et désigna l'intérieur.
- Voici ta chambre. Installe-toi, prends tes aises, et demain je t'expliquerai le véritable sens de ta présence ici.

La jeune fille entra dans la petite pièce proprette, éclairée par un plafonnier. Elle contenait un lit, une armoire remplie de vêtements à sa taille, un bureau et deux fauteuils. Un tapis couvrait le sol de parquet blanc et quelques tableaux décoraient les murs.
Enfin ! Enfin Khanna se sentait chez elle !
Oubliée sa famille ! Oubliées ses passions ! Et elle ne s'en rendait même pas compte !
La jeune fille s'avança et ouvrit sa large fenêtre qui donnait sur une ruelle calme, un étage plus bas. C'est en contemplant distraitement le sol qu'elle le vit de nouveau. Cette fois aucune voix ne retentit dans sa tête, mais l'image de ces yeux orageux, si différents du pur blanc-argent de la ville tout autour, s'imprima sur sa rétine encore plus fort que la première fois. Elle voulut soutenir le regard du garçon, mais la tête lui tourna. Quand elle referma la fenêtre, il avait disparu.

Khanna se demanda pourquoi elle se sentait si épuisée, mais après tout il faisait nuit et Freda n'avait pas parlé de la revoir avant le lendemain. La jeune fille s'écroula mollement sur le lit et éteignit la lumière. Elle se sentait bien sur le matelas moelleux, mais des doutes venaient malgré tout la tourmenter et bourdonnaient à ses oreilles comme un moustique infatigable. Elle tenta de le chasser d'une main aussi exaspérée qu'inutile. Elle aurait eu besoin d'une certitude, d'une preuve, et cela l'énervait. Elle était comme toujours incapable de prendre une décision, d'être sûre d'elle, de réfléchir. Le visage de sa mère passait quelquefois devant ses yeux et cela la faisait souffrir. Alors, doucement, un rayon de lune argenté se faufila entre les rideaux et caressa son oreiller. Khanna se sentit soudain apaisée, et s'endormit imperceptiblement.

**********


Quand Freda vint la réveiller, elle jeta à la jeune fille des regards aigus, comme si elle connaissait ses regrets de la veille. Khanna tenta de se racheter en montrant un enthousiasme débordant, c'est-à-dire un déluge de questions. Freda lui dit en riant d'attendre un peu.
La jeune fille eut soudain honte de sa tenue. Elle s'était endormie toute habillée, sans prendre la peine de se mettre en pyjama. Elle se hâta d'enfiler un pantalon, un T-shirt, des baskets, se passa de l'eau sur la figure dans la petite salle de bains contiguë à sa chambre, et alla prendre un petit déjeuner frugal avec Freda.

- Maintenant, expliquez, moi, demanda Khanna avec impatience. Pourquoi m’appelle-t-on Envoyée, et qu’attendez-vous de moi ?
- Commençons par le commencement, dit Freda en prenant une grande inspiration. Le lieu dans lequel tu te trouves est le palais du Monde Réel. Nous appelons notre cité ainsi car tout y est plus vivant, plus pur, plus réel en somme !
Elle s’enflammait.
- Cette ville a été créée autrefois par un groupe de croyants qui recherchaient la pureté à tout prix, pour échapper à l’enfer de leur propre monde... Elle a été bâtie par des fidèles qui auraient tout donné pour elle, et dont les sacrifices immenses ont permis d’ériger un monde meilleur ! C’est un chef-d’œuvre !
Mais depuis toujours, ses habitants souffrent à cause de leurs souvenirs collectifs de l’Autre Monde, ancrés au fond d’eux. C’est pour cela que nous -moi, Amethor, et nos dizaines de subordonnés qui habitent tous ici- essayons désespérément d’opérer la séparation. Si nous réussissons un détachement définitif, le peuple oubliera à jamais qu’il existe un autre univers, et cessera ainsi de souffrir.
Elle surprit une grimace de Khanna.
- Oui, l’idée n’est guère séduisante, concéda-t-elle. Perdre toute mémoire de notre passé, de nos ancêtres... Mais c’est le prix à payer pour que ce monde puisse vivre dans la paix et la pureté.
Freda frissonnait malgré tout et son visage se durcit.
- De temps en temps naissent des personnes dont l’appartenance à l’un ou l’autre des Deux Mondes n’est pas claire, et qui ne cessent de faire le va-et-vient entre les Deux, les gardant ainsi attachés l’un à l’Autre par une sorte de fine membrane. A tout moment, l’équilibre peut se briser, et nous sombrerons dans le chaos. La plupart du temps nous parvenons à contrôler parfaitement les échanges vers l’Autre Monde, mais sur toi -cela arrive parfois- nos méthodes n’ont aucun effet. Je t’ai donc appelée, car tu te sens mieux ici, n’est ce pas ?
- Oui, bien sûr ! répondit Khanna sans hésiter.
Freda prit un air grave.
- Il faut que tu choisisses ton monde, et comme tu ne peux t’empêcher de venir nous visiter, tu devrais t’installer définitivement ici. Cela demande un grand sacrifice de ta part. Acceptes-tu ?
- Que me demandez-vous exactement ?
- Essentiellement du courage et de la bonne volonté. Pour l’instant, il faut que tu trouves en toi la force de rester, que tu remplisses le rôle de l’Envoyée. Pense à tous ces gens, des milliers, des dizaines de milliers, qui voient en toi leur planche de salut ! Si tu prends cela à cœur, tout ira déjà mieux. Et puis j’aurai besoin de ton aide, que tu me serve de porte-parole, d’assistante.
Mais tu auras une vie agréable au palais, tu pourras faire connaissance avec tous les hauts dignitaires du gouvernement. Tu as déjà vu Amethor, qui sera chargé de t’instruire et de répondre à toutes tes questions, mais les autres seront également à ta disposition. Cela te convient-il ?
Khanna réfléchit quelques secondes.
- J’ai encore beaucoup de questions à poser, dit-elle en souriant. Mais il me faudra du temps pour y mettre de l’ordre. Alors cela me convient parfaitement. Je me sens ici chez moi.
- Très bien, soupira Freda, mi-soulagée mi-fébrile, je crois qu’on pourrait commencer par une petite visite guidée de la ville.

*********

Amethor se matérialisa quelques minutes plus tard et la conduisit hors du palais en souriant de son entrain. Khanna s’émerveillait de cet univers aux couleurs si pures. Son guide lui présentait tranquillement les noms des bâtiments et des nombreuses boutiques, sans jamais dire un mot de plus que nécessaire. En vérité, ce monde paraissait presque aussi moderne que le sien, à part les constructions en pierre et l’absence totale de voitures. Alors qu’ils marchaient depuis un certain temps en suivant un itinéraire compliqué, ils aboutirent à une très large rue.
- Voici l’avenue de palais, déclara Amethor. C’est la plus grande de toute la ville, elle relie en ligne droite le Palais à l’extrémité est de la Cité.
Khanna se retourna et plissa les yeux. La pierre brillante de la façade du palais renvoyait les rayons argentés du soleil, et l’aveuglait un peu.
A ce moment, une sorte de tramway rutilant passa au milieu de la rue, et Khanna remarqua pour la première fois les rails sur lesquels il glissait.
- Ah oui, le tram ! dit Amethor en riant. C’est notre unique moyen de transport car nous voulons à tout prix éviter les problèmes de pollution que tu dois bien connaître. Mais son fonctionnement est très compliqué à expliquer et d’ailleurs je ne suis pas en mesure de le faire. Ce tram est très efficace et rapide, il dessert les principales rues de la ville.
Khanna écoutait d’une oreille distraite, puis elle interrogea son guide sur une question qui la taraudait :
- Amethor, pourquoi les gens m’évitent et me lancent des regards furtifs ?
- Eh bien, beaucoup d’entre eux n’ont jamais vu d’autres couleurs que celles qui t’entourent. Mais ta peau n’est pas encore harmonisée avec le reste, ainsi que tes cheveux, tes yeux...
Khanna contempla avec dépit sa peau mate.
- Et puis il faut que tu saches, malgré tout, que chacun ne te considère pas comme une sauveuse. Certains doutent, d’autres te seront carrément antipathiques, mais les plus dangereux sont ceux qui essayent d’organiser des voyages illicites vers l’Autre Monde. Ils mettent la vie de tout le monde en danger, y compris la leur.
Amethor s’interrompit car ils étaient arrivés devant les deux pointes d’argent.
-Voilà, dit-il d’un air las, comme fatigué d’avoir tant parlé, tu as choisi ce chemin pour venir ici, mais mets toi bien dans la tête que tu ne pourras pas passer cette porte dans l’autre sens. Derrière, il n’y a plus que la peur et la nuit, alors qu’ici, tout est illuminé.
En effet, derrière les deux obélisques, un épais brouillard masquait tout paysage et une partie du ciel. Quand le soleil d’argent y disparut, Khanna se retourna. Des centaines de lumières s’étaient allumées sur tous les bâtiments, baignant chaque recoin d’une lumière laiteuse.
- Nous allons prendre le tram pour rentrer, déclara Amethor, mais pas par le même chemin.
Ils tournèrent dans une petite rue et attendirent à côté d’une borne rectangulaire.
Le tram s’arrêta devant eux. Il était presque vide car les gens préféraient utiliser la ligne directe qui passait par la grande avenue, alors que celui là empruntait des chemins tortueux. Khanna tentait de mémoriser les noms des rues et des boutiques. Mais elle se sentait épuisée, une douce chaleur irradiait dans ses membres, et bientôt son esprit se mit à vagabonder.
Comment donc les opposants essayaient-ils de rejoindre l’Autre Monde ? Et pourquoi Freda lui avait-elle caché leur existence ? Étaient-ils nombreux ? Est-ce que Freda devait lutter chaque jour contre une résistance ? Déjà des doutes assaillaient la jeune fille, mais elle fit un effort pour les chasser. Après tout, ce n’était pas si étonnant, car existait-il un pays où tout le monde était d’accord ? Sans doute Freda n’avait pas eu le temps de lui en parler.

De retour au palais, Amethor lui proposa de lui montrer la bibliothèque.
Ils entrèrent dans l’immense bâtisse par une porte latérale, plus pratique, et empruntèrent un joli escalier en colimaçon avant de s’arrêter devant une grande porte en bois blanc sculpté, qui s’ouvrit avec un affreux grincement. Khanna se dit qu’elle ne devait pas être ouverte souvent, étrange pour une bibliothèque.
La pièce n'était pas bien éclairée, les rayonnages poussiéreux se serraient les uns contre les autres, formant des allées très étroites. Il n'y avait que quelques sièges dans un coin et presque pas de lampes.
- Voici la bibliothèque personnelle de Freda et des autres membres du gouvernement, expliqua Amethor, très peu de gens y ont accès. Je vais te laisser là.
- Si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas à m’appeler ! lança la jeune fille à la hâte avant de disparaître entre les étagères.
Elle commença à fureter dans les rayonnages, prenant au passage tout ce qui l’intéressait : de vieux manuels d’histoire, des sortes de livres de religion, des plans de la ville. Tout était recouvert d’une couche de poussière et Khanna se demanda à quoi servait une bibliothèque où personne ne venait. Enfin, au moins elle ne risquait pas d’être dérangée.
Elle soupira en voyant tout ce qu’elle avait à éplucher, mais elle s’attela vite à la tâche.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 27 Mai - 7:41

et un mini chapitre en supplément le même jour !

Chapitre 4

Les journées se succédèrent ainsi à un rythme effréné. Khanna arpentait la Cité accompagnée ou non d’Amethor, puis dévorait des montagnes de livres dans la bibliothèque ou dans sa chambre. Elle était plutôt heureuse, mais imperceptiblement, presque inconsciemment, un insupportable sentiment de frustration montait en elle.
Car malgré ses recherches intensives, elle ne savait rien de plus qu’au premier jour, à part qu’il existait depuis très longtemps des gens comme elle, qui appartenaient aux Deux Mondes et voyageaient à leur guise entre les Deux. On les appelait les Doubles.
Elle avait beau feuilleter tous les livres qu’elle puisse trouver, interroger Freda, les passants et les membres du “ gouvernement ” qu’elle connaissait à présent tous, elle ne pouvait rien apprendre de plus. Tout le monde lui répondait poliment, mais malgré cela un étrange malaise se répandait en elle.
Ensuite, Khanna ressentait depuis quelques jours de désagréables picotements sur sa peau et un soir s’était ajoutée une douleur musculaire dans tout son corps, qui lui rendait chaque mouvement pénible. Elle paraissait toujours plus épuisée, elle avait mauvaise mine. Elle comprenait maintenant ce que Freda entendait par “ sacrifice ”.
Et enfin, elle avait revu plusieurs fois l’étrange garçon, qui montrait à chaque fois un visage plus sombre, mais il disparaissait toujours avant qu’elle ait pu le rejoindre. Un soir, elle décida d’en parler à Amethor et celui-ci se tourna vers elle d’un air grave.
- Pauvre petite, dit-il soudain. Tu souffres beaucoup plus que tu ne le montres, pas vrai ? Alors je vais te dire, il faut que tu luttes contre ce genre d’hallucination pendant qu’il en est encore temps. Il paraît que ça arrive souvent, aux Doubles surtout, d’avoir des visions de l’Autre Monde, avec comme tu le dit des couleurs différentes d’ici. Et c’est dangereux, certains ont sombré dans la folie et il faut éviter à tout prix que cela t’arrives ! Alors fais-toi des amis parmi les gens du palais et oublie ce garçon.
Khanna hocha gentiment la tête mais son inquiétude persista. Amethor ne lui semblait plus si sincère que cela. Cette fois, elle ne fit aucun effort pour arrêter de douter.

Quand ils rentrèrent au palais, Khanna fit semblant de prendre la direction de sa chambre mais elle bifurqua pour suivre Amethor de loin. Il passa par un nombre interminable de couloirs, tant que la jeune fille eut peur de se perdre, et entra dans ce qui semblait être un placard. Khanna entendait une discussion animée entre Amethor et Freda.
- C’est lui, disait celle-ci. Ainsi donc, il est toujours en vie ! Et il veut entrer en communication avec elle !
- Peut-être qu’il la surveille seulement de loin, et que son pouvoir ne marche pas sur elle, suggéra Amethor.
- C’est quand même grave ! s’énerva Freda. Elle a un bien plus grand pouvoir que je ne l’avais supposé… et maintenant que la séparation est déclenchée, il vaudrait mieux la neutraliser…
- Non ! cria Amethor. Elle n’a rien fait contre nous, et que deviennent vos projets de…
- STOP ! hurla Freda.
Elle se rua dans le couloir, mais Khanna avait déjà disparu. Elle en avait assez entendu.
- Je suis sûre qu’elle était derrière la porte ! s’écria Freda avant de s’élancer sur les traces de Khanna, comme un chien flairant une piste. Elle entra à la volée dans une petite pièce, pourvue de grandes fenêtres dont l’une était ouverte, les rideaux claquant au vent. Elle se pencha sur l’avenue éclairée par les lampes nocturnes, deux étages en contrebas. Des sculptures en bas relief descendaient jusqu’au sol, permettant une escalade facile. Khanna avait déjà tourné au coin d’une petite rue, mais où ?
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptySam 30 Juin - 11:47

Chapitre 5

Khanna courait toujours. Elle empruntait le plus possibles des rues minuscules et désertes, mais elle risquait encore de se faire repérer, elle adopta donc une allure plus discrète. Jusqu’alors, elle n’avait pas pris le temps de réfléchir et agissait d’instinct. Mais maintenant que le danger était momentanément éloigné, elle commençait évidemment à regretter ce qu’elle avait fait. Puisque de toute façon elle ne pouvait pas faire quoi que ce soit sans avoir de remords après… La peur lui tordait le ventre, et la douleur qu’elle ressentait depuis quelque temps s’était accentuée. Elle voulait atteindre la porte des deux tours d’argent, la seule qu’elle connaissait. Peu importait ce qu’Amethor en avait dit, elle allait essayer. Bientôt elle se retrouva au pied de ces écrasantes pointes, se prépara à s’élancer… et elle l’entendit dans sa tête. Cette voix, celle qui l’avait hantée pendant toutes ces journées…
On ne peut pas sortir par là. Là dessus, ils ont raison.
Khanna se retourna et dévisagea le garçon. Il avait l’air encore plus sombre qu’avant et il semblait en plus un peu pâle et maigre.
Que comptais-tu faire au juste ? demanda-t-il sans bouger les lèvres.
- Sortir d’ici ! s’écria Khanna.
Elle eut soudain honte de sa propre panique. Mais elle en ressentait le besoin urgent, elle ne savait pas pourquoi…
En tout cas on ne sort pas par là. Je t’épargnerai la description de l’enfer des Brumes. En fait, je pense qu’on ne peut pas s’échapper de ce monde. Mais peut-être que pour toi, c’est différent, peut-être que tu y arriveras. As-tu au moins pensé aux conséquences ?
- Comment savoir ce qui est vrai ou pas ? soupira la jeune fille.
Ca, c’est une question que je me pose depuis longtemps.
- Tu es un Double, n'est ce pas ? dit Khanna en s'approchant.
Je suis ce qu'ils appellent un Double, oui. Un pauvre type coincé chez eux et réduit à l'État de fantôme.
Khanna eut soudain un geste de panique. Elle l'attrapa par les épaules, le secoua et s'écria :
- J'ai besoin de savoir un truc ! Toi qui es un Double, tu devrais pouvoir me répondre ! Qu'est ce qui se passera si les Deux Mondes se séparent ?
Mais j'en sais rien, lâche-moi !
Khanna se laissa tomber sur le sol et demanda doucement, avec lassitude :
- Comment tu t'appelles ?
Raphael, et toi ?
- Khanna. Mais je t'en prie, est ce que tu pourrais au moins m'éclairer sur quelque chose, sur n'importe quoi...
Tout ce que je sais, c’est qu’ils se fichent de notre vie et de ce qu’on souffre ou pas. Ils ont peut-être de bonnes intentions, mais j’ai du mal à y croire après ce qu’ils m’ont fait. Je pense qu’ils ne reculeront devant rien pour accomplir leurs desseins et qu’ils n’hésiteront pas à mentir, à tuer ou à torturer.
- Es-tu capable de parler à voix haute ? demanda Khanna.
Oui, mais j’ai un peu perdu l’habitude.
- Connais-tu une sortie, ou du moins un endroit où l’on puisse se réfugier ?
- Eh bien, dit le garçon d’une voix hésitante et abominablement rauque, les gens parlent d’une porte à l’est de la ville…
- Nous avons donc une direction, c’est déjà ça. Maintenant il faut faire vite pour échapper à Freda… on parlera en marchant. Raconte-moi ton histoire.

Raphael prit une grande inspiration et commença de sa voix enrouée :
- Je suis arrivé ici, par mes rêves, il y a six ans et j’en avais onze à l’époque. Freda m’a accueilli comme l’Élu (apparemment, ils changent de nom à chaque fois) et m’a raconté à peu près la même chose qu’à toi. Je t’ai observée depuis le début, et il faut dire que tu es beaucoup plus intelligente que moi. Tu t’es enfuie, tu ne les as pas laissés aller jusqu’au bout. Moi, je suis resté et je suis presque mort d’épuisement. Ce palais a une influence maléfique, à moins que ce ne soit Freda… J’ai fini par me sauver, dans un état de demi-vie, et je suis allé jusqu’aux frontières de la ville, où ma santé s’est rapidement améliorée. Mais depuis, je ressemble un peu à un fantôme, très peu de gens peuvent me voir…
Les Doubles sont dangereux pour eux, et ils essayent de les contrôler, du moins c’est ce que je pense.
- J’ai entendu Freda et Amethor parler de certains… pouvoirs, dit Khanna.
- Quels que soient les miens, je les ai perdus depuis longtemps ! lança Raphael avec un rire sans joie.
- Raphael, pourquoi on n’a pas la même couleur que ce monde ?
- Aucune idée ! Mais ça m’arrange, parce que cette couleur, j’ai appris à la détester, crois moi ! Si on commençait à s’aligner sur le reste, je ne sais pas pourquoi, mais ce serait mauvais signe…

********


Ils tentèrent de ratisser le secteur mais la Cité était immense. De plus ils étaient obligés d'emprunter des ruelles et des chemins détournés pour échapper à d'éventuels poursuivants. Les deux adolescents étaient d'autant plus en danger qu'ils ne savaient pas du tout à quoi ils devaient s'attendre. Ils devaient faire continuellement attention à ne croiser personne, car malgré la nuit quelques passants isolés traînaient dans les rues.
Au bout de plusieurs heures passées à arpenter la ville en rasant les murs, Khanna et Raphael se laissèrent tomber sous un arbre, épuisés. Sans doutent étaient-ils un peu perdus.
- Tu crois vraiment qu'il existe une sortie ? tenta Khanna.
- Et toi, es-tu sûre de vouloir la chercher ?
- Je n'en sais rien... j'ai agi sur un coup de tête, je voulais juste sauver ma peau... est-ce que j'ai eu raison, au moins ? Est-ce que je ne suis pas en train de mener nos mondes à la destruction ?
- Hum... tu as un problème. Sois tu te poses trop de questions, soit pas assez.
Khanna sourit puis dit d’un air sérieux :
- Raphael, je viens de penser...
- Quoi ?
- On se base pour l’instant sur ce que Freda et les autres nous ont dit, mais on ne sait rien de l’opinion du peuple.
Les yeux de Raphael s’illuminèrent, puis s’éteignirent bien vite.
- D’après ce que j’ai pu glaner en laissant traîner mes oreilles, les gens ne savent pas grand-chose. Ils subissent, et ils souffrent. La plupart pense que tu vas leur apporter la solution.

Soudain, Khanna lui empoigna le bras et l’entraîna derrière un arbre. Juste à temps, car un groupe de personnes traversa la ruelle et disparut dans une venelle à quelques mètres seulement de leur cachette. La jeune fille respira et interrogea Raphael du regard.
On les suit de loin, répondit-il silencieusement.
Ils se coulèrent dans l’ombre et perçurent bientôt la rumeur d’une intense agitation. Comme une grosse bagarre quelques rues plus loin.
Les maisons et les immeubles blancs autour d’eux paraissaient tous désaffectés, et si on faisait exception des bruits étouffés qu’on entendait par moments, on aurait juré que le quartier était désert. Cachés dans l’ombre, les deux adolescents se pétrifièrent en observant le spectacle qui se déroulait devant eux.
Il y avait un porche immense, au delà duquel on ne distinguait que la nuit et le brouillard. De cette ouverture se déversait un flot continu de personnes, de tous les âges et de toutes les couleurs, qui montraient tour à tour des expressions joyeuses, étonnées ou craintives. Mais on aurait dit que ces gens progressaient au ralenti, comme dans une substance plus consistante que l’air. Quelque chose, une puissance inconnue, les freinait en plein élan. A quelques mètres du porche, un régiment entier d’hommes masqués semblait les attendre.
Dès que l’un d’eux se détachait complètement de l’ouverture, il était attrapé et maîtrisé par un ou plusieurs hommes qui lui enfonçaient une aiguille dans le bras, reliée à un flacon rempli d’un liquide transparent. Puis on les repoussait de force dans l’obscurité derrière la porte, de façon très violente parfois. Khanna frissonna en remarquant que les hommes ne nettoyaient pas les aiguilles entre deux injections. Le nombre de maladies qui pouvait ainsi être transmises…
La jeune fille sursauta en reconnaissant l’une des victimes. Elle murmura à Raphael :
- Ce sont des voyageurs de l’Autre Monde… ce gars, là, il était prof dans mon lycée…
Au moins, on l’a, notre porte. Qu’est ce que tu comptes faire ?
- Attendre… et après, essayer de passer.
Il n’y avait plus rien à dire. Tout se résumait à ce mot : attendre.

Les mouvements près de la porte se ralentirent quand le jour se leva, puis, vers midi, plus personne ne passait plus le porche. Malgré tout, un homme masqué continuait de faire les cent pas devant l’ouverture. L’attente était insupportable et Khanna commençait à désespérer de pouvoir un jour tenter sa chance. De plus son ventre gargouillait bruyamment. Enfin, vers six heures du soir, le garde bailla et s’en alla d’un pas pesant. Khanna se leva et étira ses jambes ankylosées.
- Voici le moment de vérité. J’y vais.
Raphael sembla chercher ses mots, mais il ne parvint qu’à dire :
- Ben, bon courage alors. Si tu ne reviens pas, j’essaierais cinq minutes après toi. Es-tu sûre de vouloir passer en premier ?
Khanna ne répondit pas. Derrière le porche, c’était le noir complet. Elle pressa brièvement la main de Raphael, sans tourner la tête, en guise d’adieu. Elle ne voulait pas flancher.
Elle fit un pas, un deuxième, et disparut dans la nuit.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyJeu 5 Juil - 13:05

J'ai un court moment pour vous poster un petit chapitre Very Happy
Merci chère homonyme au fait ^^

Chapitre 6

Khanna se retrouva dans le noir complet, et eut aussitôt l'impression de tomber dans le vide. Elle tenta de bouger mais son corps ne répondait plus, d'ailleurs elle ne savait même plus si elle avait un corps. Elle se sentait plutôt flotter dans une brume glacée de plus en plus épaisse.
Alors que le brouillard devenait presque solide, elle se retrouva brusquement en position horizontale avec le sentiment bizarre que tous ses muscles avaient une consistance pâteuse, presque comme ils se liquéfiaient.
Elle attendit que ses idées se clarifient un peu puis tenta de bouger. Elle voulut gonfler ses poumons, mais elle eut beau les étirer au maximum, elle ne put aspirer qu'une infime quantité d'air dont l'odeur lourde la fit suffoquer. La peur qui sourdait en elle lui donna l'énergie de remuer. Au prix d'un immense effort, Khanna donna un coup de reins pour se relever, les yeux toujours fermés, mais sa tête heurta douloureusement un objet dur. Elle retomba et faillit sombrer. Avala une nouvelle goulée d'air, encore plus minuscule que la première, et leva un bras.
Sa main s'arrêta sur une surface que Khanna identifia comme du bois verni. Avec horreur, elle longea la plaque et sa bouche s'étira en un cri silencieux quand elle comprit.
Elle se trouvait dans son propre cercueil.
Avec l'énergie du désespoir, elle essaya de regagner la brume. Toutes ses pensées se tournèrent vers la Cité, le porche noir, Raphael. Elle désira de toutes ses forces quitter ce corps qui sombrait inexorablement dans le sommeil...
Le contact glacé du brouillard pâteux...
Un, puis deux pas en arrière.

Elle faillit s'écrouler en retrouvant la dureté du sol et l'inconsistance de l'air. Heureusement, Raphael courut la soutenir à temps. C'est alors seulement que la réalité la frappa de plein fouet, et elle se mit à sangloter sous le choc. Raphael, désemparé, lui posa la main sur l'épaule:
- Khanna, Khanna, qu'est ce que tu as ? Ca fait à peine dix secondes que tu es partie! Il t'es arrivé quelque chose ?
Khanna répondit entre deux hoquets :
- Raphael, c'est horrible je - je suis - je suis morte là bas !
Le jeune garçon se figea un instant, pétrifié d'effroi, puis il s'agenouilla à côté de Khanna et la prit dans ses bras. Ils restèrent longtemps ainsi, serrés l'un contre l'autre, jusqu'à ce que les pleurs de Khanna s'atténuent.

Raphael tira Khanna en avant pour l’obliger à se relever et lui dit :
- Allez ! Pas question de se laisser abattre ! Il faut trouver un endroit où dormir…
- Raphael, comment fais-tu d’habitude pour te nourrir ?
- Eh bien, deux solutions s’offrent à nous : voler ou fouiller dans les poubelles. Mais il faudra nous séparer pour la première possibilité, et attendre le jour… il devrait y avoir un local de poubelles pas loin…
Ils s’enfoncèrent dans une ruelle encore plus sombre et soudain Khanna murmura :
- Chut ! Écoute…
Des voix étouffées provenaient d’une porte écaillée à quelques mètres. La bâtisse qu’elle ouvrait avait l’air passablement misérable et à première vue personne n’aurait pu deviner qu’elle était habitée, car elle présentait de nombreux carreaux cassés et n’était pas éclairée.
Raphael s’avança d’un pas décidé et colla son oreille contre le bois râpé. Khanna l’imita et bientôt les deux ados échangèrent des regards intrigués.
- C’est de pire en pire… grognait une voix d’homme. Nous sommes de plus en plus surveillés, et deux de nos compagnons ont encore disparu la nuit dernière…vous vous doutez de ce qui leur est arrivé… et une ombre supplémentaire est apparue sur notre horizon, celle d’une nouvelle esclave du gouvernement… mais je vais laisser Shali vous expliquer.
Une voix de femme un peu lasse poursuivit :
- Oui, il paraît qu’une nouvelle Double est apparue à la face du monde. On l’a souvent vue se promener dans les belles rues de la ville. Il est vrai que son corps n’a pas nos couleurs, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une supercherie… seulement je ne le pense pas. Car cette fois la rumeur dit qu’elle est plus puissante, infiniment plus puissante, et ils l’appellent l’Envoyée, mais aussi la Dernière ou l’Ultime. Malheureusement, on dit également que le moment de la séparation est venu, et tout porte à croire que c’est vrai.
L’assemblée émit des exclamations de stupeur et de rage. Ils devaient être une trentaine à l’intérieur.
- En effet, ni Jelef ni les autres ne rêvent plus de l’Autre Monde, continua la voix de Shali qui montait dans les aigus. Ils n’ont pourtant rien changé depuis des semaines. Pour moi, ce ne peut être qu’un signe.
- Il faudrait la trouver, dit une voix fluette. La convaincre, pour qu’elle s’arrête alors qu’il en est encore temps.
- Pour ça, tu peux toujours courir ! ricana une vieille femme.
Qu’est ce qu’on fait ? demanda Raphael.
- Je crois que le mieux, c’est de frapper et d’entrer.
La jeune fille tapa à grands coups sur la porte et lança :
- On ne vous veut aucun mal ! Je cherche aussi à empêcher la séparation, parce que… c’est moi l’Envoyée, en fait.
La phrase paraissait si impossible que Khanna faillit éclater de rire. Comme personne ne répondait, la jeune fille poursuivit.
- Je m’appelle Khanna, et je suis accompagnée de Raphael, celui que vous nommiez l’Élu il y a quelques années… mais il est un peu réduit à l’état de fantôme, alors je ne suis pas sûre que vous puissiez le voir.
Elle songea que personne de normalement constitué ne croirait cela.
- C’est bon, c’est bon, grogna la voix grave. De toute façon, on est bien obligés de vous laisser entrer, vous nous avez entendus.

**********

La porte s’ouvrit en grinçant, laissant voir dans l’entrebâillement un visage hâlé et couturé de cicatrices.
En entrant, Khanna découvrit une trentaine de personnes de tous les types et de tous les âges, aussi bien hommes que femmes, dont les regards étaient fixés sur elle. Raphael lança d’une voix mal assurée :
- Bonjour tout le monde, est-ce que quelqu’un me voit ici ?
Sa question demeura sans réponse.
- On dirait que personne ne peut voir Raphael parmi vous, commenta Khanna, déçue. J’espère au moins que vous me croyez quand je dis qu’il existe. Il vous dit bonjour.
- Alors c’est vous l’Envoyée, murmura Shali, une jeune femme au visage fin et pâle.
- Oui, je la reconnais, je l’ai déjà vue dans l’avenue du palais, lança une voix dans l’ombre.
- Dites-moi, je vous en prie, dit Khanna précipitamment, pourquoi est ce que la séparation commence ? Je n’ai rien fait de particulier, pourtant… et d’abord, pourquoi voulez-vous à tout prix l'empêcher ? Êtes-vous vraiment sûrs des conséquences que cela pourrait avoir ?
- Stop ! fit l’homme aux cicatrices. Il vaut mieux commencer par le début. Balaye tout ce qu’on t’a raconté au palais et écoute. Shali ! Explique.
La jeune femme se racla la gorge et se mit à parler d’une voix claire et bien rythmée :
- Au commencement, il n’y avait qu’un seul Monde colonisé par l’espèce humaine. De ce Monde, nous ne savons plus grand chose, à part qu’il était dangereux, invivable, rongé par la guerre et la corruption. Dans ces temps troublés, une secte a vu le jour et son nombre d’adeptes s’est accru petit à petit. Cette secte prétendait aider ses fidèles à atteindre la pureté de l’âme. Mais au fur et à mesure que le groupe prenait de l’ampleur, il a exprimé la volonté de créer un monde “ pur ” détaché du leur, où chacun pourrait vivre en paix.
Au centre du procédé de création, il y avait une femme, une femme au pouvoir immense, impossible à imaginer. Elle a fabriqué un monde, mais pas à partir de rien. En prélevant de la matière sur la terre mère. Les fidèles ont dû réaliser certain “ sacrifice ” pour pouvoir y vivre. Ce que tous ces gens ont réalisé exactement, il y a si longtemps, on ne le sait pas et on ne le saura probablement jamais. Mais il s’agit de choses monstrueuses et abominablement douloureuses.
- Évidemment, l’interrompit l’homme au visage hâlé, certains ont essayé de regagner l’Autre Monde pour échapper à leur souffrance, mais on les en empêcha impitoyablement. Avec le temps, la douleur s’est légèrement atténuée, et surtout le peuple a appris à vivre avec. Mais toi-même, tu la connais, car tu la ressens en ce moment, n’est-ce pas ? Et c’est insupportable, cette sensation de manque qui grandit chaque jour…
- Parlez-moi des rêves.
- Ah, les rêves ! soupira l’homme aux cicatrices. Vois-tu, ils sont le seul moyen de communication avec l’Autre Monde. Au début, ils ressemblent à des rêves normaux, mais au bout d’un peu de temps, tu y vas réellement… je veux dire, tu peux te promener dans une rue et parler avec des passants pour apprendre des choses que tu n’aurais aucun autre moyen de savoir… si jamais tu te blesses, tu en subiras les séquelles quand tu te réveilleras. Car évidemment le voyage ne dure que le temps du sommeil.
- C'est faux ! Je suis venue en rêve, et pourtant je reste depuis très longtemps...
- Hum... tu ne t'es jamais réveillée, n'est ce pas ? C'est dur, je sais. Les véritables Doubles subissent cela, quand ils s'enfoncent trop profondément ici...
Mais de nos jours, bien peu de gens rêvent de l’Autre Monde…
- Pourquoi cela ?
- A cause du contrôle du gouvernement. Il existe une drogue, que nous appelons communément “ le Poison ”, et qui empêche tout voyage entre les Deux Mondes… les seuls à y être insensible ou presque sont les véritables Doubles, tels que toi...
Une image surgit dans l'esprit de la jeune fille. Celle d'une aiguille, plantée dans son bras, reliée à un flacon rempli d'un liquide inclolore... son esprit partagé en deux n'avait pas tenu le coup et était revenu dans un seul monde...
- Et on est obligé de la prendre ? questionna Khanna.
- Oui, répondit l’homme d’un air sombre. Parce qu’elle se trouve dans la nourriture, absolument tout ce qui se mange en est infecté…
- Mais vous parliez d’un certain… Jelef, si je me souviens bien ?
- Lui et ses comparses essayent de continuer à rêver. Ils ont donc arrêté de consommer du Poison. Ils font la grève de la faim. Le problème, c’est qu’il faut tenir longtemps pour que les effets de la drogue se dissipent.
- Mais comment savez-vous tout cela ?
- Eh bien, reprit Shali, nous avions un agent particulièrement doué qui avait réussi à s’infiltrer jusqu’au sein du gouvernement. Mais un beau jour, on a cessé de recevoir les rapports, car ce salaud s’est rallié à leur cause !
- Modérons nos expressions, Shali, tempéra l’homme. Jusqu’à maintenant, Amethor ne nous a jamais trahis.
- Amethor ? s’écria Khanna, éberluée.
- Mais depuis qu’il nous a quittés, nous ne savons plus grand chose des projets du gouvernement, ni de ses actions. Ils continuent d’éliminer ceux qui leur barrent la route, et ne se préoccupent pas de la misère qui sévit partout. Ce monde se meurt, Khanna, ainsi que tous ses habitants.
- C’est à cause de cette femme ! Cette folle ! ragea Shali.
A ce moment, elle les quitta pour aller se calmer dans un coin.
- Hélas, elle a raison, soupira l’homme aux cicatrices. Freda, la Gardienne comme on l’appelle, est pour beaucoup dans nos malheurs. Pauvre Shali. Elle a perdu ses parents au temps de l’Éradication, une période sanglante de notre histoire qui a commencé il y a quelques années. A cette époque, Freda se servait d’espions possédant un peu de pouvoir, afin de la renseigner sur les idées prétendument dangereuses que pouvaient nourrir les habitants de sa chère Cité. Le pire, c'était l'Écorcheur... Un homme puissant, ou plutôt un monstre dont on disait qu'il pouvait tout voir et tout entendre, et qui semait la mort sur son passage... Enfin, y a-t-il des choses que tu veuilles encore savoir ?
- Oui, plein… mais je préférerais voir. Avoir des preuves, car après tout, pourquoi me diriez-vous la vérité ? On m’a menti, menti et encore menti jusque là.
- J’ai peur que ce soit trop dur pour toi. Mais si c’est le seul moyen pour te convaincre… au fait, je m’appelle Benno. Il vaudrait mieux partir maintenant, pour profiter de l’obscurité.
Khanna, captivée par les paroles de Benno et Shali, n’avait pas regardé autour d’elle. C'est seulement en franchissant la porte écaillée qu'elle se rendit compte que Raphael avait disparu.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyMer 29 Aoû - 4:42

Chapitre 7

Elle accusa le coup, déroutée. La présence de Raphael la réconfortait et elle s'y était habituée. Ils étaient dans la même galère, quoi.
Il avait dû filer en douce - qu'aurait-il bien pu se passer d'autre ? Mais pourquoi ? Pourquoi l'avait-il laissé tomber ?
Voilà ce qui arrive quand on fait confiance aux gens sans réfléchir, pensa-t-elle amèrement, et peut-être plus particulièrement aux fantômes qui parlent dans votre tête.
Heureusement, la voix de Benno la ramena à la réalité. Elle se ressaisit et marcha à sa suite comme si de rien n'était. Révéler l'absence de Raphael lui ferait perdre de sa crédibilité.

Benno la guida à travers rues et ruelles, toutes désertes. Bien qu'elle se sente rapidement perdue, Khanna estima qu'ils s'enfonçaient dans le sud de la ville. Elle remarqua bientôt que les maisons avaient moins belle allure. Elles étaient plus petites, leurs fenêtres crasseuses, leurs murs décrépits. Dans les venelles, de plus en plus étroites et sombres, flottait une odeur douteuse. Au bout de quelques centaines de mètres, les superbes quartiers s'étaient métamorphosés en bidonvilles.
- Voilà à quoi ressemble la magnifique cité loin de son centre, commenta Benno d'un air sombre. Regarde comme ces cahutes sont prêtes à s'écrouler. Et si tu voyais ceux qui habitent ici... la misère règne en maîtresse, elle occupe la plus grande place dans le cœur des hommes, qui n'ont plus de temps pour penser à autre chose.
- Comme construire une Résistance organisée et puissante, compléta Khanna.

A ce moment, ils passèrent devant une décharge où s'entassaient des ordures. Un gamin, âgé de peut-être huit ans, fouillait dans les poubelles, pataugeant dans les flaques d'eau sale. A leur vue, ses yeux brillants s'écarquillèrent de terreur et il détala avec toute la force que lui permettaient ses jambes maigres.
Remise de ce choc, Khanna remarqua :
- C'est bizarre, les contours des choses paraissent plus flous, les couleurs plus ternes mais aussi plus normales...
- C'est exact, répondit Benno. Ici, le monde a été créé avec moins de précision, puis laissé à l'abandon. Ici, pas de limites bien définies, pas de portes qui séparent la ville des Limbes. Ici, le monde s'efface et on ne sait jamais si ce qu'on voit est vrai...
En effet, ils semblaient maintenant enveloppés d'une chape de brouillard, humide et froide, les contours se gommaient petit à petit.
- C'est ici, grogna Benno, que Freda et les autres cachent leurs plus noirs secrets.
Ils étaient arrivés à une sorte de plaine boueuse et immense, barrée par une énorme tranchée. Le blanc argenté de la Cité n'avait plus lieu d'être : tout était gris, comme construit dans du papier mâché. Mais ce fut l'odeur qui frappa le plus Khanna. Une odeur de...

- Peut-être qu'ici rien n'a l'air réel, mais on ne peut pas nier ça, souffla Benno en la poussant en avant.
Khanna marcha lentement sur le sol détrempé jusqu'au bord de la falaise. La faille faisait trente mètres de large et fendait la plaine à perte de vue, aussi bien à gauche qu'à droite. De l'autre côté, la même étendue grise semblait s'étaler à l'infini.
La jeune fille baissa les yeux en s'attendant à trouver un fleuve coulant quelques centaines de mètres plus bas. Elle ouvrit la bouche, tout d'abord aucun son n'en sortit, puis un hurlement déchirant mêlé de larmes et de hoquets d'horreur. Elle serait tombée si Benno ne l'avait pas retenue.
Dans le trou, aussi loin que l’œil pouvait porter, s'entassaient des centaines, des milliers de cadavres qui se perdaient dans la brume.

- Je t'avais dit que ce serait dur, dit Benno. Allez, on s'en va, je crois que tu en as vu assez.
Khanna, en état de choc, parvint cependant à parler :
- Ces gens, ce sont tous ceux qui...
Benno lui épargna de formuler sa question.
- Toutes leurs victimes, depuis le commencement. Ceux qui ont essayé de revenir à l'Autre Monde. Tous ceux qui ont osé, bas ou fort, émettre la moindre protestation. Ceux qui ont douté. Et enfin ceux qui, à cause de leur fidélité, sont morts de douleur en s'obligeant à rester. Leurs corps, même les plus anciens, reposent dans cette faille... Car ici il n'y a rien d'autre, pas même un microbe. Elle ne peut pas les faire disparaître, ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais son pouvoir n'est pas assez grand pour les détruire... la mémoire est toujours la plus forte, Khanna, même contre de tels adversaires...
La jeune fille ne pensait plus qu'à marcher. Elle avait peur de laisser libre cours aux horreurs qui tourbillonnaient dans sa tête.
- Benno, cette séparation n'est pas naturelle, dit-elle finalement. Il faut la faire cesser, il faut réunir les Deux Mondes. Mais pour cela, je dois découvrir le secret et trouver un pont, vite... Je ne peux plus supporter cette sensation de vide au fond de moi.
- Hélas, soupira Benno, des générations de Résistants ont cherché une solution sans jamais la trouver... mais je sens une aura de puissance autour de toi. Tu as du pouvoir, un pouvoir peut-être. Et tu dois avoir un rôle à jouer. Prions pour que ce soit celui-là.

Quand poussèrent la porte écaillée de l'immeuble de la Résistance, Shali se jeta sur Khanna, qui tremblait de tous ses membres, pour l'obliger à s'asseoir dans un fauteuil. Elle lui donna immédiatement une couverture et un bol de chocolat chaud.
- Pauvre gamine ! s'énerva-t-elle. L'emmener voir ça sans prévenir !
- Ne vous inquiétez pas, Shali, dit Khanna, reconnaissante. De toute façon, je vais repartir.
- Peut-être, dit la jeune femme avec autorité, mais pas ce soir. Pour le moment, tu as besoin de manger et d'une bonne nuit de sommeil.
Elle la frictionna, puis l'emmena dans une salle d'eau étroite pour lui faire prendre un bain brûlant, dont les vapeurs parfumées l'engourdirent. Khanna mangea en silence une assiette de ragoût, et n'eut pas le temps de repenser à ce qu'elle avait vu que ses paupières se fermaient déjà.

*********


- Je vais te préparer un sac, alors, dit Shali d'un ton désapprobateur avant de monter l'escalier à la vitesse de la lumière, laissant Khanna et Benno seuls devant la porte.
Dehors, il faisait déjà nuit. Khanna avait dormi presque vingt-quatre heures d'affilée, et insistait pour partir sur le champ pour profiter de l'obscurité.
A l'autre bout de la pièce, son reflet la regardait pensivement depuis un grand miroir en pied. Son apparence n'était guère reluisante, malgré les vêtements propres que Shali lui avait prêtés. Ses bras et ses joues étaient couverts d'éraflures et son air morose assombrissait son visage.
Mais le plus alarmant, c'était la couleur de sa peau et de ses cheveux. Tout en elle pâlissait et se couvrait d'une mince pellicule brillante. Elle virait à l'argent. Seuls ses yeux n'avaient pas encore entamé leur changement, restant fidèlement bleu-vert.
- Bon, de toute façon je ne vais pas à un défilé de mode, soupira-t-elle en tentant tout de même de coiffer ses cheveux rebelles. Cette apparence négligée la rendrait-elle plus repérable ?
On entendait Shali s'affairer à l'étage.
- Khanna, dit soudainement Benno, si tu souhaites partir si vite, c'est que tu as une idée en tête, n'est-ce pas ?
La jeune fille hésita, puis décida de le mettre au courant.
- Je voudrais savoir s'il n'y a pas un autre moyen de quitter ce monde que de rêver. Il faudrait essayer une porte, celle des deux pointes. Découvrir ce qui ce passe quand on la franchit.
Elle ajouta avec un sourire amer :
- La dernière fois, je me suis retrouvée dans ma propre tombe. Que va-t-il m'arriver maintenant ?
Mais elle ne dit pas à Benno qu'elle voulait aussi, et peut-être avant tout, essayer de retrouver Raphael.
- Eh bien, dit l'homme, je crois que tu n'as peur de rien, Khanna. Puisse la chance te venir en aide !
A ce moment, Shali descendit l'escalier à toute vitesse, portant un gros sac à dos.
- Voilà, dit-elle, tu devras te débrouiller pour laver tes vêtements et remplir ta gourde, mais sinon tu as de la nourriture pour plusieurs jours, une couverture, de quoi faire ta toilette et un plan de la ville.

La gorge nouée, Khanna fit de rapides adieux à ses amis en leur recommandant de saluer tous les membres de la Résistance. Bonne chance à tous, pensa-t-elle. Elle avait peur de trop s'attarder.
Deux minutes plus tard, elle se retrouva seule dans une rue déserte, le stress et l'angoisse lui serrant le cœur. La présence de Raphael lui manquait cruellement, mais comme il n'y avait rien d'autre à faire, elle se mit en marche, en se cachant dans l'ombre, vers la porte des deux colonnes d'argent.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptySam 1 Sep - 5:11

Me voici de retour avec un nouveau chapitre pour ceux que ça pourrait intéresser !

Chapitre 8

Enfin !
Devant elle se dressait cette porte tant attendue, qui ressemblait bien à sa dernière chance. Derrière, le brouillard. Mais elle se persuada qu'il s'agissait d'une illusion, et se représenta le désert vu tant de fois. Elle s'accrocha tant bien que mal à cette idée et s'avança d'un pas décidé. Mais elle s'arrêta aussitôt, à demi étonnée.
La voix bien connue résonnait dans sa tête.
Ne vas pas par là. Il n'y a rien que l'horreur, le néant. Les pires choses que ton esprit imagine.
Khanna se retourna mais ne le vit pas. Elle lança, exaspérée :
- Tu sais, ce n'est pas la peine de te cacher aux gens quand tu parles dans leur tête, ce n'est pas très logique. Allez, montre-toi, tu as la frousse ou quoi ?
Raphael sortit de derrière un buisson et la jeune fille fut frappée par sa mauvaise mine. Il était pâle, le visage amaigri, les yeux cernés jetant partout des regards de bête traquée. Khanna remarqua que ses couleurs aussi semblaient changer légèrement : les vêtements plus clairs, les cheveux un peu scintillants.
- Qu'est ce que tu es têtue, dit-il à voix haute, je croyais que tu avais compris qu'on ne pouvait pas passer par là.
- Je suis bien décidée à essayer, pourtant, et ce n'est pas toi qui me fera changer d'avis, lança Khanna d'un ton cinglant. Pas après ce que tu as fait !
- Je sais plus de choses que toi, dit-il de sa voix profonde, et j'ai des raisons pour faire ce que je fais. Tu ne pourrais pas comprendre.
- Tu aurais quand même pu prévenir.
Il s'avança jusqu'à lui faire face. Il était vraiment plus grand qu'elle.
- En vérité, tu ne sais pas grand-chose de moi. Je possède des pouvoirs que tu n'oserais pas imaginer. Je peux tuer d'un seul regard.
Elle avait du mal à continuer à le regarder en face. Elle se sentait comme hypnotisée, pétrifiée. Son cœur battait si vite que ça lui faisait mal.
Puis elle cligna des yeux, se secoua les neurones, et gifla Raphael à toute volée.
- Eh bien, dit-elle en riant, on dirait que tes pouvoirs -que, je te rappelle, tu prétendais avoir perdus- n'ont qu'un effet limité sur moi !
Raphael, un peu ébranlé, insista :
- Khanna, je te répète qu'il n'y a rien derrière. Juste la brume, la solitude qui rend fou parce que tu n'entends plus que tes propres pensées. Je le sais, je peux te le dire maintenant, je suis arrivé par là ! J'y suis passé des dizaines de fois avant d'atteindre la Cité, et je n'ai jamais pu faire demi-tour vers l'Autre Monde !
- Mais bon sang, moi aussi je suis arrivée par là ! répliqua Khanna. Et je te dis que là, derrière, il y a un désert avec un temple noir au bout. Un énorme soleil rouge, du sable comme du verre pilé, et un temple à moitié en ruine couvert de runes étranges. Je le sais, moi aussi j'y suis allée, et souvent ! Alors tu peux soit accepter que je puisse dire une autre vérité que la tienne, essayer de me suivre et m'aider, soit aller voir ailleurs si j'y suis ! Mais d'après ce que j'ai compris, tu n'as pas grand-chose à perdre !
Elle le fixa durement avec un mélange de colère et d'espoir. A présent, c'était lui qui avait envie de baisser les yeux, et il semblait avoir un peu rapetissé.
- Bon, d'accord, mais c'est parce que c'est toi. Il faut bien chercher des solutions, non ?
Khanna se retint de lui sauter au cou et se contenta de l'entraîner vers la porte avec enthousiasme. Sans lui laisser le temps de faire un geste.
- Tout de suite ?
- Evidemment ! On ne va pas attendre trois heures !
Khanna...
- MAINTENANT !

*********

Et ce fut exactement comme l'avait décrit Raphael. Une brume froide, et pourtant cette horrible impression d'étouffer. La seule sensation qui persistait était la présence de la main du jeune garçon dans la sienne, mais cette dernière avait l'air de s'effacer...
- Non ! cria Khanna sans vraiment savoir pourquoi. Ce n'est pas vrai !
Sa voix lui semblait à peine un murmure, étrangement lointaine.
Je te l'avais dit... on va essayer de faire un pas en arrière.
Khanna, malgré tout, hurla de plus belle :
- Non ! Ici il y a un désert de sable de verre, avec des rocher noirs et pointus...
Est-ce que c'était elle ou sa voix devenait plus claire ?
- Il y a un soleil rouge, énorme et brûlant...
Elle discernait maintenant une lumière diffuse qui se répandait autour d'elle, semblant souffler sur la brume.
- Il y a, très loin, un temple de pierre noire et derrière ce temple s'ouvre un autre monde !
C'était clair maintenant. La brume se dissipait, il faisait plus chaud, et la lumière douce qui émanait de la jeune fille fut bientôt éclipsée par celle d'un éclatant soleil. La voix de Khanna devenait de plus en plus forte, faisant vibrer chaque objet.
Raphael, qui à présent la voyait parfaitement, se plaqua les mains sur les oreilles et voulut lui parler par la pensée, mais elle n'entendait rien. Il la secoua en hurlant :
- C'est bon, ça suffit ! Réveille-toi !
Khanna cessa de crier, mais l'éclat de sa voix continua de résonner dans l'air.
- J'ai mal à la gorge, murmura-t-elle sans ouvrir les yeux, et elle s'évanouit aussitôt.

Elle se réveilla à l'ombre d'un grand rocher ; il faisait jour, mais le soleil rouge n'avait pas encore atteint son zénith. Raphael, qui apparemment était resté à son chevet, avait fini par s'endormir en prenant ses jambes comme oreiller. Un peu gênée, Khanna essaya de ne pas le réveiller, mais il était trop tard : il se releva prestement, les yeux gonflés, les cheveux en bataille, et encore la marque du tissu plissé sur la joue.
- Désolé, franchement, dit-il d'une voix un peu endormie.
Khanna voulut répondre, mais dès qu'elle tenta de mettre de l'ordre dans ses idées, des étoiles dansèrent devant ses yeux et ses bras flageolèrent.
- Hé ! Ca ne va pas ?
- Je me sens épuisée... et ça fait longtemps que je n'ai rien mangé... depuis combien de temps je dors ? Trois heures ?
- Tu rajoutes vingt-quatre heures et tu as le compte, répondit Raphael en riant. Oui, tu devais vraiment être très fatiguée. Remarque, faire surgir un monde, ce ne doit pas être de tout repos, ajouta-t-il d'un air docte.
- Quoi ? Tu crois que...
- Je crois ce que je vois ! Alors je ne sais pas comment tu veux appeler ça, s'écria-t-il en désignant le désert d'un geste large, mais en tout cas c'est surgi de nulle part, et par ton seul pouvoir !
Il parlait d'un ton étrange, plus aigu que d'habitude, presque hystérique. Khanna, qui mangeait avec ardeur un sandwich au bœuf séché, s'interrompit :
- Qu'est-ce que tu as ? Tu as compris quelque chose ?
- J'ai déjà vu ça, répondit le jeune garçon brusquement et sans la regarder, comme parlant à lui-même.
- Ah oui ?
- Freda. Freda avait un pouvoir semblable.
- Quoi ? Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ? C'est super important !
- Oui, je sais, l'interrompit Raphael en plissant les yeux. Mais je ne savais pas vraiment... je viens juste de me souvenir, j'avais cru la voir une fois...
Il parlait maintenant très vite, comme s'il tentait de suivre sa pensée, et imperceptiblement il cessa de s'exprimer à voix haute, les paroles cédant la place à des images confuses qui se précisaient.
Khanna voyait un souvenir par les yeux de Raphael.

Elle se trouvait sur un surplomb et observait à travers des barreaux sculptés une place en contrebas. Elle devait être sur un balcon et avait l'impression de contempler une des cours intérieures du palais qu'elle avait traversées parfois. Une jeune femme, de trois quarts, était assise à genoux par terre, les yeux fermés. Khanna reconnut Freda avec quelques années de moins. Son visage se contractait en une expression de passion rageuse et d'extrême concentration. Ses lèvres murmuraient des mots incompréhensibles, ses mains esquissaient des gestes vagues. Un sourire s'étira sur son visage tandis que tout, autour d'elle, devenait plus brillant, comme si de l'argent liquide s'était répandu sur les murs de la cour.
- Elle est en train de modifier le palais, murmura le Raphael du souvenir en relevant la tête.
Un endroit dans le mur d'en face brilla intensément pendant quelques secondes, mais ce fut tout. Cependant le changement n'échappa pas au jeune garçon qui pensa sourdement :
Une nouvelle pièce, secrète, pour cacher quelque chose ? Mais alors, jusqu'où va-t-elle ? Jusqu'où peut-elle aller ?
Tout se mit à tourbillonner, et Khanna eut clairement l'impression que Raphael voulait sortir de sa tête, mais elle tint bon. Elle voulait savoir la suite.
D'abord une première image : une ruelle sombre par une nuit sans étoiles. Raphael s'avance à pas de loup vers une porte fermée et ne colle même pas son oreille à la serrure pour entendre ce qu'un couple se dit derrière le battant. Il ne s'agit que de murmures, et pourtant chaque mot lui parvient avec une acuité incroyable.
- Cette folie a assez duré, chuchote l'homme. Demain, je rejoindrai le groupe des grévistes, et j'essaierai... même si cette tentative est vouée à l'échec...
- Non... répond une voix de femme. Tu te ruineras la santé... sacrifierais-tu notre vie pour...
- Quelle vie veux-tu mener ici ? Avoir peur chaque minute, l'ombre de l'Ecorcheur qui plane sur nous…
Le souvenir s’estompa pour faire place à un autre. Cette fois Raphael marchait d’un pas vif dans la même ruelle, à la lueur de la lune. Il ralentit quand il passa devant la porte, puis s’arrêta. Khanna comprit qu’il augmentait la sensibilité de son ouïe jusqu’à percevoir le moindre bruissement d’insecte, le moindre souffle d’humain. Khanna ne comprenait pas ce qu’il cherchait jusqu’à ce que le jeune garçon laisse échapper cette pensée malgré tous ses efforts pour la retenir :
Pas un bruit, pas une respiration. Rien.
Khanna se pétrifia et relâcha la pression qui obligeait Raphael à partager ses pensées avec elle. Les paroles de Benno lui revenaient douloureusement en mémoire : « Le pire, c’était L’Ecorcheur. Un homme puissant, ou plutôt un monstre dont on disait qu'il pouvait tout voir et tout entendre, et qui semait la mort sur son passage... »
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptySam 6 Oct - 11:53

dsl ça fait vraiment trop longtemps que je n'ai pas posté ^^
J'ai honte Embarassed enfin

Chapitre 9

Khanna se rendit à peine compte de ce qu’elle faisait. Elle hurla des flots d’injures à l’intention de Raphael, elle le secoua, le frappa et le poussa violemment par terre en pleurant de rage. Dans un mouvement convulsif, elle plongea la main dans son sac, s’emparant du couteau que Shali avait eu soin d’y placer, et l’appuya légèrement sur la gorge du jeune garçon. Se maîtrisant avec peine, elle pointa sur lui un doigt accusateur :
- Je veux la vérité, toute la vérité, ordonna-t-elle d’un ton sans appel.
- Que veux-tu que je te dise de plus ? dit Raphael d’un air sombre.
- Tu étais leur complice depuis le début, c’est ça ? Réponds ! Tu les as aidés à commettre toutes ces horreurs, combien en as-tu massacré froidement de cette façon ? Beaucoup, sans doute, pour que tu deviennes l’Ecorcheur, celui qui sème la mort sur son passage !
- Arrête ! cria Raphael en se bouchant les oreilles.
- Mais réponds alors ! Ose le nier ! Tu es là pour me tuer, c’est ça ! Eh bien…
Elle n’arrivait plus à contrôler ses sanglots. Elle se laissa tomber sur le sol, secouée de hoquets. Raphael, désemparé, s’agenouilla à côté d’elle. Des larmes pointaient à ses yeux.
- Khanna, si j’avais voulu te tuer, je l’aurais déjà fait… si je suis là en ce moment, c’est pour essayer de t’aider, de réparer -un peu- les crimes que j’ai commis quand j’étais au service de Freda… je ne veux pas faire l’innocent, je sais que c’est horrible, mais je ne les ai pas tués…
Khanna releva la tête et on aurait dit qu’elle allait lui cracher à la figure. Il se dépêcha d’enchaîner :
- J’espionnais pour le compte de Freda. Tu comprends, j’ai le don de voir et d’entendre. Alors je me baladais dans les rues, sans qu’on me voie, j’écoutais et le matin je faisais mon rapport…
- Et les gens ont disparu comme ça, par magie ?
- Mais non ! Enfin je ne sais pas comment tu veux appeler ça… tu ne comprends pas ? C’est Freda ! Elle a un pouvoir absolu sur tout et tout le monde, elle peut tuer d’un claquement de doigts ! Mais ça, je ne le savais pas, je pensais qu’elle voulait juste les surveiller de plus près, ce qui aurait été très logique ! Ce que tu ne comprends pas, Khanna, c’est que j’étais prêt à tout pour séparer les Deux Mondes... et si j’avais réussi, les gens auraient en effet cessé de souffrir, j’en suis sûr ! Je sens leur douleur aussi fort que toi, et je sais que nous n’avons jamais été plus près de la séparation qu’au temps ou j’espionnais pour Freda... mais lorsque je me suis rendu compte de ce que je faisais, je n’ai pas eu le courage de continuer... peut être qu’au fond je savais que nos efforts étaient voués à l’échec, sinon je ne me serais pas enfui...
Un long silence s’installa. Khanna s’était un peu calmée.
- Trop de gens sont morts à cause de ce monde et de sa folie, dit-elle au bout d’un moment. J’ai vu leurs corps, dans la brume ou Freda espérait les cacher et les oublier. Mais ces cadavres restent, et ils nous parlent... ils nous disent d’arrêter d’aller contre la nature, de ne plus refuser aveuglément de sentir la souffrance autour de nous. Ce monde a un parfum de mort, Raphael, tu le sens bien toi aussi...
Le jeune garçon avait baissé la tête. Il serrait les lèvres et des larmes silencieuses coulaient sur ses joues.
- Je te fais confiance, à toi, dit-il. Je ne peux plus avoir confiance en moi. Depuis le début j’ai voulu t’aider, car toi, toi seule est en mesure de lutter contre Freda... tu n’as même pas peur d’elle...
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais Khanna sentit une bouffée de courage l’envahir.
- Tu as raison, dit-elle. Mais explique-moi, pourquoi tu t’es enfui quand Benno me parlait ?
- Quand ils parlaient de l’Ecorcheur, je me suis dit... peut-être que certains d’entre eux ont perdu des parents à cause de moi... j’ai eu l’impression qu’ils allaient me voir.
- Mais personne ne peut te voir !
Raphael resta silencieux.
- Sur ça aussi, tu m’as raconté des histoires ? Dis-moi la vérité, qu’on en finisse !
- Je... je me cache aux yeux des gens. Tu comprends, j’ai le don de voir et d’entendre, mais aussi celui de transmettre, je peux donc persuader que « je ne suis pas là, je n’existe pas... » . On peut dire grossièrement que j’ai la possibilité de me rendre invisible. Mais ça ne marche ni avec toi, ni avec Freda, ni quand je suis trop fatigué, ni quand ma volonté faiblit... comme à ce moment là.
- Tu veux dire que, si personne ne te voit, si tu ne peux communiquer avec aucun être humain, c’était... volontaire ? Mais pourquoi ?
- Qu’est ce que tu aurais fait à ma place ? Freda croyais que j’étais mort, elle me laissait tranquille. Crois-tu que j’avais envie de parler à quiconque après ce que j’avais fait ?
- Tu aurais pu te montrer ! Aider le peuple à se soulever !
- C’est loin d’être aussi simple. Les gens, ici, sont profondément analphabètes et très croyants. Pour eux, Freda, est comme une déesse ! Ils se sont accommodés de son régime de terreur comme de leur douleur constante, qui est à leurs yeux une épreuve pour avoir le droit de vivre dans cette cité, qu’ils nomment terre promise ou paradis sur terre. Freda maintient tout ça en place...
- Tu veux dire que c’est elle qui à créé la ville ?
- Non, surtout pas, grogna Raphael. Elle la déforme comme de la pâte à modeler, dans la limite de l’énergie qu’elle possède, mais elle n’a rien créé. Celle avec laquelle tout a commencé, la Créatrice, était une véritable maîtresse de la matière, et Freda ne fait que maintenir son œuvre, comme toutes les autres Gardiennes avant elle. En vérité, tout cela n’est qu’une chimère, une immense illusion. T’es-tu jamais rendu compte à quel point ce monde est illogique ? Il n’y a animaux, ni plantations, et pourtant tu mange à ta faim ! Et pourquoi ? Tout simplement parce que Freda remplit les supermarchés. Ca peut sembler dément, mais ici c’est normal...
- Tu m’étonnes après que Freda soit considérée comme une déesse !
- Oui... et ce n’est pas tout. Il y a aussi cette histoire... pas une simple légende, car je l’ai entendue de quelqu’un qui l’a vu et vécu.
Celle qui a précédé Freda, Carria, a été victime d’un attentat qui l’a grièvement blessée et a perdu le contrôle de la Cité. Les murs ont commencé à s’écrouler, pour ne plus former que des collines de sable qui étouffaient les gens en s’effondrant... une vision cauchemardesque... la fin du monde !
A ce moment, Freda, qui était très jeune à l’époque – à peine seize ans je crois – est apparue sur une des tours du palais et a sauvé la Cité in extremis en manquant d’y laisser sa vie. Carria était en train de la former pour qu’elle prenne sa place. Freda a pris conscience du danger que représentaient les « traîtres » et a aussitôt ordonné des mesures très sévères contre ceux-ci... c’est vrai, on a jamais été aussi près de la séparation qu’en ce temps de terreur. Depuis que je l’ai quittée, Freda s’est un peu calmée... il faut dire que depuis la généralisation du Poison, il est plus difficile de se rebeller. Mais s’il y avait autrefois de la confiance entre la maîtresse de la Cité et les habitants, elle a aujourd’hui totalement disparu. Ne reste que la crainte, la haine, et même plus de respect...
Mais Khanna, avec toi, un nouvel espoir est apparu ! Tu as réussi à tenir tête au pouvoir de Freda, quand tu as dissipé la brume. Tu te rends compte de ce que cela signifie ?
- Mais je ne sais pas comment tirer la population des griffes de Freda ! protesta Khanna. Et elle a surement une remplaçante, peut-être encore plus cruelle qu’elle.
- Khanna, c’était toi qui devais prendre sa succession ! Qui d’autre ? Tu pourrais prendre les rênes de la Cité, et...
- Opérer la grande séparation ? Non, Raphael, je t’ai déjà dit ce que je pensais là-dessus. Les habitants de cette ville maudite souffrent assez comme ça, pas seulement à cause de Freda, mais surtout parce qu’ils ont été arrachés à la terre de leurs ancêtres, l’Autre Monde... non, il ne faut pas séparer les Deux Mondes...
- Mais tu as une idée ?
Khanna hésita.
- Je... je voulais essayer de trouver un pont vers l’Autre Monde. Tu comprends, je suis arrivée par ce désert, alors... c’est mon dernier espoir. Et puis, si Freda empêche si farouchement quiconque de sortir par cette porte, il doit bien y avoir une raison...
- Elle doit être furieuse, soupira Raphael d’un air maussade. Je veux dire, encore plus qu’avant.
- Raison de plus pour se mettre en route ! s’écria Khanna. Avant qu’elle ne nous rattrape !
Elle essaya de se mettre debout et Raphael la soutint, mais elle vacilla.
- Tu es sûre que tu peux marcher ?
- Oui, mais pas avec mon sac à dos, et pas trop vite.
En vérité, elle n’était sûre de rien. Non seulement elle se sentait épuisée, malgré les longues heures qu’elle avait passées à dormir, mais tous ses muscles lui faisaient atrocement mal. Elle en aurait pleuré, mais elle ne voulait pas inquiéter Raphael.
- Bon, on va par où ? lança ce dernier d’un ton enthousiaste.
Khanna pointa du doigt vers l’est.
- On cherche un temple noir. Je compte sur ta vue hors du commun pour le repérer...
- Ma vue est exceptionnelle ! Mais rassure-toi, je ne vois pas à travers les vêtements...
Khanna eut un sourire qui ressemblait à une moue ironique. Raphael lui sourit en retour, essayant comme elle de surmonter son pessimisme. Car il fallait bien l’admettre, l’immense étendue de sable sous le soleil étouffant n’avait rien de réjouissant.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 18 Nov - 12:39

Chapitre 10

Cela faisait bien trois jours qu’ils avançaient péniblement dans le sable brillant, et aucun temple noir en vue. Le paysage demeurait imperturbablement le même : rochers pointus, çà et là un buisson rabougri, de temps en temps une source bienvenue, et la lumière aveuglante du soleil rouge. Les journées aussi s’étiraient en longueur, au point de perdre la notion du temps. Leurs provisions avaient diminué de manière inquiétante, et tous deux ne savaient pas où ils trouvaient l’énergie de marcher, entre la chaleur accablante et la faim qui leur tiraillait le ventre. Mais il y avait plus grave.
Au lieu de se dissiper, la douleur dans les muscles de Khanna n’avait cessé d’augmenter, jusqu’à l’empêcher de réfléchir ou même de parler. Elle ne s’exprimait que par monosyllabes en se concentrant sur ses pieds. Elle tentait de dissimuler son état mais Raphael, lui, ne cachait rien de son inquiétude pour elle, et il avait pourtant des problèmes lui aussi. Son corps perdait peu à peu ses couleurs originelle pour revêtit le même aspect métallique que tout le reste. Khanna avait l’air de mieux résister. Ils savaient, l’un comme l’autre, qu’ils étaient en train de succomber au pouvoir de Freda. Et Khanna sentait aussi que quelque chose clochait dans leur progression. Ils avançaient toujours dans la bonne direction, et pourtant subsistait cet insupportable sentiment de tourner en rond...

Quand ils s’arrêtèrent comme chaque soir au pied d’un rocher pour dormir, Khanna décida de parler de ses angoisses à son compagnon.
- Raphael, je ne sais pas si on fait bien de continuer comme ça, dit-elle enfin.
- Toi aussi tu le ressens ? Comme si quelque chose n’était pas logique ?
- Exactement...
- Et sa menace qui pèse sur nous... murmura Raphael. Je crois que je suis déjà sous son contrôle, ou presque, mais toi ? Je m’inquiète énormément, tu as l’air de tellement souffrir... qu’est ce que tu as ?
- J’ai mal, si tu savais... je ne sais pas d’où ça vient... ça a commencé au moment où j’ai dissipé la brume, mais je sais, au fond, je sais que c’est elle...
Raphael resta silencieux. S’il comprenait la gravité de la situation, il avait tout de même l’air soulagé qu’elle se confie enfin.
Ce fut Khanna qui osa exprimer l’évidence qui sourdait au fond d’eux.
- On fait fausse route. Je sais ce qui se passe. Elle s’est arrangée pour qu’on ne trouve jamais, et elle attend patiemment que nous mourrions dans ce désert...
- Je crois qu’elle a peur de toi, dit brusquement Raphael. Sinon, elle aurait pu employer des méthodes bien plus violentes. Sans oublier que pour l’instant, elle n’a quasiment pas d’emprise sur toi... mais si on veut sortir d’ici, il n’y a pas trente-six solutions... il va falloir utiliser ton pouvoir.
- Mais comment faire ?
- Tu ne pourrais pas... essayer de le faire apparaître, ce fameux temple noir ?
Le visage de Khanna s’éclaira.
- On peut tenter, dit-elle. C’est toujours mieux que rien. Mais toi, de ton côté, il faut que tu le repères...
- C’est ce que j’essaye de faire depuis qu’on est partis, grimaça Raphael. Mais je ne vois rien, Freda l’a rendu complètement invisible.
Les deux avaient la gorge nouée, ils n’arrivaient pas à trouver des mots encourageants ou réconfortants. Il n’y avait de toute façon pas grand-chose à ajouter. Khanna finit par entourer Raphael de ses bras et lui pressa brièvement l’épaule. C’est alors seulement que chacun se rendit compte à quel point ils allaient mal : ils étaient tout deux pâles et fiévreux, le corps parcouru de frissons, et faibles, si faibles... Khanna songea que si Raphael n’avait pas été là, rien ne l’aurait empêchée de se laisser tomber dans le sable pour ne plus jamais se relever, ne serai-ce que pour arrêter ce mal de tête...

Vite, Khanna s’assit en tailleur, adossée à un rocher, pour ne pas s’accorder le temps de douter ou d’avoir peur. Elle ferma les yeux et tenta de retrouver le sentiment d’urgence qui l’avait submergée la première fois. Elle visualisa le temple tel qu’elle s’en souvenait, noir, massif, imposant. Comme elle ne savait pas trop comment s’y prendre, elle commença à psalmodier à voix basse :
- Je veux ce temple, je sais qu’il existe et qu’il est tout près, je l’ai vu de mes yeux...
Aussitôt la douleur irradia dans son cerveau, mais déjà elle la ressentait avec un étrange détachement, elle partait si loin...
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 18 Nov - 12:42

Chapitre 11

Elle voyait le temple comme s’il se trouvait devant elle. Elle aurait pu le toucher de la main, et pourtant elle sentait un mur invisible, un obstacle infranchissable. Puis une immense vibration de pouvoir se fit sentir, submergeant la fragile vision de Khanna, et en face d’elle apparut Freda, parfaitement distincte au milieu de la brume. Bien qu’assise en tailleur comme Khanna, la jeune femme paraissait infiniment plus haute et imposante. Ses traits étaient déformés par la concentration, mais ses yeux se perdaient dans le vague.
Elle ne me voit pas encore, comprit Khanna. Ce n’est pas plus mal.
Il y eut une sorte d’éclair, et la jeune fille vit clairement l’énergie de Freda qui s’appliquait sur chacun des objets qui l’entouraient, comme une fine pellicule argentée. Khanna avait toujours les yeux fermés, mais par ce rayonnement, elle distinguait tout ce qu’il y avait autour d’elle : le sable du désert et, au loin, le temple noir. Quand aux murs de la Cité, ils semblaient être composés uniquement de lumière. La jeune fille jeta un coup d’œil à sa propre peau, qui ressemblait à ce qu’on obtient quand on essaye de colorier du plastique avec un feutre. Son regard s’attarda sur Raphael, maintenant complètement recouvert par une épaisse couche de cette substance argentée, malsaine. Il la regardait, les poings serrés comme prêt à la défendre contre un ennemi invisible. Cela donna du courage à Khanna. Elle se jeta mentalement sur la grande bâtisse noire et s’attaqua au voile argenté qui l’entourait avant que Freda ait pu faire un geste ou se rende compte de sa présence. La jeune fille criait pour appuyer sa volonté :
- JE LE VOIS, CE TEMPLE, ET JE VEUX LE MONTRER AU GRAND JOUR !

Son rayonnement à elle jaillit de son corps et attaqua convulsivement le voile d’argent... il n’avait aucune couleur particulière mais cherchait juste à faire apparaitre la vérité... Freda cédait du terrain. Elle avait maintenant pris conscience de la présence de Khanna au fur et à mesure que le pouvoir de celle-ci se répandait, mais elle réagit trop tard. Dans un dernier soubresaut, l’énergie de la jeune fille absorba le filet qui entourait le temple. Khanna hurla alors de toutes ses forces :
- ET LACHE RAPHAEL ! LACHE-LE ! LAISSE-LE LIBRE !
Elle déchira la gangue qui enserrait Raphael tout en se défendant bec et ongles contre Freda qui fondait sur elle... son visage si près du sien, tellement qu’elle pouvait lire dans les yeux métalliques de la jeune femme...
Pauvre petite folle. Tu ne t’aperçois même pas que tu es en train de mourir.
Un voile noir s’abattit devant les yeux de la jeune fille et sa pensée se brouilla. Elle eut l’horrible impression de tomber dans le vide et reprit conscience d’une douleur insoutenable qui brûlait son corps... elle ne s’en était pas rendu compte.
Khanna. Hoé, Khanna ! Ca va aller maintenant. Ca va passer. Tu as réussi.

Elle ouvrit les yeux, découvrit avec un soulagement indescriptible le visage de Raphael penché sur elle. Il avait l’air fatigué mais étrangement apaisé, et Khanna mit quelques secondes à comprendre que Freda n’avait plus d’emprise sur lui. Elle-même avait toujours aussi mal, mais il s’agissait seulement de crampes qui déjà s’estompaient pour céder la place au simple épuisement. Raphael, le regard enfin libre, lui souriait. Elle se blottit dans ses bras et s’endormit comme ça.

Le soleil était déjà haut dans le ciel quand Khanna se réveilla. Elle se redressa en grimaçant et étira ses membres ankylosés. Ses articulations craquèrent, mais tout semblait en état de marche.
- Ca doit être vachement crevant de faire ce que tu fais, commenta Raphael. Alors, qu’est ce que ça faisait ? Je veux dire, est ce que ta vision des choses a changé ?
- Eh bien... j’ai vu son pouvoir à elle. C’est un rayonnement qui part de son corps et donne à tous les objets cette couleur argentée. Mais le mieux, c’est que je voyais le véritable aspect de la Cité, celui qu’elle aurait eu sans le pouvoir de Freda et sans celui de la « Créatrice » dont tu as parlé.
- Elle ressemble à quoi ?
- Du sable... un immense désert comme celui dans lequel nous nous trouvons...
- Moi aussi, j'ai ressenti le pouvoir de Freda, murmura Raphael. C'est effrayant, sa menace pèse partout... Mais en tout cas, tu lui en a fait voir de toutes les couleurs !
- Je ne crois pas. Elle ne faisait que cacher le temple, elle ne possédait sur lui qu'une influence limitée, comme si elle en avait peur. Il doit renfermer quelque chose de particulièrement important et puissant.
- Elle a quand même lâché prise !
- Je n'étais pas seule. J'ai l'impression - c'est peut-être un peu idiot mais bon - que le temple lui-même cherchait à se libérer de l'emprise de Freda.
- Et pour moi alors ? demanda Raphael.
Khanna considéra le jeune garçon et se posa la question. Elle n'avait rien fait d'autre que d'ordonner avec véhémence à Freda de le délivrer, et pourtant... elle avait vraiment eu le sentiment de déchirer le piège où elle l'avait enfermé.
- Eh bien, hésita-t-elle, tu étais entouré d'une sorte de filet. Ca te serrait jusqu'à t'étrangler, ça laissait des marques de fer rouge sur ta peau, comme si ça voulait rentrer à l'intérieur de toi...alors je l'ai arraché. C'est tout. Ca t'a fait mal ?
- Comme quand on enlève une épine d'une plaie, sourit Raphael, c'est une douleur qui fait du bien. Toi, par contre, tu avais l'air de souffrir abominablement...
- Tant que tu sens la douleur, ça va. C'est la preuve que tu es en vie, dit Khanna très sérieusement.
- Bon, on va le voir, ce temple ? je l'ai repéré à quelques kilomètres.
Khanna bondit sur ses pieds.
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ? Fonçons ! fit-elle en riant.

Elle ne pouvait pas dire le contraire : elle avait tenu tête à Freda ! Cette vérité dissipa sa fatigue et la remplit d'une vigueur nouvelle. Mais elle était aussi heureuse pour une autre raison. Elle regarda Raphael qui commençait déjà à marcher devant, détaché du poids qui l'accablait et soudain beaucoup plus vivant. Il dégageait une sorte de rayonnement, lui aussi, comme une aura. Khanna se demanda tout à coup s'ils n'allaient pas se quitter bientôt. C'était probable, mais elle n'arrivait pas à se faire à cette idée. Elle aurait voulu lui en parler, mais pour l'instant il fallait se préoccuper d'autre chose : le temple noir se dressait devant eux, comme elle s'en souvenait, à moitié enfoui dans le sable mais tout de même magnifique, sobre en restant mystérieux.

Khanna prit les devants et franchit le seuil d'un pas décidé, tout en jetant des regards respectueux autour d'elle. Le bâtiment était complètement vide et nu, leurs pas résonnaient sur les dalles veinées de rouge, et l'écho de leurs murmures se prolongeait longtemps.
La jeune fille se sentit soudain un peu ridicule, car elle ne savait pas exactement ce qu'elle était venue chercher ici. Elle ressentit néanmoins comme une... vibration dans l'air, un bourdonnement. Elle savait qu'elle était proche de quelque chose, mais quoi ?
Elle s'approcha instinctivement d'un mur couvert comme les autres de signes cabalistiques. Khanna observa plus attentivement et remarqua avec étonnement que les écritures figuraient dans une multitude de langues différentes, car les alphabets ne se ressemblaient pas du tout. La jeune fille chercha fiévreusement des lignes qu'elle puisse lire, en faisant machinalement courir ses doigts sur les pierres gravées. Ses yeux s'arrêtèrent un instant sur un passage en anglais, et elle se maudit de ne jamais avoir pris la peine d'apprendre ses cours. Elle fit deux fois le tour de la pièce avant de trouver un passage en français, situé si haut qu'elle avait peine à le déchiffer.
Dieu est descendu sur Terre à travers elle et de ses doigts magiques elle fit surgir l'espoir d'un monde meilleur. Ce territoire vierge était destiné à devenir le Paradis, mais seul le sacrifice ultime de chacun permettra d'atteindre la pureté du Cristal et de l'Argent.

Khanna échangea un regard intrigué avec Raphael, mais il n’y avait rien d’autre. Les signes reprenaient dans une langue inconnue.
- Drôle de paradis, murmura-t-elle.
- En tout cas, cela confirme notre hypothèse, dit le jeune garçon. Il y a bien eu quelqu’un qui à créé ce monde, à partir de presque rien.
- Mmh... je me demande comment. Je voudrais savoir, ça pourrait sans doute répondre à notre question : qu’est ce qui se passera si on réunifie, ou si on sépare les Deux Mondes ?
- Je me sens fatigué, Khanna. On devrait réfléchir à ça demain.
Khanna, qui en avait aussi assez de se creuser la tête, songea qu’ils pourraient enfin dormir tranquilles. Freda ne les attaquerait pas ici. La jeune fille se fit un petit oreiller de sable à côté de Raphael, sortit la grande couverture qu’elle avait dans son sac et la plia en deux pour qu’elle soit plus épaisse, car il faisait encore plus froid dans ce temple qu’au milieu du désert. Cela les obligeait à se serrer l’un contre l’autre, et franchement ce n’était pas pour lui déplaire. Passer ensemble des jours interminables dans un désert immense, ça crée des liens.
Mais même allongée à côté de lui, elle ne pouvait s’empêcher de cogiter. Autour d’eux, une présence oppressante remplissait tout l’espace, une puissance énorme, écrasante.
- Tu la sens aussi ? finit par dire Khanna en se tournant vers Raphael.
- Oui, répondit-il tout en continuant d’observer pensivement le plafond de pierre. Ca ressemble à Freda, mais ce n’est pas elle...
- Non, fit la jeune fille. C’est quelque chose d’infiniment plus puissant que Freda, mais c’est le même genre... j’ai l’impression que c’est elle, la Créatrice comme tu l’appelles. Oui, je sais que c’est impossible, dit-elle précipitamment. Mais c’est vraiment le sentiment que j’ai : une énergie féminine, formidablement puissante mais aussi très ancienne.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 18 Nov - 12:43

Chapitre 11 - suite

Elle s’était maintenant levée et arpentait la pièce, fébrile. Finalement, elle s’adossa à un pilier et déclara :
- C’est décidé. Je vais utiliser mon pouvoir.
- Non ! Attends ! Tu n’as pas encore récupéré, et tu ne sais même pas si ça servira à quoi que ce soit...
Elle avait déjà fermé les yeux. Elle sentit vaguement que Raphael la secouait, mais elle s’était mise en transe presque instantanément, mystérieusement aidée par la puissance environnante. Elle hésita un instant sur la formule à utiliser, car elle ne savait pas vraiment ce qu’elle cherchait. Au hasard, elle murmura :
- Je veux voir l’origine de cette puissance... si c’est elle, qu’elle reprenne sa forme originale...
Presque instantanément, une image apparut dans le noir de ses yeux fermés, incroyablement lumineuse et pourtant légèrement floue. C’était une femme plutôt laide : de taille moyenne, elle adoptait un port de tête hautain, un peu gâché par son nez crochu, sa moue dégoûtée et surtout ses petits yeux enfoncés qui fixaient Khanna avec une expression de haine brûlante. La femme dégageait un pouvoir effrayant qui parcourait de picotements la peau de Khanna.
Cette dernière arrêta de douter. Elle savait, elle sentait qu’elle avait devant elle la Créatrice, la première Gardienne, celle qui avait modelé le monde qu’elle foulait depuis des semaines. Avant ce jour, Khanna avait encore du mal à accepter que tant de gens et de choses reposent sur la fragile volonté d’une seule personne. Mais la puissance de cette femme, cette puissance qu’on retrouvait dans chacun des objets de la Cité et qui les marquait comme un sceau, cette puissance à côté de laquelle Freda n’était qu’une broutille, lui parut soudain bien suffisante pour créer un monde. Oui, elle était en présence d’une déesse. Ou plutôt d’un monstre inhumain, qui avait fait souffrir tant de personnes. C’est pourquoi Khanna soutint sans peine le regard de la Créatrice, en lui lançant un défi mental : « tu vois, je suis celle qui devrait te succéder après Freda. Mais je n’ai pas l’intention de continuer à perpétrer tes erreurs. Tu sais qu’elles doivent être réparées, choisis donc d’y participer ou non... mais je réussirai, avec ou sans ton aide ! Maintenant, donne-moi la réponse ! Peut-on réunir les Deux Mondes ? »
Les lèvres de la femme ne bougèrent pas, mais l’image s’agrandit jusqu’à englober Khanna. Ce fut comme si une part de l’esprit qui imprégnait le temple s’infiltrait en elle, et déjà les germes d’idées dans son cerveau se clarifiaient. Elle tomba dans un état de transe encore plus profond. La jeune fille se mit à grommeler un nom qui s’était imposé à elle :
- Aranie...
Ce nom lui mettait les larmes aux yeux et plus elle le répétait, plus elle était submergée de sentiments étrangers, qui lui faisaient complètement perdre ses repères. Car la Créatrice, ou plutôt ce qui restait d’elle après des siècles, tentait de prendre le contrôle de Khanna ; mais au fur et à mesure qu’elle pénétrait dans l’esprit de la jeune fille, elle lui livrait, volontairement ou non, ses propres pensées.
Des images sans suite se succédaient dans la tête de Khanna, certaines provenant de sa mémoire et d’autres de celle d’Aranie. Elle vit cette dernière plusieurs fois et également de nombreuse vues de son monde d’origine, ce qui la bouleversa. Sa mère et la piste de skate lui manquèrent soudain cruellement.
Puis elle eut une vision étrange, d’abord un simple flash qu’elle faillit laisser passer, mais elle s’y accrocha avant qu’Aranie ne réussisse à le faire disparaître. Cela rappelait deux barrages se rompant violemment alors que retentissaient des cris féminins. Sous l’effet de la voix, deux vagues énormes se fracassèrent l’une contre l’autre, se mélangèrent en bouillonnant pour finir par former une mer calme.
La Créatrice, furieuse d’avoir été la plus faible, laissa éclater sa colère sans laisser à Khanna le temps de réagir. La jeune fille fut emportée dans un tourbillon de flashs et d’images insensées toutes plus horrible les unes que les autres. Son corps et sa tête la tiraillaient comme si un monstrueux champignon ramifiait ses racines entre ses chairs jusqu’à l’envahir totalement... Khanna n’avait plus aucun repère, ni à l’extérieur ni à l’intérieur, car elle avait beau chercher, elle n’arrivait pas à se sentir elle-même... son cerveau ne parvenait plus à réfléchir, parasité par l’esprit d’Aranie. Elle tenta désespérément de se raccrocher à un sentiment qui lui appartienne... et le visage de Raphael s’imposa à elle. Son cœur se partagea entre une haine violente qui provenait de la Créatrice, et quelque chose de radicalement différent, qu’elle ne cernait pas bien mais qui venait bien d’elle. Elle laissa ce sentiment la submerger et se sentit remonter lentement à la surface, sans pour autant se débarrasser de la présence de la Créatrice. Khanna recommença doucement à percevoir le monde autour d’elle, tout d’abord une main qui serrait la sienne. Elle battit des paupières et se rendit compte avec étonnement que l’aube grise pointait déjà.
La jeune fille se redressa, faisant glisser la couverture posée sur elle, et tourna la tête vers Raphael, assis à genoux à côté d’elle. Plusieurs expressions passèrent sur le visage de celui-ci, stupéfaction, soulagement, colère, puis il opta finalement pour un sourire indéchiffrable.
Khanna eut soudain très chaud, sentit son cœur battre à toute allure et, presque avant de s’en rendre compte, elle était en train de l’embrasser. Il la regarda avec de grands yeux éberlués.
- Excuse-moi, lui murmura-t-elle à l’oreille, le regard brillant. C’est parce que je t’aime que j’ai pu revenir.
Il avait tellement l’air de ne rien comprendre à ce qui lui arrivait qu’elle éclata de rire.
- Désolée... tu fais une drôle de tête... dit-elle entre deux gloussements nerveux. Tu viens ? On repart en sens inverse, je t’expliquerai en chemin et on mangera en marchant.
Raphael se leva sans rien dire, au point que c’en devenait inquiétant. Finalement, il réussit à ouvrir la bouche :
- Tu es sûre que tu vas bien ?
- Beaucoup mieux en tout cas, dit Khanna très sérieusement. Allez, on se dépêche !

Pendant qu’ils marchaient d’un bon pas, Khanna raconta au jeune garçon l’expérience de la rencontre entre l’esprit d’Aranie et le sien.
- Tu sais, dit-elle, je pense qu’elle a dû laisser une si grande marque sur ce temple que le lieu a gardé le souvenir de son âme et de son apparence, ainsi que son pouvoir. C’est pour cela que Freda n’osait pas y toucher. Aranie a encore une grande influence sur la Cité et pourrait avoir des réactions violentes, d’autant que les siècles ont affecté sa raison...
- En effet, elle n’est pas très logique, réfléchit Raphael. Si elle voulait te détruire, elle aurait dû attaquer très vite et non pas progressivement. Si elle ne souhaitait pas te faire de mal, pourquoi avoir essayé de te contrôler ?
- Au fond, elle n’était pas vraiment contre moi... dit lentement la jeune fille. Bien sûr, elle me déteste, mais elle sait qu’il faut réparer ses horreurs... Il devait s’agir d’une sorte d’épreuve.
- Dans ce cas, tu ne l’as pas déçue. Tu as quand même réussi à lui résister !
- Grâce à toi.
Khanna s’aperçut qu’elle le gênait et changea donc de sujet.
- La vision que j’ai eue, je sais ce qu’elle veut dire.
- La réunion des deux Mondes ? devina Raphael.
- Exact. Le chaos, puis un nouvel univers issu de la matière mélangée. Je ne suis pas sûre, mais je crois que l’une des vagues était multicolore, et l’autre argentée. La voix était celle d’une Gardienne... Je pense que de toute façon, tôt ou tard, ce monde se libérera de Freda mais que l’aide d’une Gardienne est nécessaire à la réunification.
- Il te faudra donc vaincre Freda, murmura Raphael.
- Oui, et ensuite refuser de prendre sa place pour aider la matière à retrouver la terre d’origine. Mais on doit d’abord sortir de ce désert.

***********

Ils continuèrent à marcher en silence pour économiser leurs forces. Par chance, ils tombèrent sur une source à côté de laquelle des rochers formaient un abri naturel, et s’arrêtèrent là pour la nuit.
Ils finirent leurs dernières provisions, mais préférèrent ne pas y penser. Puis ils s’assirent au bord de l’eau pour regarder le soleil se coucher. D’habitude, Khanna n’aimait pas beaucoup cette manie de s’extasier devant une simple lueur orange à l’horizon. Mais assise à côté de Raphael, la tête légèrement appuyée sur son épaule, elle trouvait cela vraiment très agréable.
- Tu sais, Khanna, dit-il soudainement, je crois que tu es la meilleure chose qui soit arrivée dans ma vie. J’ai même l’impression que ma vie n’a commencé que lorsque je t’ai rencontrée...
La jeune fille pensa fugitivement qu’il avait peut-être rassemblé son courage pendant toute la journée pour lui dire cela et elle ne put s’empêcher de sourire.
- Tu te moques de moi... grogna-t-il piteusement.
- Mais non ! fit Khanna qui avait rougi jusqu’aux oreilles.
Elle passa les bras autour de son cou et il la prit maladroitement par la taille. Khanna entendit un vague écho de l’esprit d’Aranie protester dans sa tête, mais elle s’en fichait. Au bout d’un long moment, quand la lune argentée, qui rappelait trop Freda se leva, la jeune fille détacha lentement son visage de celui de Raphael et l’entraîna sous l’abri formé par les rochers. Elle hésita, lui jeta un coup d’œil et vit une lueur flamboyante dans ses yeux, ce qui la décida. Elle déplia la couverture, l’étendit par terre, et jeta un regard enflammé au jeune garçon qui l’avait déjà enlacée...
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 18 Nov - 12:43

Chapitre 12

La Cité, enfin ! Les deux grandes tours blanc-argent semblaient narguer les adolescents titubant dans le sable. L’épuisement se lisait sur leur visage, la faim leur nouait l’estomac, mais malgré tout ils avaient quelque chose d’invincible. Comme une aura de pouvoir qui les protégeait et les liait étroitement l’un à l’autre.
Pas la moindre trace de brume autour des remparts. Freda n’avait plus aucun pouvoir sur eux, elle ne pouvait donc pas les localiser et activer l’illusion.
- Elle a dû penser qu’Aranie en avait fini avec nous, dit Raphael.
Ces derniers temps, ils échangeaient plus de regards que de paroles et se comprenaient souvent à mi-mot.
- Raph, tu pourras nous rendre invisibles jusqu’à ce qu’on retrouve...
Khanna, qui voulait naturellement parler de la Résistance, ne finit pas sa phrase, plus par habitude que par prudence. De même, il ne répondit pas, se contentant de serrer un peu les dents et d’un léger mouvement de tête. « Je vais essayer », disait-il.

Khanna n’avait pas bien évalué que, dans l’enceinte de la ville, l’influence de Freda serait omniprésente. Aussitôt la porte franchie, elle se sentit écrasée, oppressée de toutes parts, et c’était comme si chaque objet brûlait douloureusement sa peau.
- Tu fais une allergie à Freda, lui glissa le jeune garçon en souriant jaune.
Mais il n’y avait pas que cela. Khanna percevait une vibration dans l’air, comme un tremblement général.
- Elle est énervée, murmura-t-elle.
Elle sursauta quand un passant faillit les frôler, mais celui-ci ne remarqua rien. Elle jeta un coup d’œil à Raphael, impressionnée. Au bout de quelques minutes, elle ressentit soudainement dans le ventre une angoisse dont elle ne s’expliquait pas l’origine, et mit un moment à comprendre qu’elle émanait de son compagnon. Il s’était arrêté et fixait le bout de la rue comme s’il s’était trompé. C’était pourtant le bon chemin, on apercevait presque la porte écaillée...
Khanna redouta d’entendre la pensée qui filtrait malgré tout jusqu’à son cerveau :
Il n’y a plus personne là-dedans...
Les deux adolescents s’arrêtèrent, effondrés. Mais Khanna aperçut une silhouette accroupie près de la vieille porte. Le cœur rempli d’espoir, la jeune fille se mit à courir, puis s’arrêta brusquement. Ce n’était pas un survivant, mais Freda en personne qui se tenait devant elle.

La jeune fille n’eut pas le temps de réfléchir. Elle n’avait pas le choix : il fallait se battre maintenant, même si elle n’était pas au meilleur de sa forme. Déjà elle ne voyait presque plus rien autour d’elle, elle n’arrivait plus à bouger, parce qu’elle concentrait toute son énergie à empêcher Freda de prendre son contrôle et d’atteindre Raphael. Cela l’épuisait à une vitesse inquiétante.
Khanna se concentra un peu plus sur La Gardienne jusqu’à la forcer à la regarder dans les yeux. Pendant ce temps, les mains cachées derrière le dos, elle fouillait dans son sac pour en sortir un long couteau effilé rangé dans une gaine en cuir. Mais elle ne pouvait agir elle même.
Raphael ! Viens par là !
Elle pria pour qu’il l’entende. Il tourna la tête, peut-être par hasard, et comprit en un éclair. Khanna tomba à genoux, il se précipita vers elle, simulant l’inquiétude à moitié. Subrepticement, la lame changea de mains.
La jeune fille s’obligea à ne pas regarder Raphael et ne pensa plus qu’à Freda. Il ne fallait pas qu’elle entende la mort approcher, absorbée par le combat... Khanna tenait bien le coup jusque là, mais elle sentait de nouveau les bribes de l’esprit d’Aranie en elle... Ce dernier s’agitait de plus en plus, lui communiquant sa souffrance, ce qui troublait sa concentration.
Je sais, Aranie, c’est dur. Je cherche juste à faire le moins de morts possible.
Tout à coup, elle vit que Raphael était bloqué. Freda ne semblait pas le voir, mais pour la jeune fille il avait une magnifique aura car il était enveloppé de son rayonnement à elle. Khanna observa le garçon et comprit qu’il se battait avec quelqu’un.
Cette personne attira l’attention de Freda et, malgré le très faible rayonnement qu’il émettait, Khanna reconnut Amethor. Raphael se défendait avec tant de rage qu’il parvint à repousser l’homme d’un violent coup de pied. Il s’échappa et tenta de frapper avec l’énergie du désespoir, mais il ne réussit qu’à entailler la main de Freda. Quelques gouttes de sang argenté perlèrent sur le sol.
A l’intérieur de Khanna, Aranie cria. C’était son sang qui coulait, et à travers les siècles cela ouvrait une plaie dans son cœur. Elle risquait bientôt de se retourner contre la jeune fille.
Mais Khanna sentit quelque chose de plus puissant encore, un frémissement qui parcourait la terre et toute la Cité, et qui ressemblait à un cri de guerre. Même l’air ambiant semblait avide de ce sang. Khanna eut alors l’idée d’utiliser cette colère qui l’entourait contre Freda. Elle lança un appel, aussi puissant que désespéré.
Vous, toutes les choses, vous pourrez bientôt rejoindre l’entité dont vous avez été arrachées. Pour cela, déchaînez-vous contre ce sang qui vous retient prisonnières et vous comprime ! Battez-vous, de toutes vos forces !
Le bourdonnement autour d’eux s’accentua. L’air était chargé d’électricité et tout paraissait sur le point d’exploser. Khanna répéta ses paroles, plus fort, sans tenir compte des hurlements de Freda qui savait ce qui allait se passer. La jeune fille avait vaguement l’impression de crier, mais tout ce que son corps percevait lui paraissait si lointain, si futile... tout son esprit se fondait dans la rage de la matière emprisonnée, qui se gonflait, se tordait pour échapper à sa cage...
Et tout éclata.

Ce fut comme si une gigantesque digue s’était brisée. Tout cédait, tout s’effondrait. Un instant, Khanna faillit se laisser emporter par la colère ambiante et s’y mélanger pour frapper Freda. Mais la douleur qui déchirait son corps l’empêcha de partir. Elle savait qu’en libérant la haine de la Cité contre la Gardienne elle la déchaînerait aussi, et encore plus, sur Aranie qui s’était en partie incrustée en elle. Mais la souffrance dépassait ce qu’elle pouvait imaginer, comme si le monstrueux champignon attachait ses racines et laissait son corps se disloquer. Elle ne pouvait pourtant pas résister, sinon la Cité se serait acharnée sur elle... elle resta suspendue, à la limite de l’inconscience. Le chaos autour d’elle lui faisait peur, horriblement peur, et si mal... il ressemblait à un tourbillon brûlant qui voulait l’aspirer...
Mais il y avait Raphael, qui la serrait dans ses bras comme s’il ne voulait plus jamais la lâcher. De même qu’elle l’avait protégé comme une partie d’elle-même, il essayait de l’aider à résister et faisait barrière de son corps pour que rien ne puisse l’atteindre. A ce moment, ce fut peut-être la seule chose qui empêcha Khanna de mourir.

Deux adolescents enlacés dans l’œil du cyclone, retenus par quelques bribes de pouvoir. Ils arrivaient à peine à parler.
- Je vais bientôt lâcher, murmura Khanna.
- C’est la dernière fois qu’on se voit, répondit Raphael sur le même ton. Après on sera mélangés au reste et on perdra notre identité.
- Mais on existera quand même. C’est mieux que rien, ce n’est pas comme si on mourait. Peut-être qu’on ressemblera à ce que nous sommes maintenant.
- En tout cas, finit Raphael avec véhémence malgré sa voix qui tremblait, même si je suis dispersé aux quatre coins de l’univers, je n’arrêterai jamais de penser à toi.
Khanna ne pouvait plus tenir, elle était épuisée. Mais leurs visages qui s’embrassaient, attachés l’un à l’autre, furent les derniers à s’effacer.
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MessageSujet: Re: Gardienne   Gardienne EmptyDim 18 Nov - 12:44

Epilogue

Une piste de skate.
Dans un coin, une fille, T-shirt moulant noir, se repose après une figure un peu compliquée. Elle a dix-sept ans environ, elle est seule. Des mèches brunes lui tombent devant le visage et masquent ses yeux, qui fixent un garçon assis sur un banc à quelques mètres de là. Il sais bien qu’elle le regarde, mais il n’en mène pas large. Cette fille fait partie d’une bande de mecs pas très recommandables, on dit qu’elle a un caractère épouvantable et qu’elle aime se moquer des garçons qui osent l’accoster. Mais il faut bien avouer qu’il la trouve jolie et qu’il voudrait bien connaître sa vie, son histoire et aussi le goût de ses lèvres.
Lui, ça fait longtemps qu’elle l’a remarqué. Il est très beau avec ses cheveux blond foncé en bataille et ses yeux qui ont toujours l’air un peu en colère à cause de leur couleur de ciel d’orage.
En vérité, cela fait des semaines qu’ils se dévisagent sans en avoir l’air.
Ce bel après-midi d’avril, où brille un éclatant soleil, il se décide enfin à l’aborder. Pourtant d’habitude il n’est pas très à l’aise avec les filles, mais là il lui demande très naturellement en désignant la brasserie d’en face :
- Dis, ça te dirait d’aller boire un café ? J’aimerais beaucoup faire ta connaissance.
Elle essaye de le jauger du regard pour ne pas avoir l’air d’accepter trop vite, mais si elle osait elle se jetterait tout de suite dans ses bras. Elle se contente de répondre un « pourquoi pas ? » qui se veut dégagé et de lui emboîter le pas, sa planche sous le bras.
Les deux adolescents, déjà presque des adultes, se jettent des regards en coin, se défient, et en même temps s’interrogent. Tous deux éprouvent une bizarre sensation de déjà-vu. Et la certitude étrange d’être faits l’un pour l’autre.
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