Voltaire guettait Rousseau.
Au coin du couloir de Versailles, son regard perçant s’attarda sur son adversaire, le fixant, le dardant, lui promettant mille morts. Ah, son ennemi de toujours, vile, mesquin, égocentrique, il allait l’avoir !
Avec une ruse certaine, Voltaire s’approchait à pas silencieux.
L’autre ne se doutait de rien. Vaguement bouché, Rousseau n’était de toute façon jamais réactif le matin. Il trottait de ci de là, toujours si bête et tellement centré sur lui-même qu’il ne sentait jamais venir les attaques de Voltaire. Ou plutôt si, mais il les sentait tellement venir, ce paranoïaque, qu’il s’épuisait à regarder dans tous les sens.
Voltaire passa le coin du couloir pour se cacher derrière un meuble.
Il voyait très distinctement son adversaire, tranquillement posé au milieu de ce même couloir. Ah, quelle proie facile, ici, quel gibier délicieusement innocent qu’il dépècerait avec plaisir ! Il ne restait qu’à lui sauter dessus, le mettre en pièce, le vaincre, ce sale petit fourbe méchant et visqueux !
Voltaire se prépara à attaquer, tous les sens en éveil.
Rousseau ne bougeait pas, tellement absorbé dans quelque chose d’autre. Peut être par une dorure de ce mur de Versailles, ou par un objet laissé au sol. Qu’importe, Rousseau était à lui, sa proie !
Voltaire bondit.
Bondit sur Rousseau, planta ses dents dans l’oreille. L’autre se débattit, grogna, se plaignit et répliqua. Les deux corps roulaient, se heurtaient et s’emmêlaient, puis Voltaire lâcha prise, et les deux adversaires se regardèrent en chien de faïence. Rousseau avec l’oreille légèrement meurtrie, Voltaire tout déçu d’avoir été repoussé, et puis l’un et l’autre se jetèrent de nouveau dans la bataille et…
Quelqu’un saisit Voltaire par la peau du cou.
« Allons, Voltaire, » fit une Marie Antoinette très amusée, « c’est déjà assez de voir tous ces philosophes s’entretuer à coup de pamphlets. Faut-il que mes chatons en fassent de même ? »
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