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 Septième étage.

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Faro
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Faro


Nombre de messages : 2
Date d'inscription : 28/08/2007

Septième étage. Empty
MessageSujet: Septième étage.   Septième étage. EmptyMar 28 Aoû - 3:23

Le café rampa sur la table, imbibant les pages du programme télé.
- Merde ! grogna Meg.
Elle attrapa une serviette, tamponna et absorba le liquide chaud et décaféiné qui s’élargissait comme une ombre. Le tissu prit une teinte brunâtre, sale, un peu pareille aux relents de la toux d’un fumeur acharné. Meg le jeta dans un coin de la cuisine, redressa sa tasse, se servit une nouvelle rasade. Son programme détrempé gondolait lentement, masquant d’une grosse tache la série événement du jour.
Foutue journée. Comment se sentir bien, comment avoir l’impression d’être accomplie lorsque, dès le matin, une saleté de ciel blanc et dur vous minait le réveil ? Et que les rues humides de pluie nocturne ne reflétaient plus que votre propre amertume ?
Une matinée. Meg ricana d’un élan sans joie. Quel qualificatif idiot ! Et les émissions radios qui allaient dans ce sens, renforçant un peu plus ce stéréotype depuis longtemps perdu du « Je me lève de bonne humeur avec Radio FM. Le soleil brille, la vie est belle. » Elle vida sa tasse d’une traite, perdue qu’elle était dans sa contemplation du dehors, de l’extérieur sans aucun attrait, sans motivation véritable autre que le travail, le fric et le sexe. Les trois grandes maximes qui régissent la population. La trinité quasi-sacrée sur laquelle reposent tous les fondements de la société. Société grise, hagarde, morte.
Sans plus vraiment s’attarder sur la ville et ses fantômes, Meg contemplait la fenêtre ; la tasse de café vide suspendue à ses lèvres. Face à la saleté de l’air qui pressait la vitre, elle ne pouvait qu’admirer son reflet. Celui d’une femme pâle, marquée par le temps et les liaisons difficiles, que seule une coiffure aux boucles impeccables venait rajeunir.
« Tu parles, songea-t-elle. Voilà donc à quoi j’en suis réduite ! A m’étonner de ma propre transparence. » Elle aurait tout aussi bien pu allumer la télévision pour en arriver à un tel résultat. Elle, au moins, était divertissante, et regardée par plusieurs personnes.
Meg se leva, faible et sans volonté, improvisant chacun de ses mouvements. La moindre de ses respiration était une surprise, tant elle ignorait ce que la seconde d’après lui réservait. Allait lui donner. Lui ôter. Remarquant qu’elle était à moitié habillée, elle passa à la salle de bain, où des vêtements de toute formes et de tous états se retenaient à une corde à linge, tendue au travers de la pièce comme une frontière impartiale.
La corde.
Meg opta pour un chemisier gris, qu’un incident d’eau de javel avait parsemé d’auréoles disgracieuses et délavées. Presque autant de cercles que de coups que lui avait asséné la vie. Elle ne prit pas la peine d’observer le résultat dans la glace. Cette veste lui allait mal et elle le savait. De toute façon qui pourrait se soucier de son style vestimentaire ? Quand on vivait au septième étage d’un appartement aussi miteux, on se préoccupait plus de ses fins de mois que de la voisine d’à côté. Ses pas hasardeux la conduisirent jusqu’à la porte d’entrée ; un panneau rogné dans le bas, et percé d’un judas fendu en son milieu. Une putain de cloison qui infiltrait les courants d’air. Elle resta là une minute, peut-être plus, la main posée sur la poignée, des pensées d’ordres et d’interdits dansant dans sa tête. Elle ne sursauta même pas quand la sonnette retentit. Il était dix heures. Ponctualité quotidienne qui l’enfonçait davantage dans le déjà-vu de son existence. Elle ouvrit sans hésiter, sourit mécaniquement, et s’écarta pour laisser entrer la grosse Alfreda.
- J’ai fait des biscuits, dit-elle en se déplaçant avec un mal-être contagieux.
- J’ai fait du café, répondit Meg, lasse.
Elle referma la porte sans la claquer, comme elle brûlait d’envie de le faire chaque jour, comme elle s’en abstenait à chaque fois. Alfreda se dirigea vers la cuisine, sa petite assiette à friandises serrée entre ses doigts épais. Meg la suivit, tête baissée, plutôt résignée qu’affligée. Plutôt soumise que plaintive. La visiteuse tira à elle un tabouret à quatre pieds, s’y écrasa, le fit disparaître sous son surplus pondéral.
« Bordel. Pas ça. »
Pas le tabouret.
Pas aujourd’hui, alors qu’elle lui avait réservé un sort spécial, exceptionnel. Définitif. Mais elle cacha son mépris et sa colère, prit place à la table et à la présence encombrante d’Alfreda.
Alfreda. Ancienne guichetière dans un cinéma. Assez jolie à la base mais avait, du jour au lendemain, brutalement basculé dans l’âge et les kilos. Au final : cinquante-six ans, divorcée, pas de gosses, un chien, trois chats, et une télévision mal réglée. Elle se faisait chier à tourner en rond dans son trois-pièces, ne dormait pas souvent, et venait chez Meg tous les matins, dix heures. Ajustée comme une horloge. Comble : elle lui apportait des « biscuits faits maisons ».
Meg se retint de sourire, mais n’y parvient pas longtemps ; si bien qu’un rictus lui déforma les lèvres. Quelle connerie ! Tout le monde savait parfaitement, à voir les biscuits parfaitement identiques, qu’Alfreda les achetait au supermarché du coin, les vidait dans une assiette, puis les déguisait en une attention charmante. Mais ce stratagème pathétique ne trompait, en fin de compte, personne. Sauf peut-être l’ennui. Et s’il y avait sur cette terre une personne que Meg détestait par-dessus tout, c’était bien l’immonde Alfreda, assise sur son tabouret, et qui lui enfumait la pièce de par ses cigares puants.
« Salope » pensa-t-elle en lui versant du café.
Ne dérogeant pas à la règle, l’importune s’alluma un dérivé du Havane, un gros cylindre qui répandait une odeur de poumons agonisants.
- T’as toujours cette photo, lança-t-elle entre deux bouffées.
- Ouais, répondit Meg sans détourner la tête.
Elle connaissait par cœur le cliché mentionné. Celui de sa mère, décédée trois mois plus tôt, et qui avait emporté dans la tombe - en même temps que vingt ans de dettes - toute la raison de vivre de Meg. Toute sa joie, toute sa vivacité, tout ce soleil qui aurait dû inonder la ville.
- J’t’ai déjà dit de t’en débarrasser, toussa sèchement Alfreda. Si tu l’as sans cesse sous les yeux, comment tu veux l’oublier ?
- Je veux peut-être garder certains visages en mémoire, se justifia Meg.
« Et sûrement pas le tiens » s’ajouta-t-elle mentalement.
Alfreda coupa son café de lait, rehaussant le niveau jusqu’à le faire déborder. C’était là un geste de professionnelle, mais qui devait trouver toute sa justification avec une bouteille de Scotch.
- Tu sais, dit-elle d’une voix grave, faut oublier toutes ces théories débiles qui te disent que « les êtres que l’on aime restent dans nos cœur ». C’est des foutaises. Les morts, ils sont sous terre, point barre. Pas la peine de tout remuer en poussant de grands cris de détresse.
De grands cris de détresse ? Mais si seulement elle savait. Si seulement elle avait vécu ne fut-ce qu’une infime partie de son ressenti ; de cette sensation oppressante de vide grandissant. Quand un vent de crainte et d’absence soufflait en elle, faisant frissonner son âme. Et sa mère qui s’était agrippée, maintenue de toute ses forces au frêle espoir d’un peu de survie ; pour en fin de compte lâcher prise, abandonner le combat sans vraiment s’en rendre compte. Toute ces choses se confrontaient en Meg, remontaient le long de ses sentiments mal étouffés. Mais elle le cachait, se refusait à le montrer. De toute manière, y aurait-il eu des signes flagrants de son désarroi, qui donc s’en serait soucié ? Quelle bonne poire aurait eu la faiblesse de se pencher sur son misérable cas ? Il n’y avait eu qu’elle-même. Et la grosse Alfreda. Même si cette dernière n’y trouvait qu’une satisfaction personnelle : celle d’embrayer sur ses propres mal-heurs, accablants d’insignifiance.
- Je sais où se trouve ma mère, répliqua Meg d’un ton insupportablement calme.
- Et moi j’aimerais bien savoir où j’ai foutu mes clés, répondit distraitement Alfreda. Je les ai perdues depuis ce matin. Celle de la bagnole, hein. Pas de l’appart.
Elle se laissa aller à un petit rire gêné, croqua un biscuit – ou plutôt, l’engloutit – et jeta un regard en biais à Meg, à sa veste sinistrée et à ses boucles symétriques.
- T’as encore teint ta tignasse, toi.
Meg se passa une main dans les cheveux. Les remarques particulièrement acerbes d’Alfreda ne l’affectaient plus depuis longtemps, pas plus que les critiques des autres.
- T’as raison de cacher ta couleur naturelle, continua Alfreda sur sa lancée. Le roux, c’est moche.
- Au moins, en blonde, j’ai une bonne raison d’être conne, railla Meg.
Mais Alfreda ne l’écoutait déjà plus. Il était rare de la voir accorder un peu d’attention aux autres, à moins que ces derniers ne puissent construire un potin de taille. Or, Meg n’avait rien d’intéressant à raconter. Le personnage en lui-même n’attirait pas l’œil.
- Y a eu un fameux chambard de ton côté ce matin, grogna la grosse visiteuse en s’étirant. Au niveau de mon salon – donc de ta chambre. Tu fichais quoi ? Tu m’as réveillée.
Elle aspira furieusement son cigare, puis recracha un véritable nuage de toxines qui empesta l’atmosphère, se collant à la gorge comme une substance poisseuse.
« Il ne manquait plus que ça » se dit Meg. « Cette sale truie écoute aux murs. »
Oui, Meg s’était trouvée fort affairée au petit matin. Le travail le plus important de toute sa vie. Trois fois rien, mais pourtant si capital ; au niveau du plafond.
Le plafond.
- Rien, répondit-elle en ébauchant un semblant de sourire. Je déplaçais la garde-robe.
- Tu l’as positionnée comment ? interrogea vivement Alfreda. T’as jamais eu un grand talent pour meubler tes pièces. (Ce disant elle promena un regard dégoûté autour d’elle.) Tout ces tableaux, ces bibelots sans valeurs. Faudra que je m’en mêle un de ces quatre.
Et d’écraser son cigare sur la nappe de Meg, traînant une odeur de tissu brûlé.
- T’es trop seule, ma vieille, ajouta-t-elle. Tu dépéris sur place, c’est flagrant. On dirait une greffe sur un corps sain.
Meg joignit nerveusement les mains, une larme menaçant dans le coin de son œil. Elle avait parfois si mal ; une telle déchirure s’opérait par moment en elle qu’elle devait se blesser, s’entailler avec quelques chose. Plutôt hurler de douleur que de chagrin. Mais les cicatrices physiques ne parvenaient jamais à la ramener à l’ordre. Quoiqu’elle pouvait faire, elle échouerait. Toujours.
Alfreda se leva péniblement, étirant ses muscles presque atrophiés. Meg s’étonna de ne pas la voir transpirer plus.
- Putain, ces visites me dépriment, ma pauvre Margaret, siffla-t-elle. Faut que tu te reprennes en main, sans quoi je risque de préserver ma santé mentale en ne venant plus. Y a qu’à voir le petit avorton des Mabille. Comment il s’appelle, encore ?
- Raphaël, dit faiblement Meg en sentant son cœur s’accélérer.
- Ouais, ben il se fout de ta gueule dès que t’as le dos tourné. C’est dire ton état.
Les dernières défenses de Meg explosèrent, et la larme coula, irradiant sa joue d’une honte intolérable. Elle s’empressa de l’essuyer avec son pouce, discrètement, tandis qu’Alfreda ouvrait la porte d’entrée.
- Merci pour le café, bailla-t-elle en soulevant sa masse pour effectuer un pas. Je reviens p’têtre demain.
- Au revoir, marmonna Meg.
Elle ferma le panneau, sagement, ne le claqua pas, comme une brave fille. Jusqu’au bout. Elle lava à l’évier les deux tasses, les rangea, frotta la brûlure sur la nappe, rangea les chaises, prit le tabouret. Ce tabouret sur lequel Alfreda s’était assise, encore chaud et moite de sa présence, suintant de ses odeurs. Elle le lâcha, écœurée. Elle ne pouvait pas.
Elle ne pouvait pas.
Cette fois, nulle douleur ou blessure. Encore moins de la rage. Juste la tristesse, le chagrin, l’insupportable. Elle fondit en larme comme une adolescente, déversant dans ses mains en coupe des années de vécu. De non-vie. Tout ce qu’elle aurait voulu être, ressentir, mais qu’en fin de compte, elle n’avait que regardé au travers des autres, parfois de sa fenêtre. Le visage gonflé, la gorge encombrée d’un hoquet, elle ouvrit la porte de sa chambre, la claqua. La rouvrit, la claqua. Recommença jusqu’à ne plus éprouver la moindre sensation, la plus minime onde de choc dans ses doigts.
La corde, le tabouret, le plafond.
Tout avait été minutieusement préparé, planifié avec un désespoir grandissant, mais aussi la promesse d’une libération. Son accomplissement à elle.
Elle leva ses yeux rouges, troubles, vers les sommets de sa chambre, où l’attendait un nœud coulant. Mais une telle entreprise était vaine. Jamais elle ne trouverait en elle la volonté de le faire.
« Faible, faible ! » se cracha-t-elle intérieurement.
Et tout fut clair.
Elle, Margaret la martyre, ne s’achèverait pas ainsi. Pas aujourd’hui.
Pas elle.
Si quelqu’un devait quitter ce réservoir d’âmes, alors ce serait Alfreda.
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