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 Le chant du désert

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Fëa
Premier roman
Fëa


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Date d'inscription : 29/03/2007

Le chant du désert Empty
MessageSujet: Le chant du désert   Le chant du désert EmptyMer 11 Juin - 10:21

Le chant du désert (nouvelle lauréate du concours 16 sur le forum Jeunes Ecrivains)

Il me frappe les oreilles.

Je le vois en étendue brûlante. Fournaise d'Afrique aux vagues de sable, ou est-ce l'Asie ? Arabie, charnière des continents, terre faussement Ottomane et bientôt faussement anglaise.

Je regarde.

Mes pupilles brûlent. Le soleil tape dur. Je tends l'oreille.

Nul canon. La foudre des avions turcs s'est tue. Sécurité… je suis debout au sommet de la vague. Vague brûlante contre la plante de mes pieds; rassurante. Propre. Pas encore de douleur sur la peau pâle de l'anglais. Juste un picotement. Je vois.

La fournaise est calme. Mon regard porte au-delà de mon ouïe. Je me tiens droit sur un maximum local, la limite de mon champ de vision tend vers le zéro. Je délire. C'est la chaleur. Ou le calme. Je devrais penser par plans. Les plans ont-ils des limites ? Quelle question. Le désert est traître. Ma vue ne me montre que les ondulations de l'air. Ma vue est traître. Le désert ne montre que ce qu'il veut. Mirages de l'œil et étourdissements passagers de la pupille vous font voir des oasis où l'eau n'est point, des montagnes sur la plaine et cachent les hommes aussi longtemps qu'ils ne sont pas sous le nez de votre monture.
J'écoute.

Il frappe mes tympans. Tung. Tung. Ce n'est que mon sang qui fourmille, mon cœur qui bat. Comme lorsque l'on colle l'oreille au coquillage, sans l'artifice de nacre pour vous rappeler la mer. Silence. Sécurité. Les avions et l'artillerie s'entendent de loin. Les turcs n'attaquent jamais pas sans avions. Silence. Donc pas de turcs.

Je descends de ma dune, perchoir improvisé comme on en voit à pertes de vue. Il fait chaud. Les hommes attendent dans un creux, à l'abri des regards, couchés sur des tapis de laine. Le soleil brille au dessus de moi, sur moi; mon habit flamboierait si le blanc n'était pas si salit.
Je m'assoie sous la petite tente. Mon thé attend. Ma tête est vide et je ne tends plus l'oreille. Les dromadaires râlent, un cheval piaffe. Deux hommes murmurent. Je bois et me couche. Il ne sert à rien d'écouter. La mer et son onde, si commune en Angleterre, que je dois retrouver sans désir de la revoir; son port imprenable depuis la mer, si facile à cueillir depuis la terre. Je n'ai nul désir de les revoir. Ils m'appellent pourtant par le cri brillant et vain qu'est la stratégie militaire. Bientôt Akaba. Je m'assoupis. Les mouettes occuperont mes repos, rapaces dévoreuses d'une quiétude totale. Une théière tinte.
Le silence du désert n'existe que pour l'homme seul.


Il me frappe les oreilles. Nous attendons tous, couchés sous l'abri de maigres buissons. Rien d'abord. Pour peu que le rien existe. Mais le néant est impensable pour l'humain. J'entends respirer mon voisin; l'insecte qui gratte le sable; la lanière de cuir d'un fusil qui grince. Le vent. Et mon sang contre mes tympans.
Mon cœur qui bat.

Nous attendons. Des turcs à dévaliser. Il y aura des cris, et évidemment, du bruit. Nous troublerons le repos du sable. Mes oreilles bourdonnent. Mon cœur contre ma poitrine…

Bientôt, bientôt; ils passent toujours. Le sifflet de la locomotive percera notre repos. Nous avions de l'avance. Ou eux du retard. Là, il vrille, il s'élève comme une vulgaire mouette, s'élance avec le vent, le perçant appel aux armes d'une machine infernale, caresse nos sens et nous nous tassons plus profondément sur le sable. Le cri de la locomotive. Son vorace fracas contre le silence ancestral du désert arabe.

Un train sur l'étendue. Machine noire, puante et bruyante. Je ferme les yeux. Elle approche, devient plus encombrante, prend bientôt toute la place dans mes oreilles. Plus de sang. Le blanc de ma robe de chérif doit être tâchée, à présent. Mais cela ne se verra pas tant. Le désert est propre. Il ne fait pas de bruit. Il ne tâche pas. Ou si peu, juste de petites constellations, presque invisibles, un peu brunes, un peu grises. Les grains du lin de mon habit. La locomotive est sale. Elle crache du charbon sur le tissu immaculé du silence. Noir. Brut.

Une explosion. Le rail a sauté. J'ouvre les yeux. Le cri sort de ma gorge, je tire mon revolver. On s'élance à mes côtés. Mes cordes vocales accompagnent la barbare symphonie de l'assaut. On ne fait jamais la guerre en silence. On ne tue pas en silence. Jamais. Il y a toujours le gargouillis du sang. Le mourrant tousse, gémit, éructe, pleure, ou s'abat face contre terre comme une poupée de chiffon, dans un bruissement de chair et de tissu.
Le silence c'est la paix. Je tire. Mes tympans vibrent comme mes tripes. Du rouge sur le sable, comme une tâche de vin sur une nappe. J'ai la nausée. Bruit de vitres cassées. Bruit de porte défoncées. Bruit de fusils. Bruit de l'épée qu'on abat sur la nuque pour exécuter. Bruit de ma respiration.

Le vacarme décroît. Mes hommes pillent les restes du convois. Une horloge tombe et son carillon se fracasse.
Qu'importe. Qu'importe le bruit de la bataille. Il ne sera bientôt plus qu'oublie.

Le désert finit toujours par boire le sang qu'on verse sur ses terres.


J'écoute. Azrak est froid. En Angleterre, avec le froid vient la neige; avec la neige le silence. Les anglais ne savent pas se taire, ou si peu. Il faut tout ensevelir sous un drap de blancheur, épais comme un bras, pour que l'Angleterre cesse de mugir. L'Arabie aime se taire.
L'Arabie est silencieuse en ses déserts. Déserts si propres, si purs…

Azrak est loin de tout. Il n'y a pas ici de ces femmes grosses, vulgaires, brailleuses. Comme ces anglaises dont les pieds claquent sur le pavé. Comme ces femmes de marchés qui haranguent, la voix si entraînée à crier qu'elle ne sait plus faire que cela. Les femmes que nous croisons dans les villages sont sales.
Mes hommes se taisent.

Ils se taisent lorsqu'ils marchent. Ils chuchotent au repos. Ils haussent la voix en nos rares instants de sécurité; rares éclats. Quelques belles croches, rondes et doubles croches, croche et blanche, noire, noire et double croches… la musique a besoin de ses respirations et silences. Nous ne renversons l'orchestre qu'au combat et là… un véritable déchaînement de percussions, de cordes cassées. Les lignes de la portée sont toutes emmêlées après le combat. Il me faut le temps de les réorganiser.

Dans le désert. Le désert n'ajoute ni croches, ni noires ni doubles croches sur le lignes. C'est le bon moment pour les remettre droites.

A Azrak, j'ai parfaitement le temps de le faire. Cette pensée me terrifie. Je ne sais plus avec sûreté quelles notes apposer sur les lignes. Il vaut mieux qu'elles restes inextricables pour l'instant. Le bruit empêche de revenir sur soi. Il fait penser à autre chose. Je ne ressens pas l'envie de revenir sur moi. Le silence force à appeler en surface les souvenirs. Je verrai le sang. La souillure. Les cris d'un enfant engloutis par le sable.
Le désert dévore tout. Même les bruits. Il est chirurgical, précis, déterminé. Il attaque jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien pour troubler sa paix. Immaculé. La moindre saleté apparaît, se décortique. Personne n'aime le désert. Même ceux qui y vivent. J'en viens à le détester.

J'ai besoin de bruit. Mélanger de nouveau les lignes. Mais le bruit, c'est des notes. Désorganisées. Mais pas le silence. Pour le bruit il faut les lignes…

Silence. Le sang bat à mes oreilles. Je m'entends déglutir. Je m'entends respirer.

J'appelle mes hommes. Conseil de guerre. Je ne sais ce que je vais écrire sous les lignes.
Je veux juste une excuse pour retrouver du bruit.


J'écoute et j'essaie de voir les sons comme une toile. A Deraa, la trame n'est pas blanche. Dans le désert, rien ne vient ajouter des fils de couleur. Deraa est sale. Bruyante. Des tas des fils sur le tissu pâle.

Je m'approche. Mes hommes me suivent. Je vais entrer. Juste pour faire du bruit. Le silence narratif a assez duré. Je n'ai rien à raconter dans mon carnet depuis des jours.
Des sons. N'importe lesquels. Même des fils grisâtres comme de la fiente. Je ne supporte plus le blanc.

C'est stupide. J'ai la peau pâle, comme certaines cuvettes brûlantes du désert, où nul n'a assez d'eau sur la langue pour respirer trop fort. Les hommes d'ici sont bruns, d'avantage comme les pierres et les caillasses qui abritent les grésillements de la vie. Je vais être reconnu. Je suis inconscient. Je tisse et brode à tout va et sans sens; la tapisserie sera un beau fatras. Mais pas blanche.

Je marche. Le sol est boueux. Mes pieds s'enfoncent dans la terre et en ressortent avec d'horribles chuintement. Des gouttes clapotent. Un âne braie. Une voiture passe dans un ronflement de moteur.
Spuick. Répugnante succion.

Je suis arrêté. On me pose des questions avec des voix criardes et tapageuses. Je réponds. On ne me croit pas ou l'on refuse de me croire. Des mains se referment sur mes bras.

Tant pis. Je voulais des mugissements, du vacarme, des vociférations. Plus de silence. De quoi emmêler tous les fils et peut être même casser le métier à tisser avec. Tout pour que tout ne soit pas si blanc…


J'écoute. Ma respiration. La douleur qui irradie de mon dos comme une onde. J'entends. On chuchote. Des gouttes tombent dans une bassine avant que le linge ne touche mon front.
Je suis malade. J'ai dû attraper quelque chose à Deraa. Une ville bruyante et sale. Des heures dans une caserne sale et bruyante. Je dois être fou.

Je veux le désert. Le désert étouffe les sons. Même ceux des pensées.


Je crie. Pas de prisonniers. J'entends les détonations. J'entends ma voix. Je ne m'entends pas penser. Je ne sais même pas si je pense. J'aspire au fracas. Les détonations brisent le silence.
Le silence fait penser. Je ne veux pas penser. Je dois être fou. Mon vêtement se tâche de sang. Les lignes sont des triangles et des carrés. Le métier est brisé.

Plus de désert. Plus jamais. Plus de silence. C'est si propre, si propre…

***


Envie d'en savoir plus ? Le personnage principal de cette nouvelle est T.E Lawrence, stratège anglais de la première guerre mondiale, archéologue, écrivain et poète.

Pour plus d'informations :
-Article Wikipédia
-La fiche du film sur Allociné

-Photo n&b de Lawrence d'Arabie, en costume de Shérif de la Mecque.
-T.E Lawrence en uniforme britannique.
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