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 Diapason

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Fëa
Premier roman
Fëa


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Date d'inscription : 29/03/2007

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MessageSujet: Diapason   Diapason EmptyJeu 24 Juil - 15:23

Diapason (Classée N°2 au concours 17 du forum Jeunes Ecrivains, texte à reprendre)

Emmanuelle Reynauld frissonna, gémit et chassa un bruyant moustique de quelques maladroits moulinets du bras. Avec le réchauffement climatique, ce genre de bestioles devenait de plus en plus courant.
C'était le discours de sa mère ; Emmanuelle ne gardait qu'un souvenir diffus de la glorieuse époque où il pouvait parfois tomber quelques flocons sur l'Île de France.

La jeune femme avait la peau moite. Sa courte chevelure brune collait à sa nuque et à ses tempes. Elle repoussa le drap et posa deux pieds nus sur le carrelage. Il était frais et lui arracha un soupir d'abandon.
Emma s'était endormie en étudiant un morceau de Wagner. Bien qu'un brin de fringale lui occupât l'estomac, elle s'en tint à son programme de départ, tendit le bras et attira à elle un feuillet de partitions.

Emma avait envie de chocolat, mais à cette heure, elle sentait qu'elle ne pourrait plus rien faire si elle passait par la case cuisine. Elle replongea dans son étude.


Erwin Rommel tressauta, ouvrit un œil et écrasa de la main un insecte insolent. Depuis son arrivée en Afrique, il dormait mal ; comme si le continent se liguait avec les anglais pour l'entraver. Il retomba sur le matelas avec un soupir las. Cinquante ans, c'était trop vieux pour passer ses nuits à chasser le moustique et que savait-il encore !

Rommel n'était pas homme à se plaindre. Il jeta une, puis deux jambes poilues par-dessus le bord du matelas et resta quatre ou cinq secondes assis là, le temps que sa vision s'adapte aux ténèbres. Puis il scanna sa tente d'un regard bleu méthodique et ferme. Rommel s'arrêta sur un quartier d'agneau entouré de couscous, puis sur le jeu de cartes posé sous l'assiette.
Le choix était vite fait. Il ramassa une lampe torche au pied de son lit, écarta la nourriture et se pencha sur les prochains mouvements de son armée.



Emmanuelle mâchouillait un brin d'herbe, les jambes tendues sur le gazon et le buste à moitié renversé, tout juste soutenu par ses coudes. Le ciel bleu grisonnant de Paris répondait à ses brunes pupilles par quelques flocons de chantilly fixés sur la toile en guise de nuages.

L'approche du baccalauréat agitait amis et connaissances, enfiévrait le lycée comme des vacances attendues. Mais en moins bien ; le stress était contagieux et s'ajoutait aux désagréables douleurs digestives qui accompagnaient toujours ses règles. Emmanuelle se sentait ballonnée, son estomac se rebiffait dès lors qu'elle tentait d'avaler trop de nourriture.

Elle abandonna sa fouille du ciel et prêta de nouveau attention à ses cartes de tarot ; d'un atout bien placé, elle emporta une Dame…


Rommel prenait un instant de repos entre deux attaques contre le port allié de Tobrouk. Non qu'il ressentît de la haine contre cette verrue anglaise au cœur de ses troupes, mais elle le frustrait dans sa futile (et durable) résistance.

Renversé dans un fauteuil de toile, Rommel respirait profondément. Voilà plusieurs jours qu'il souffrait de maux de ventre. L'allemand avait peut-être mangé un morceau de viande à la cuisson imparfaite. Une petite bévue de rien du tout qui pouvait vous assommer le meilleur des officiers en deux temps, trois mouvements.

Rommel inspira, se massa pensivement la panse, puis quitta sa tente. Il trouverait sûrement quelque chose à inspecter dans un coin du front.



Vêtue d'un haut court et moulant, Emmanuelle fêtait la fin des exams avec ses camarades de promo. La terrasse du café exposait pleinement le groupe aux cuisantes attentions d'Hélios. La jeune fille se couvrait peu à peu d'un voile de sueur et s'éventait d'une sobre serviette en papier.
Étourdie par la chaleur, elle s'attabla au bar pour se rafraîchir dès le départ des autres. Son copain lui paya un verre d'alcool, puis un autre qu'elle n'aima pas plus que le premier ; elle n'osait refuser.

La soirée s'acheva au crépuscule, dans l'appartement inconnu d'un garçon avec lequel elle sortait depuis neuf jours, trois heures et quatorze minutes. Nue, les cuisses rosies du sang virginal, Emmanuelle dessoûlait dans la douleur. L'alcool chauffait son ventre et le dégoût serrait les muscles de son système digestif ; impuissante, elle rentra chez elle encore à moitié ivre et les yeux humides.


Rommel fêtait la victoire de Tobrouk.

Deux gazelles perdirent la vie pour célébrer la chute de ce point stratégique. La sauce fut excellente, la compagnie de ses officiers joyeuse et bavarde. Après des mois de lutte violente, tous étaient ravis de cette occasion de se détendre. Sans parler de la bonne gastronomie… bien que la nourriture allemande leur manquât terriblement.

Comme tous les autres, Erwin Rommel mangea avec plaisir. Il but beaucoup, de l'eau comme du vin et, lorsque le repas s'acheva, tard dans la nuit, il se surprit à chanceler un peu au retour.

Cette nuit là, il ne put dormir. Il se retourna dans ses draps jusqu'au matin, couvert de sueur et incapable de s'enfoncer dans les profondeurs bienvenues du sommeil, l'estomac comme attaqué par les substances qui, en d'autres occasions, s'étaient chargées d'avantage de la dissolution des aliments que de celle de ses organes…


Emmanuelle brassait de l'air, un feuillet de partitions pincé entre deux doigts en un éventail de fortune. La canicule estivale l'accablait et aggravait ses nausées. Elle avait faim, mais de terribles crampes d'estomac s'opposaient à tout effort prolongé de se sustenter.

Le médecin familial ne lui avait rien trouvé et l'avait dirigée vers des analyses plus poussées. En attendant, elle devait manger léger, éviter le stress, les trop grosses chaleurs et ne pas se surmener. Ces mesures la frustraient, mais ne la guérissaient pas.

La télévision l'ennuyait. Elle quitta son poste de larve pour une chaise, essuya sur son pantalon de pyjama ses doigts moites et, reprenant son archer, elle entama un morceau de Wagner. Elle manquait un repas mais, à présent presque habituée à ne se nourrir que deux fois par jour, Emmanuelle n'y prêta pas d'attention.


Étendu sur sa couchette, Erwin Rommel tâchait de prendre du repos. L'inaction le rendait irritable et mélancolique ; même la musique tant aimée de Wagner, qui emplissait la tente, ne parvenait pas à le divertir. L'infâme chaleur africaine lui faisait les pires difficultés et n'arrangeait en rien ses problèmes de santé, lesquels se faisaient grandissants. On lui avait conseillé de prendre du repos, de se ménager.

"Votre organisme," avait dit le docteur, "a cinquante ans, ne l'oubliez pas. Il suffit déjà qu'il soit exposé à de si rudes conditions et à un stress permanent. Faut-il y ajouter le surmenage ?"

Mais Rommel était en guerre et non en vacances. Il ne changea rien à ses habitudes jusqu'à ce qu'un brusque étourdissement ne s'abatte sur lui en milieu de journée. Erwin devait s'avouer qu'il avait perdu beaucoup de poids. Son uniforme devenait trop grand aux épaules, ses joues se creusaient. Sujet à des troubles désormais chroniques de la digestion stomacale, Rommel avait cessé de s'alimenter régulièrement depuis presque trois semaines.

Il décida de se forcer à manger le lendemain, et ce même s'il devait vomir une demi douzaine de fois en essayant.



Emmanuelle tremblait. Sa main gauche ne cessait de caresser le bois laqué de son violoncelle ; sa main droite tenait l'archer sans plus de forces que la patte d'un oiseau. Elle en avait d'ailleurs la forme : depuis Juin, Emma avait perdu plusieurs kilos. L'angoisse de son audition lui coupait l'appétit et, lorsqu'elle n'y pensait pas, elle révisait et travaillait tant qu'elle en oubliait de se nourrir.

En ce début du mois de Septembre, elle se tenait dans un couloir impersonnel du Conservatoire de Paris. Quinze minutes de va et vient de quelques crins sur des cordes couvertes de cuivre décideraient de son avenir musical. Cruel, bref, et définitif… pour toute une année.

Moins vingt minutes. Emma tenta de respirer par le ventre et de répéter ses formules de mathématique, mais elle avait les nerfs en pelote. Elle posa délicatement son instrument contre un mur, en confia la surveillance à une jeune flûtiste et courut aux toilettes.

Lorsqu'elle revint prendre sa place dans la file, elle avait recraché quelques miettes de kilos dans les toilettes.


La voiture s'arrêta dans un crissement de pneus et souleva un mur de sable et de poussière. Rommel descendit prestement du véhicule. D'une main, il s'appuya contre la carrosserie, se tordit en deux, un bras en travers du ventre, jusqu'à ce que son front touche la tôle. Puis la bile remonta ; fleuve ardent qui assaillait sa gorge irritée.

Il toussa à plusieurs reprises et cracha dans la poussière. A l'Est, les canons tonnaient et Rommel croyait reconnaître les hurlements des chars Panzer. Un nouveau spasme lui fit régurgiter un reste d'acide. Il respira, à petites goulées courtes qui se teintaient invariablement de l'odeur de ses rejets.

Un de ses sous-officiers lui tendit une gourde. Rommel l'accepta et but sans se rincer la bouche.

En Libye, l'eau ne se gaspillait pas et, au cœur de la bataille, nul ne savait quand il pourrait s'abreuver.


[Suite et fin au deuxième message]
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Fëa
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MessageSujet: Re: Diapason   Diapason EmptyJeu 24 Juil - 15:23

Noël arriva et, avec lui, les repas de famille.

L'appartement du Marais s'était paré de toutes ses guirlandes, la table de plats tous plus colorés les uns que les autres. Emmanuelle, depuis son entrée au conservatoire, avait tout juste grossi. Elle s'alimentait mieux et, le 25, elle se sentait d'aplomb pour faire honneur à la cuisine de sa mère.

Elle parla de ses études au conservatoire, rit beaucoup et cajola son petit cousin Manfred. Elle se coucha ravie et repue dans l'attente de la surprise du lendemain…


L'hiver amena le répit.

Rommel put écrire sans mentir qu'il se sentait bien. Seule la mitraille pouvait encore l'empêcher de se nourrir, et jamais pour longtemps. Les aliments qui passaient par sa bouche suivaient la route qui leur était destinée ; nulle douleur d'estomac ne le détournait plus de ses plans.

Le soir du 25 Décembre, Erwin Rommel partagea avec d'autres généraux le festin offert par ses soldats : deux poulets, des œufs, des agrumes et des légumes locaux. Erwin n'était pas un franc amateur de gastronomie en temps de guerre, mais il avouait sans complexes que l'occasion était bonne.
Il se régala et passa une excellente nuit.



Une année depuis le Bac. Emma retrouvait les canicules françaises, à présent traditionnelles. La chape de plomb l'assommait de lourdeurs polluées, de celles qui vous empêchent de dormir et vous font suer sur votre matelas.

Emmanuelle Julie Emilie Reynauld avait faim. Faim, car la maladie était de retour. Elle entendait les chuchotis : anorexique. Boulimique. Elle faisait mine de ne rien entendre. Elle n'avait pas choisi de souffrir, seulement de jouer encore et encore.

Debout sur la scène du spectacle de fin d'année, elle donna tout ce qu'elle pouvait, au-delà du gouffre qui, au creux de son ventre, la dévorait.


El Alamein. La chaleur accablait de nouveau Rommel et ses aides. De guerre de mouvements, la compagne s'était muée en guerre de positions.

Le répit de Décembre était passé comme le vent sur les dunes. Erwin souffrait de si multiples maux qu'il ne les comptait même plus ; leurs noms seuls le déprimaient et il maigrissait visiblement.

Mais il en fallait plus pour arrêter le Renard du Désert. Erwin Johannes Eugen Rommel, casquette vissée sur le crâne, posté haut et fier sur son blindé, menait ses troupes contre la faim qui avait fait fondre ses épaules, contre les vertiges, contre son corps.
Comme son armée, son cerveau manquait de ravitaillement. Comme son armée, il tiendrait bon jusqu'à la fin.



Emma pleurait en silence. Le mois de Septembre apportait la rentrée, les moqueries des autres, le rejet.

Elle ne voulait plus se battre contre eux. La saison estivale l'avait vidée de ses forces, vidée de sa volonté comme de sa patience. La jeune violoncelliste restait sur le bas côté, faible, décrétée perdante.

"Trop maigre !", "Mange !", "Nourris-toi !"

Emma essayait. C'était une bataille perdue d'avance.


Les joues creuses, le sang faible, Rommel rentrait en Allemagne.

La maladie avait pilonné ses forces aussi sûrement qu'un tir de mortier saignait l'adversaire ; catarrhe de l'estomac, troubles circulatoires et respiratoires ébranlaient sa résistance. Le Renard du Désert, adulé de ses soldats, craint et respecté par l'ennemi, quittait son armée pour cause de… digestion ratée attaquant ses facultés cognitives à force d'acharnement anti-énergétique !

Rommel en aurait ricané si les larmes n'avaient pas semblé si tentantes. Lui qui accordait toujours si peu d'importance au ravitaillement…

A la fin…


Emma pose son violoncelle sur le parquet ciré. Ses cheveux, impeccablement rassemblés en un chignon sévère, dénudent la maigreur de ses joues et la fragilité de son cou.

Elle est fine comme un archet, tendue comme une corde. Sa main est arachnéenne, insecte de chair posée sur son instrument. Elle abaisse les paupières de sorte que ses yeux ne sont plus qu'une fente. Alors elle pose les crins contre le métal et tire.

Emmanuelle Reynauld vibre au son de sa musique. Elle est vide, affûtée comme une lame. Il ne reste en elle que le désir de jouer, de vivre par ses notes. Elle se sent pure, dévouée toute entière à sa tâche. Son archet s'envole et tire les notes. Elle joue comme jamais ; elle sait qu'elle joue pour elle.

Car pour guérir, Emmanuelle sait qu'elle…

… a besoin d'une victoire.

Rommel est là, droit, mince, vieilli. Il regarde l'horizon sans concessions. Il voit le nuage de sables ardents, l'astre éblouissant du soleil. Il voit ses troupes qui ne pourront que reculer.

Le Renard du Désert est de retour au combat. Parti à peine un mois auparavant pour recevoir des soins, Rommel revient pour enterrer les morts. Son remplaçant est tombé et Hitler n'a personne d'autre ; tant mieux. Rommel déteste les médecins.

Il sait qu'ils ne servent à rien. Le Maréchal a son propre remède, plus puissant, plus enivrant que toutes leurs drogues. Un antidote que seul lui-même peut se procurer.

A El-Alamein, en Octobre 1942, Rommel vient chercher…


… sa victoire, celle qui la sauvera de tout. Des autres, d'elle-même, de la faim et de son ventre qui se rebelle.

Emmanuelle joue un Wagner qui tonne et résonne, comme…

… les canons de la faim qui, depuis des semaines…

Ne leur laissent plus de répit.



***


Topic des commentaires


Informations complémentaires :

Erwin Rommel (Photo)
Général puis Feld-Marschall allemand lors de la seconde guerre mondiale, Rommel s'est particulièrement illustré pour son commandement de l'Afrikakorps, puis pour ses travaux sur le Mur de l'Atlantique. Il met fin à ses jours en 1944, forcé de se suicider pour complicité dans l'attentat à la bombe contre Hitler.

L'image de Rommel a été fortement déformée par les propagandes successives, tant d'un côté que de l'autre. Après la chute du Reich, il est posé en martyr victime de nazisme, représentant de la "pauvre Wehrmacht manipulée par Hitler".
En réalité, Rommel était loin d'être l'ange perdu prôné par la propagande : Il était impulsif, buté et infatigable, grossier envers les autres officiers, prompte à un optimisme ou à un défaitisme extrême, révisionniste, carriériste, obsédé par ses propres honneurs. Sa position quant au nazisme est ambigüe : fervent admirateur d'Hitler, il n'était cependant pas antisémite, traitait relativement bien ses prisonniers et se montrait méfiant envers la SS. Enfin, il faut noter que Rommel n'a participé au complot contre Hitler que par omission.


Article Wikipédia sur le Violoncelle et sur l'anorexie mentale.
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