Point de vue : Xian, Empereur d'Eltith
Date : Année Impériale 22 [N50], après la ratification du traité de paix.
Résumé : Alors que le
Justice Radiante, vaisseau amiral eltien, s'éloigne de Celtauri, Xian apporte quelques explications à Nériaès... et profite allègrement de la situation.
***
Je suis un salop, et je le sais parfaitement. Jamais je n'ai affirmé le contraire, et jamais je n'ai essayé de me débarasser de ce défaut certes déplorable, mais des plus utiles.
Je suis pragmatique. Ce que je veux, je l'obtiens ; même s'il s'agit d'une planète ou d'un amant. Je l'ai déjà fait, et n'ai pas hésité une seconde à recommencer.
Ce que je viens de faire, ramener auprès de moi un homme qui n'a aucun souvenir de notre amour passé, sans le consulter, et sans même l'en informer, est une belle preuve de mon caractère égoïste. Je sais où il est : enfermé dans une cabine du
Justice, luxueuse et confortable, et sans aucun doute incapable d'en apprécier les charmes. Le connaissant, il serait assis tout au bout du fauteuil qui lui paraîtra le moins cher, les jambes serrées et les deux mains posées à plat sur ses cuisses. Son visage serait serein, les yeux fermés, mais un insupportable sentiment d'incompréhension suinterait de tous ses pores. J'étais cruel, mais pas au point de le laisser macérer dans ces interrogations sans fin. J'entrais.
Il était tel que je l'avais imaginé. Ses cheveux blonds et bouclés tombaient ses épaules et le haut de son dos, libres comme lors de nos négociations. Je passerai sans doute pour un vieux lubrique en l'avouant, mais ses yeux fermés et sa respiration calme et mesurée me donnaient envie de rattraper ses quinze ans d'absence en une soirée.
Mais j'oubliais... en plus d'être un salop, je suis un obsédé. Vous le saurez.
Néenmoins, je possède aussi un remarquable self control et me contentait de tousser discrètement pour attirer son attention. Il avait déjà dû sentir ma présence, et sans doute boudait-il pour m'énerver.
Self control.
Nériaès ouvrit les yeux sans hâte, puis me toissa avec la plus parfaite indifférence. Ces derniers jours, il avait fait preuve d'une certaine confiance à mon égard. Sa réaction ne me surprenait donc pas, puisque je l'avais trahi, et en beauté. "Puis-je espérer obtenir des explications ?" murmura-t-il doucement, d'une insupportable neutralité. Je l'avais enlevé, merde, et
mon Néry me parlait de cela (une grande aventure romantique !) comme de la brume poisseuse et nauséabonde de Celtauri.
J'étais vexé. Le sale gosse n'était vraiment pas digne de l'attention que je lui portais. Self control. "Bien entendu," répondis-je avec un sourire avenant en m'installant en face de lui.
Je le vis pencher légèrement la tête sur le côté, preuve d'un intérêt poli mais limité. Je le connaissais mieux que lui même : il se conduisait toujours de la sorte lorsqu'il s'apprêtait à insulter quelqu'un, à formenter son assassinat, ou à me sauter dessus pour exiger qu'on calme ses hormones galopantes. Une de ses boucles roula sur son épaule.
"La paix a été signée," fis-je sans aucun tact, "avec l'Ordre et la République. Vous avez été échangés contre la fin du conflit."
Il blêmit un peu et serra les dents, mais se furent les seuls signes de son malaise. J'étais très fier : mon Néry avait toujours sut se contrôler, et son courage était louable. "Je suppose que vous n'avez pas l'intention de me laisser le choix ? De me laisser partir ?"
Question réthorique. Il connaissait déjà la réponse et ne faisait que constater. Je lisais déjà sur son visage qu'il ne tenterait pas de s'y opposer, quant bien même ce n'était pas juste pour lui.
"Nous en parlerons sur Phirène, notre prochaine escale. En attendant, vous avez vos appartements -la deuxième porte sur votre gauche- ou les miens -la première sur votre droite-. Vous pouvez dormir seul ou avec moi."
Nériaès baissait les yeux. Je savais qu'il n'avait aucune envie de rester avec moi plus de temps que nécessaire, mais il se demandait si pareil comportement ne mettrait pas la paix en péril. La réponse était non : je me faisais confiance pour le ramener dans mes bras sans cette épée de damoclès. Mon regard tomba sur ses mains. Il tripotait nerveusement la bague que je lui avais offerte, deux semaines plus tôt, en même temps que ma protection -quand il ne savait pas encore que les Fidèles voulaient sa peau-. Un objet laid, avec une trop grosse pierre rouge et semi précieuse, enchassée dans un or terne. La chose avait toujours été du plus mauvais goût, au moins pour notre époque, mais, quinze ans plus tôt, Néry m'avait fait un scandale parce que je refusais de la lui offrir.
Incompréhensible. Mais l'Etalien qu'il était l'avait tout de même porté au bout d'une chaîne tous les jours suivant et, à présent, la tournait entre ses doigts nerveux.
"Quand vous êtes venu me voir au Temple, vous m'aviez dit que vous saviez des choses que je ne savais pas. Que vous me protégeriez. Mais le chef des Fidèles est mort, n'est-ce pas ? Vous l'avez tué vous même."
"C'est exact."
"Me pensiez vous encore en danger sur Celtauri ?"
Non, aurais-je dû répondre en toute franchise, ou en tout cas, pas autant qu'il avait pu l'être. Il restait des Fidèles, mais désorganisés et surveillés, et Nériaès comme Cassiel étaient capable de prendre soin de lui. "Oui," dis-je en mentant un peu. L'image que cela donnait de moi m'était plus agréable. "Oui, et c'est en partie pour cela que je vous veux près de moi. Pour vous protéger."
Et cela, au moins, était vrai.
***
Il avait finalement décidé de dormir seul. Je ne m'en formalisais pas, sachant pertinement qu'il n'y parviendrait pas : après quinze ans sous la lumière tamisée de l'aube, je le voyais mal dans les extrêmes de mes vassaux. Les ténèbres froides des uns et la lumière brûlante des autres lui taperaient sur les nerfs pendant plusieurs jours au moins, et bonne chance pour fermer l'oeil avec ça.
Je souriais donc joyeusement en arrangeant mes oreillers. J'avais pris grand soin d'en bourrer un de lavande (Néry adorait l'odeur de ces horreurs violettes. Je les détestais : ça le faisait toujours dormir). Et de faire mettre des draps de sa matière préférée. Dans des tons qu'il appréciait.
S'il ne daignait pas ramener ses fesses avant la fin de la nuit, je faisais un malheur.
Je passais quelques heures à feuilleter quelques rapports économiques quand, à une heure tout à fait indue, je le vis enfin, juste au coin de la porte, aux extrèmes limites de mon champ de vision. Je tournais la tête : une mèche blond scintilla puis disparut. Tss. Il avait toujours été un espion lamentable.
Je revenais à mes documents avec un sourire en coin. Il revint une demi heure plus tard, et s'échappa de nouveau, sans que je tente de le retenir.
Néry ne revint pas de la nuit. Je le trouvais, le lendemain, affalé sur un canapé, une grimace lasse sur les lèvres, sommeillant sans conviction et la bouche ouverte. Je soupirais (quel idiot, vraiment !), le chargeait avec une autorité dictatoriale dans mes bras en faisant fi de ses protestations molles et endormies. Je croyais avoir gagné la partie, mais j'aurai dû savoir que Néry trouvait toujours le moyen de me tenir en échec : à peine l'eu-je déposé sur le matelas qu'il plongeait le nez dans son coussin à la lavande et se roulait dans les draps, avant de plonger dans une bien heureuse inconscience.
Je restais un instant interdit devant le spectacle de mon lit ravagé : nulle couverture ne demeurait en quantité suffisante et, pour ne rien arranger, mon cher et tendre était à ce point emmailloté qu'il ressemblait à un espèce de gros ver en tissu. Je tentais tant bien que mal de récupérer un peu de tissu (sur un lit de trois mètres de large, je devais pouvoir y arriver !), mais avec un "niiiiiiiiiiiiiè !" mécontent et totalement absent, Nériaès me l'arracha des mains, sans même se réveiller. Dépité, j'allais faire une razzia dans ses appartements et, muni de toute la literie que j'avais pu emporter, m'installait près de lui, un bras autours de sa taille et le front contre son crâne.
Victoire. De toute façon, je ne perds jamais. Surtout quand il s'agit de mettre quelqu'un dans mon lit.
***
Je me réveillais quand un oreiller 100% plume s'abattit sur mon visage. A l'autre bout du coussin, un Nériaès rouge de colère semblait prêt à m'achever à coup de traversin. Je souriais d'un air volontairement bête et lui demandait s'il avait un problème.
"Absolument aucun !" répondit-il avec hargne. Il se drappa dans ses (enfin, -mes-) couvertures, comme si ces quelques couches de tissu avaient pu protéger sa vertue de toute façon inexistante, récupéra son oreiller parfumé de sa main libre, et fit retraite vers ses appartements, le menton si haut qu'il se pris les pieds dans sa toge improvisée.
Je ricannais un bon coup et me levait pour rejoindre le commandant du bord. Mes soirées promettaient d'être intéressantes...