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 When our hands met

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Fëa
Premier roman
Fëa


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MessageSujet: When our hands met   When our hands met EmptyDim 14 Déc - 2:41

When our hands met

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Il y eu d'abord la terre, sur sa peau, sous ses ongles ; sur des mains sales qu'il avait agitées dans les airs en courant après le bus. Le chauffeur avait fini par s'arrêter et l'homme était monté. Je m'asseyais toujours le plus à l'avait possible. De là, je le voyais bien : Il était jeune, en pantalon brun et vieille chemise pâle, grand, les cheveux très sombres. Ses avant bras étaient rayés de poils noirs là où il avait retroussé ses manches.
Mes paumes blanches reposaient sur mes cuisses. Il frotta les siennes sur la toile de son pantalon avant de plonger les doigts dans une poche, en extirpa quelques pfennigs roux, les tendis au chauffeur. Je le vis sourire dans la vitre d'en face. Il remercia doucement puis vint s'installer près de moi. Ses mains noircies se posèrent sur ses jambes et je sentis une odeur de transpiration émaner de lui ; sa respiration était encore saccadée de sa course, son front un peu humide.
Il leva vers moi des yeux de malachite et se fendit d'un impossible sourire aux dents très blanches. Puis il ramena son regard sur ses genoux ; moi, je me tournais vers la fenêtre.

Il ne fallut pas longtemps pour qu'ils arrivent : une jeep nous dépassa, klaxonna vigoureusement et un militaire enjoignit le chauffeur de se ranger sur le côté. Ils s'arrêtèrent devant le bus et je sentis mon voisin se crisper, puis se détendre et, enfin, soupirer.
Le militaire monta, s'arrêta face à nous. Il avait l'air un peu déçu et en colère à la fois, peut être un peu amusé aussi. Il avait un pistolet à la main et le pointa vers l'inconnu aux mains noires ; silence dans le bus, sauf pour le profond raclement du moteur. "Bon, sois gentil," soupira l'homme en retenant tout juste un rictus, "descends de là sans faire le bête." Il secoua la tête et son béret de l'armée menaça de verser."Ces fritz, vraiment ! Tu fais chier, toi !" Il secouait son pistolet au rythme de ses levées d'épaules, mouvements de main gauche intempestifs et haussements de sourcils désabusés.
L'inconnu se leva et me sourit timidement, presque d'un air d'excuse. Il me fallut un moment pour comprendre ce qu'il était. Bien sûr, je savais que nous avions un camp pour prisonniers de guerre et qu'ils travaillaient dans les champs des environs, car ma mère en parlait beaucoup, surtout pour s'en plaindre -ils étaient bruyants, ils traçaient mal les sillons, ils semaient toutes les graines à côté et sifflaient les dames quand elles passaient. Mais moi, je n'en avais jamais vu, de POW, comme on disait alors. J'étais surprise qu'il n'ai l'air ni méchant ni grossier, et même plutôt normal.
Il descendit sans résister, son gardien criant après lui. "Non mais toi ! On va finir par t'y faire habiter, au cachot !" Lui n'écoutait sans doute pas : il se tournait dans ma direction et me fit un signe de la main.
J'hésitais.
Et je répondais. Un geste, dépassant à peine le bas de la fenêtre, d'une petite main couleur de crème. Il sourit de toute ses dents si blanches et disparu.

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Il y eut l'air ; le vent froid qui, au creux du printemps sur la blanche Albion aux falaises de craie, colorait mes doigts du rose de la peau souffrante. Je portais dans ma main droite un sac de tissu et ma manche ne tombait que jusqu'à la courbe légèrement crevassée qui supporte le pouce. Mon autre bras -le droit- se terminait dans le gouffre d'une poche à peine chaude : j'avais eu jadis deux manteaux, mais j'avais donné le premier pour aider les victimes des bombardements. J'avais honte de mes coudes élimés, quant bien même mon prisonnier ne devait être mieux vêtu.
J'étais descendu à l'arrêt où l'inconnu était monté. Je ne savais ce qui me poussait à cette trahison flagrante. J'étais femme sans être bête : l'allemand était l'ennemi, l'allemand était le meurtrier de nos frères, je ne l'ignorais pas. On nous le répétait bien assez à la radio, sur les murs et sur les pages des journaux. J'avais perdu une tante et sa fille cadette dans les bombardements de Londres.
Et pourtant, pourtant…
Malgré le souffle de février contre mes joues, je pensais aux dents si blanches, à la terre sur la peau et à son odeur, et je longeais la route là où je pensais qu'il pourrait être : ma mère m'avait trop souvent dit de ne pas y aller pour que je ne sache comment m'y rendre.

Je les trouvais lorsque le vent eût achevé de défaire mes boucles. Quelques soldats patrouillaient paresseusement autours d'un terrain rectangulaire où creusaient tout aussi mollement une dizaine d'hommes en uniforme chocolat. J'approchais avec courage et espoir, cahin-caha dans mes chaussures à petit talons. Je m'étais toujours crue assez futée. Crue ! C'était tout le problème : étais-je donc assez futée pour me promener au milieu d'un champ, avec mes plus beaux et plus inconfortables escarpins, et ce pour les beaux yeux de l'ennemi ?
Je me consolais. Dans mes souvenirs de jeune fille en mal d'amour, les iris de cet ennemi étaient assez fantastiques, fantasmagoriques, merveilleuses pour valoir la mort d'une paire de chaussures.
Je bataillais dans la boue et mes doigts gelaient dans le bas ciel. Enfin, j'atteignais un des gardes et lui décrivais mon homme. Il se gratta la joue et inspira, regarda ses pieds, les prisonniers, les nuages, cracha par terre et répondit qu'il ne voyait pas de qui je pouvais parler. Il me fit remarquer qu'il finissait son service dans une demi heure. Il insista quand je refusais de l'attendre au pub voisin et ne me laissa tranquille que lorsqu'un caporal un peu bedonnant nous eu rejoint. Je lui expliquais. Il parut gêné de ma demande et je finissais par lui dire mes craintes : qu'on aurait exécuté l'allemand.
"Je vois qui c'est, votre évadé. Il nous fait le coup à chaque fois, mais il est pas bien méchant. Il dit que c'est pour aller boire des bières." Le caporal haussa les épaules et corrigea la position de son casque. "Mais faut pas vous inquiéter, Miss, on le rattrape à tous les coups, on le met au frais pour deux, trois nuits et puis on le remet dans sa baraque. On est pas des brutes !"
Nous allâmes nous asseoir sur un vieux mur un peu écroulé. Le caporal me parla d'Heinzi -dont le vrai nom était Heinz Felergein-, de sa femme à lui, de ses enfants, du temps, des avions, de la mauvaise nourriture du mess et des bleus qu'on lui refilait à tenir. "Ce que," me dit-il avec un début de fierté, "moi, j'y étais, pendant la première party avec nos copains les Fritz. Deux mois d'guerre, parce qu'avant j'étais trop jeune, et retour à la ville civile. Je suis plombier." Il en avait les mains ; celles d'un homme qui a travaillé dans sa vie. Le garde que j'avais abordé nous rejoignit ensuite. On avait rassemblé les prisonniers et il fallait retourner au camp. Celui-là portait des gants et je ne pu voir ce qu'il était. Un paysan ? Un artisan ? Sous la terre noire du premier jour, les doigts de mon allemand au regard de malachite s'étaient aussi bien cachés que ceux de son gardien.

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Vint la pluie ; des trombes qui s'abattirent sur le terrain où travaillaient les prisonniers. J'étais venu quatre fois, mon sac cruellement pendu au bout des doigts. Le caporal Mills était toujours là et je crois qu'il m'aimait bien. Pour mon malheur, il devait bien souvent chasser l'insistant garde du premier jour et Felergein n'était jamais là. Il me fallut peu de temps pour me rendre compte que le caporal ne voulait sans doute pas que nous nous rencontrions. Il changeait de sujet, me conseillait en riant de ne pas "m'occuper de cela" et, enfin, fronçait les sourcils lorsque j'insistais. A ma troisième visite, il me gronda franchement et me demanda de ne plus revenir. J'insistais et revenais. J'étais amoureuse, ou je voulais être amoureuse pour faire battre mon cœur plus vite, m'endormir le soir en sachant que je rêverai de mon évadé magnifié et m'éveiller pleine de détermination.
Pour ma cinquième visite, la terre suintait des flaques de tous ses pores invisibles, les arbres se froissaient à l'unisson sous la pluie battante. J'avais toujours mon sac à la main et devait le serrer contre mes jambes pour qu'il tienne à l'ombre de mon parapluie. Ainsi, il me battait désagréablement les mollets, mais je ne voulais pas risquer de gâcher ce qu'il contenait. Il pleuvait tant qu'il n'y avait personne dans le champ : tout le groupe, gardes et prisonniers, avaient émigré au pub. Les bons anglais bien comme il faut s'étaient massés d'un côté en emportant les fauteuils, les allemands de l'autre avec les chaises, et les deux groupes laissaient ainsi un véritable corridor de vide, de la porte au long bar bien ciré où discutaient bruyamment les soldats. Il y eu une sorte de blanc généralisé avant que l'insistant garde du premier jour ne me reconnaisse ; lui, un caporal frisant la soixantaine et un allemand aux yeux verts.

A l'étage où nous fûmes laissés seuls, Felergein, le caporal et moi, l'orage résonnait comme dans le creux d'un tambours. Nous étions juste sous un toit dont une partie était en verre ; en d'autre temps la lumière naturelle aurait été appréciable. Il n'y avait personne d'autre qu'une vingtaine de fauteuils dont l'allemand fit aussitôt son affaire, repérant vivement celui à l'allure la plus moelleuse. Mills le gronda comme si l'homme avait été un de ses neveux indiscipliné et l'enjoignit de se montrer un peu plus poli : en présence d'une Miss, on offrait d'abord son siège à la Miss, on disait Good Afternoon, Miss, on saluait comme un vrai militaire et pas comme le premier cow boy venu. Une Miss, ça se respecte !
A ma grande surprise, Felergein accepta la réprimande avec le sourire et s'exécuta dans un anglais très accentué. Il semblait plus amusé qu'effrayé par la colère du caporal. Quant à moi, j'étais très gênée et ne savait vraiment que dire. Toutes mes grandes idées de déclaration se décomposaient comme du sucre sous la pluie et je me retrouvais à farfouiller dans mon sac de toile pour n'avoir à croiser aucun regard. Je parvins à en tirer une boîte de gâteaux secs, très jolie, en fer avec des petites filles peintes sur le couvercle.
Je bégayais un peu, rougissait encore, baissait le menton et tendait les mains. Les mains et la boîte. Son regard tomba sur les fillettes en robes pastelles et les doigts autours d'elles. Je sentis mes joues se consumer lorsque ses yeux couleur de pairies printanières…

Okay, stop. Je ne pensais pas cela du tout. Je ne pensais même pas grand-chose, sauf qu'il fallait sourire assez joliment. Il avait peut être une petite amie en Allemagne et, si je voulais l'intéresser, j'avais intérêt à faire quelques efforts d'allure.
Puis il me sourit et alors, alors… toute question de prestance devint tout à fait superficielle. Mes entrailles devinrent flasque et mes lèvres s'étirèrent bêtement. J'étais heureuse. J'étais sûre de rayonner. J'étais sans doute la pire imbécile de toute l'Angleterre. Évidemment, cela n'avait pas d'importance sur le moment. Je ne voyais que ses lèvres étirées, ses mains franches sur la ferraille peinte ; des doigts un peu épais, des ongles sales, une peau plus brune que la mienne…
Le caporal Mills toussota. Felergein se tourna vers lui, puis vers moi. Son sourire ne cessa de dire merci, mais je croyais y voir une demande de pardon. Je voulais qu'il résiste. S'il m'aimait, ne devait-il pas faire l'impossible pour rester ? Il ne restait pas. Il calla la boîte sous un bras et, d'une main, prit la mienne entre ses doigts. Ses lèvres effleurèrent à peine ma peau ("Zank you, Miss.") et je le détestais de me laisser partir ("Vous nourrissent-ils bien ?"). Il glissa machinalement une mèche derrière son oreille. ("Oui, ça va, c'est assez bien chez vous.") J'aurai voulu qu'il refasse ce geste vingt, cent fois. ("Je suis heureuse de l'apprendre. Vous parlez anglais ?") J'essayais d'imaginer ses doigts dans mes cheveux. ("Un peu. J'apprends avec le camp professeur.").
Mills toussa.
"Il faut que nous aller en bas ; je crois bien.
-Oui, je pense aussi. J'espère que vous apprécierez les gâteaux.
-Bitte ? Qu'est-ce que c'est, apprécier ?
-Aimer." Je vous aime. "Apprécier, c'est aimer, mais moins qu'aimer.
-Ach, oui, je vois." Il répéta plusieurs fois le mot, comme pour son imprégner. "D'accord. Je vous dirai.
-Je pourrai venir vous voir ?
-Ya. Yes, si vous voulez, moi je veux bien.
-Je viendrai."
Nous restâmes un instants seuls dans un silence embarrassant ; nous, nos doigts abandonnés loin de l'autre et nos regards perdus sous les vrombissement de l'eau sur le toit.
Mills toucha mon bras.
"Bon, allez, les enfants, va falloir y aller, maintenant. Ça va finir par faire jaser les gentlemen d'en bas, Miss. J'aurai même pas dû vous laisser ici. Allez." Il agitait les mains comme un berger poussant ses brebis. L'allemand et moi -Heinz et moi- nous laissèrent ramener. J'étais vexée qu'il semble porter plus d'attention à la boîte de gâteaux qu'à son futur grand amour, mais me calmais rapidement : après tout, quelle jeune femme au cœur tendre ne savait pas à quel point les hommes pouvaient être obtus quant à leurs propres sentiments ? Mais voilà que Felergein s'engageait déjà dans l'escalier. J'allais à sa suite mais Mills me retint, l'air grave et paternel.
"Miss, je crois que vous faites vraiment une bêtise. Je vous avais déjà dis de pas revenir au champ, et maintenant vous venez devant tous ces gentlemen. Vous allez vous causer de gros, gros soucis." Sa tête tombait vers la droite et la gauche, comme l'aurait fait un cheval harassé par les mouches. "Je peux pas vous empêcher, mais pensez aussi que c'est pas bien pour Felergein. Lui, c'est un gentil, jamais embêté un garde sauf pour s'évader, et même pour s'évader, il emmerde pas les bonnes gens. Mais les autres," il tordait ses doigts, "les autres, c'est pas tous des Heinzi, y'en a qui jouent du heil et qui ne seraient pas très contents."

Je n'avais pas pensé à cela. Peut être aurais-je dû. J'aurai pu refuser de croire le caporal Mills, mais ma chère Angleterre portait les preuves de la véracité de ses propos. Les hommes du pub, ceux qui n'étaient pas allemands et commentaient le Daily Herald, m'attendaient du regard au bas des marches. Une moustache se souleva au coin d'une bouche ; sous elle la peau s'était tordue avec mépris.
Voilà. Cela commença ainsi. Je refermais mon manteau et raidissait mon dos. Mon nez s'éleva vers les nuages cachés par le toit ; mes talons claquèrent avec fierté. Ces mêmes talons que j'avais salis pour aller au champ. Ils en portaient encore les traces. Je laissais mes yeux traîner sur mon allemand. Juste assez pour que ces bons gentleman me voient bien.
Puis, je sortis, et le froid et la pluie se brisèrent sur mes doigts. Je n'avais alors aucune idée des difficultés qui suivraient.

[Suite et fin au deuxième message]
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Fëa
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MessageSujet: Re: When our hands met   When our hands met EmptyDim 14 Déc - 2:45

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Il y eu le bois, dur et grinçant, sur lequel nous fîmes l'amour pour la première fois. J'avais payé le garde pour que nous soyons seuls pour deux heures ; deux heures, c'est court. Les prisonniers de guerre construisaient des maisons sur un terrain nu, triste et sans verdure. A ses côtés, rien que de tristes arbres, un vieux hangar qu'on devait démolir parce que la guerre se terminait et qu'il ne servirait plus à rien, une cabane tout juste habitable où des pilotes avaient attendu la sirène du décollage.
A présent, il n'y avait que nous sur le plancher, car le canapé défoncé qui traînait là avait le cuir percé par un ressort.

J'avais peur que l'on nous trouve. Heinzi et moi, moi et Heinzi… ce n'était plus un secret pour personne. Je n'y pensais plus quand son souffle embrassait la peau de mon cou. Quand ses doigts traçaient des chemins sur mes poignets, mes bras, mes flancs. Quand nous n'étions qu'ensembles, mes mains dans son dos et sur sa nuque, je ne voyais plus leurs yeux.
Leurs yeux qui me jugeaient et, évidemment, me condamnaient. "Nos fils ne sont pas assez bien pour toi ?"
Ça n'avait rien à voir. Je pouvais le leur dire, cela ne changeait rien.
Traîtresse.
Je pouvais leur dire. Je pouvais tout leur dire ; comme Heinz s'efforçait d'apprendre l'anglais pour que ses "je t'aime" m'atteignent dans ma langue, comme il bravait les fanatiques nazis qui avaient été ses frères. Pour moi.

Je ne pouvais leur dire comme ses lèvres laissaient des traces humides sur mon menton et mes lèvres, comme ses ongles me marquèrent légèrement au creux des reins, là où ses mains se crispèrent au milieu d'un râle de désir. Je n'avais pas eu tant de plaisir, cette fois là, mais je n'en attendais pas tant. Je l'aimais trop pour le lui reprocher et lui, pour me laisser insatisfaite plus d'une trentaine de minutes après cela.
Cela, je ne voulais leur dire. Je ne leur dirai jamais. J'aurai dû avoir honte que nous n'ayons eu qu'un pauvre plancher pour cette première noce. Mais pourquoi ? C'était de leur faute, pas de la notre. Cela faisait bien longtemps à mes yeux que la guerre n'était plus notre champ de bataille.
Berlin en flammes, je m'en fichais. Le Pacifique, c'était le cadet de mes soucis.
Dans ces moments là, il n'y avait plus qu'Heinz, moi, et le silence du monde se taisait.

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Il y eu le feu.
Celui de la colère lorsqu'on me cracha au visage pour la première fois. Ma mère n'osait plus se rendre à l'épicerie seule ; mon père menaçait de me jeter de chez lui. Ma sœur pleurait beaucoup et se taisait devant eux mais, le soir, ses doigts venaient emmêler des gestes de réconfort dans mes cheveux. De mes amies, une seule me parlait encore.
J'étais la putain de l'allemand. Nous nous cachions toujours -sur les planches de la cabane, derrière un taillis, partout où l'on pouvait échapper à leurs yeux. J'avais été la gamine du quartier à qui l'on donnait des fraises, l'élève coquette, la copine qu'on invitait à dormir.
Et maintenant : la putain de l'allemand.
Pourtant la guerre était finie. Mais leurs mains ne se tendaient plus vers moi, que ce soit pour me donner le paquet des courses, le journal ou juste pour me saluer. La peau restait sous les gants, et les gants au plus profond des poches. D'autres me désignaient d'un index tendu. Je serrai les dents. Je n'avais pas à avoir honte. Je refusais d'avoir honte ! Mes joues brûlaient et je baissais les yeux. Il n'y avait rien à faire. Mes mots ne pouvaient les atteindre ; quant à Heinz, comment aurait-il pu leur prouver qu'il n'était pas celui qu'ils croyaient ?

Quand nous étions ensembles, je pleurais contre son épaule et l'embrassais pour l'empêcher de me quitter. Il m'avait déjà demandé.
"Ça ne servira à rien. Le mal est déjà fait."
Entre moi et les autres ne s'élevait plus qu'un mur infranchissable. Piégée avec mon prisonnier, je n'avais que lui et, s'il partait aussi, je m'étais jurée de me tuer. Alors il caressait mes cheveux et ses paumes calleuses en soulevait quelques brins dorés ; nous ne faisions plus que nous contraindre au silence, lui contre moi, mes lèvres contre sa bouche, ses mains sur mes joues et mes doigts enserrant ses épaules. Mes doigts sans ornements ; je ne voulais plus rien porter d'autre qu'une alliance.
Nos alliances…
On ne nous le permettrait pas. Il était de toute façon illégal d'épouser un prisonnier allemand et tous, mes parents, mes voisins, ils ne nous laisseraient pas. Lorsque je quittais Heinz, forte et toujours plus amoureuse, je me jurais de le faire évader. Et puis je renonçais, jusqu'à la fois suivante. Où aurions nous pu aller ?

Je brûlais. Une de ces flammes qui vous sors des tripes vers la gorge et vous relève le menton. Une autre sorte de colère qui avait jeté mon poignet vers sa joue ; celle de ce garde qui, depuis les premiers jours, insistait avec une grossierté croissante. Il avait été gentil, séducteur, drôle par moments. A présent je ne voyais plus que son visage devant la barrière du camp, son sourire moqueur.
"Pourquoi tu voudrais le voir, de toute façon ?" Il portait des gants de cuir. Toujours. Jamais il ne m'avait laissé voir ses mains et cela me gênait. "Tu voudrais pas qu'on aille boire un thé tous les deux, plutôt ?" Non. "Non, même pas ? Pourquoi toujours non ? Tu les préfères quand ils ne parlent pas ta langue, ça fait mignon, c'est exotique ?" Non.
Le feu. Le feu au fond de ses yeux. Lui aussi s'énervait et les serres de cuir se moulèrent en poings sombres à ses côtés. Il se pencha vers moi et son souffle tombait sur mon front.
"Bon, c'est quoi ton problème, à la fin ? T'aimes que les fachos ?" Non. Mon Heinz n'était pas un facho. C'était quelqu'un de très bien qui installait des téléphones… "des téléphones, ben voyons ! Moi je t'en paierais, des téléphones, si c'est ça qui t'intéresse." Ça ne m'intéressait pas du tout.
Il insista encore et je finissais par le gifler. Cela fit attira l'autre garde et quelques sifflets de l'autre côté de la barrière. On m'apprit que Heinz était au frigo : "Il s'est battu, Miss, avec un des noirs." Les noirs, c'était les nazis vraiment fanatiques, ceux qui devenaient méchants pour un oui ou pour un non. "On le gardera là un moment, ou on risque d'avoir un accident sur les dents. Il vaut mieux attendre que tout le monde se calme. Revenez dans deux semaines." Je n'avais pas le choix ; c'était aussi bon que de me renvoyez, un bon coup de pied aux fesses. Il faudrait encore passer devant la boulangerie où il y avait toujours des commères pour se moquer, peut être par le square s'il était vide pour éviter le pub des bons gentlemen. J'apprenais à choisir mon itinéraire avec soin : passer là où je serais discrète, mais éviter les petites ruelles dangereuses. Tout un art. Je prenais soin de noter les plaques des rues, comptais les boîtes aux lettres et les chats. Tout, tout pour ne pas penser à Heinz entre quatre murs nus et gris.
Tout, tout pour ne pas penser que je serai seule pour encore deux semaines, un poids honteux au creux du ventre.


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Vinrent le sel et l'eau sur mes joues ; sur celles de ma mère et des miens et de mon aimé.
Ses larmes quand je lui avouais être enceinte, et ma peur devant elles. Une seule d'abord sur sa peau brune, puis d'autres alors qu'il hoquetait entre ses doigts. Je croyais mourir : cela lui déplaisait-il tant ? Non, non. Il était heureux. Il riait et les perles humides vinrent se perdre dans mes cheveux. J'étais dans ses bras, et je pleurais de soulagement. Qu'il m'aime et qu'il l'aime déjà, notre enfant. Ce ne pouvait être que ça, le bonheur en quarante-six au milieu des terrines de légume, de la viande rationnée et de la brume d'Angleterre.
"On va se marier. Dès qu'on pourra." Ses lèvres se posèrent sur mon front et il tenait mes mains dans les siennes. Lui, moi, notre enfant. Nous serions une famille, quoi que dise mon père anéanti. Alors, c'est fini, on ne peut plus rien faire pour toi ? La blessure avait été profonde, mais qu'aurais-je pu répondre ? Et à ma mère qui me rêvait bien mariée, au calme et dans le confort ! Mais j'allais me marier, ASAP, et le sigle devenait merveilleux.
ASAP.
Je l'avais appris à Heinz et cela l'avait fait rire. C'était court, ça claquait, et nous espérions que la réalité serait aussi brève que cela. ASAP ; comme l'embrun qui décolle d'une vague pour plonger aussitôt sur l'écume. Même dans ces fiançailles, il pleurait encore et moi, de mes doigts, j'écrasais les larmes sur ses joues pour prendre son visage. "Oui. Dès qu'on pourra." Il m'entourait de ses bras et je lui demandais s'il sentait que nous étions trois. Il ne comprit pas ; son anglais n'était pas encore si bon. Alors mes mains tombaient vers les siennes et je l'attirais contre mon ventre, le tissu blanc de ma chemise, la chaleur de ma peau et des rondeurs que je ne pouvais encore qu'imaginer.

Et puis je grossis, et m'arrondis, et ce qui n'avait été qu'espoir devint réalité. Il pouvait ouvrir les doigts et poser ses mains sur moi comme deux ailes de papillon. Même ainsi il ne touchait plus que mon ventre, mais notre mariage était encore bien loin. Illégal. Interdit. Je n'étais toujours que la putain de l'allemand cachée dans sa chambre ou dans ses bras. Lui ne se battait plus. Voilà bien longtemps que les fanatiques s'étaient lassés de son côté ; pas du miens. Ma mère baissait la tête avec honte et, un soir, je l'entendis pleurer après qu'on eu refusé de la servir à la boulangerie. Tout cela me faisait détester l'Angleterre et ses conventions stériles, empilées les unes sur les autres comme autant de chaînes. On pouvait me dire que c'était pire ailleurs, je refusais de le croire. Comment accepter qu'on puisse souffrir plus que moi ?
J'étais jeune, et ma fille naquit sans père. C'est ma sœur qui la tint dans ses bras pour la première fois, son doigt que ma Lisbeth entoura d'une petite menotte potelée alors que je m'endormais. Je rêvais un moment de mourir d'épuisement pour que tout s'arrête, mais elle était belle, si belle : un duvet brun sur le haut du crâne, les joues rougies, un beau bébé qui était un bébé comme tous les autres, et cela ne changeait rien qu'elle ai du sang de boche ou de scott.
On autorisa Heinz à venir me voir à l'hôpital, une seule fois, accompagné de Mills et du détestable garde aux gants noirs. Lisbeth paraissait minuscule entre ses bras, fragile et rose. Heinz toucha d'abord son front, d'un frôlement de l'index ; puis sa joue, avec douceur et légèreté, comme s'il eu craint de la blesser. Les yeux de la petite s'ouvrirent sur lui, bleus comme l'océan et son iode, elle gazouilla d'abord et puis, après quelques hoquets enfantins, pleura pour mon sein. Il la porta près de moi et s'assit sur le matelas, tout près, passa un bras autours de mes épaules et baisa ma tempe. Les lèvres de Lisbeth travaillaient avec une assiduité merveilleuse.
"Tout ira bien. Ils ne peuvent plus nous séparer, maintenant."
J'aurai voulu le croire.

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Il y avait le soir.
Il s'échevelait sur nous et de tristes noces, rompues par une clôture de bois dur. Nos mains se croisaient au dessus de ses pics, la buée de nos souffles s'y mêlait, mais nos deux corps ne se joignaient que là. Lui dans l'enceinte du camp qu'on ne l'avait autorisé à quitter, moi à l'extérieure, debout sur l'herbe naissante. Le prêtre ânonnait avec peu de passion. C'était un vieil homme asséché et sans plus beaucoup de sang dans le corps, mais au moins avait-il accepté de nous marier.
J'étais heureuse et sombre à la fois. Heureuse, bien sûr, de l'anneau qu'Heinz passait à mon doigt, de son premier baiser d'époux. Mais sombre ! Comment n'aurais-je pu l'être ? Mon mari était habillé du brun des prisonniers, figés derrière une barrière plus symbolique que physique. Et pourtant, ce soir là, il le passerait sans moi, avec vingt autres hommes dans une baraque noire et sur une paillasse inconfortable.
Et moi, et moi… seule ! Seule avec mon bouquet de fleurs, ma bague, ma Lisbeth, moi-même et le vide entre mes doigts. Je n'avais connu pareil déchirement que lorsque nos mains se séparèrent au dessus des piques de bois. Il ne pleurait pas, il ne disait rien. Ses bras bayaient à ses côtés. Nous restâmes immobiles un temps, un autre instant, et il se détourna le premier. J'enviais son courage, car je n'aurai pu soulever un pied.
Ma sœur me raccompagna. Je ne savais plus que faire, ou aller ; j'aurai passé la nuit entière comme une statue de sel si elle ne m'avait tiré par la main. Je sentais des sillons se dérouler sur mes joues alors que défilaient autours de nous les fenêtres ouvertes sur des familles heureuses. Des couples comme la bonne société en aimait tant.
Mes talons claquaient sur la pierre, et personne ne leur répondait.


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Il y avait le soir sur la grande horloge du salon. L'eau et le sel chauffaient dans une casserole de fer blanc. Le feu s'esclaffait dans l'âtre et dévorait le bois ; la pluie mourante gouttait encore sur ma fenêtre. Dans l'air sonna un unique coup de cloche, celle de l'entrée qui pendait près de la porte. Je n'attendais personne et me levais sans hâte : Lisbeth ne faisait pas ses nuits et la fatigue alourdissait mes pas.
Je me débattais avec le verrou, à moitié coincé comme toujours. Dans ma hâte je m'esquintais un doigt avant de pouvoir tirer le battant et portait la peau blessée à mes lèvres.
Je n'allais pas jusque là ;
La terre tachait son pantalon, la bruine ses cheveux.
"Je me suis évadé" ;
Un grand sourire.
"Pour de bon. Je ne reviens pas là bas" ;
Un instant de petite mort, sans respiration, le cœur arrêté.
"Ils ne me cherchent pas, je suis libre ! Ils ont dit, les gardes, ils retournent en Allemagne, sauf moi parce que je suis marié -et donc je suis anglais, alors chez moi en Angleterre, alors voilà…"
Sourire ;
"… je reste ! Sauf si tu me veux plus."
Sourire ;
Nous étions main dans la main, pour ce jour et tous les autres qui suivirent, et nul ne pouvait plus nous l'interdire, et je souriais enfin.


***


Sources :
Daily Record, 2 Février 2008
Telegraph, 18 Août 2007
Daily Mail, 17 Août 2007
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