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 Trespaera, Livre I

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Anya
Premières histoires
Anya


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MessageSujet: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyDim 20 Mai - 4:30

[ J'ai commencé ce roman il ya peu. Il se déroule dans l'univers de Trespaera, entièrement créé par votre dévouée servante. j'ai essayé à travers le prologue d'en donner les principales clefs mais je dois avouer que, parfois, les références pourront paraître un peu mystérieuses...mille excuses, le tout devrait s'éclaicir au fil et à mesure de l'histoire, dès que j'aurai repris ma plume...J'aimerais aussi avoir votre avis sur la structure même du récit, à savoir la division de la narration entre les trois héros, pas facile à mettre en place mais je l'éspère assez compréhensible.
Voilà, bonne lecture!]


PROLOGUE


Un monde lointain et secret. Une autre réalité. Une planète sans nom, divisée en trois sphères après que fut survenu le Grand Bouleversement. Trois sociétés différentes, scellées par un pacte préservant la paix. Trois castes à la fois scindées et liées.

D’abord s’écartèrent les Mystes. Grands et gracieux, ils se vouaient à la méditation, à la connaissance sans cesse dépassée des arcanes de l’esprit. Dévoués au pouvoir de l’âme, les plus talentueux parvinrent à déplacer les objets et même à s’élever au dessus du sol. Il se murmure aussi que leurs mots voyageaient d’un esprit à l’autre, sans qu’on puisse les entendre. Peu nombreux, ils déléguèrent leur gouvernement à un conseil. Ces sept Mystes, choisis parmi les plus puissants étaient à la fois souverain, législateur et juge.
Composée d’esprits solitaires, peu d’enfants naissaient de cette sphère. Certains, incapables d’ouvrir leur esprit étaient emmenés à la Cité et échangés contre des nouveaux nés qui possédaient le don. Ceux là étaient alors emmenés au Sanctuaire et élevés comme les autres mystes, passant du statut d’enfant à ceux de novice puis d’initié. Les plus doués s’élevaient jusqu’à devenir des Sages.

Bien loin des montagnes abritant le Sanctuaire, la deuxième sphère choisit de peupler les forêts de l’extrême Sud. Ils prirent le nom de Chasseurs. Détenteurs du Don, ils s’en servirent pour s’attacher des animaux. Un par homme, une âme sœur, reflet de la nature profonde de chacun, un Compagnon. Forts et fougueux, ils choisir de se fier à la puissance et se soumirent à un chef, le Maître. Celui-ci, le plus valeureux de tous, s’entoura de ses meilleurs guerriers et en fit ses Frères. Les autres firent de même, le peuple tout entier se divisant en tribus luttant sans relâche pour prouver laquelle est digne de régner.
Refusant tout contact, les Chasseurs se replièrent sur leurs terres, la plupart allant jusqu’à oublier la présence des deux autres sphères. Vivant au contact de la Nature, selon ses lois, les siècles passèrent rythmés par les affrontements des différents clans.

Enfin, restaient les autres, tous les autres, si nombreux, si différents. Ne bénéficiant pas du Don, ils furent nommés les Communs.
D’abord assemblés en un seul lieu, au milieu des terres, ils fondèrent la Cité. Puis, parce que leur nombre grandissait tant et tant, certains partirent. D’autres villages naquirent, parfois même des villes. N’étant guidé ni par la soif de connaissance ni par le pouvoir, chacun se fixa sa propre voie, la plupart désirant la richesse. Trop nombreux pour se soumettre tous à l’autorité du seigneur du Fort, on vit se former des confréries, selon les corps de métier, chacune fixant ses propres lois, en dehors du cadre fixé le Tribunal, soucieux de préserver au moins la sécurité et la liberté de chacun.
Parmi les confréries les plus puissantes se trouvaient celle des commerçant et celle des scribes, touts deux renforçant leur influence en tissant des liens avec le Sanctuaire. Ce furent elles qui survécurent le mieux aux années.

Au dessus de ces trois sphères, se tenait un être qui les observait. Un être qui vit l’oubli s’installer peu à peu dans le cœur de chacune. Cet être savait qu’un jour les événements ressurgiraient. Le cycle était long, certes, mais il était régulier. Et quand il se serait achevé, alors reviendrait le fracas et les malheurs .Les cieux s’abattraient à nouveau et la terre cracherait des flammes. A nouveau le monde serait changé. A ce moment là, une seule personne saurait quoi faire. Il faudrait à nouveau unir les sphères pour que puisse advenir la survie des Hommes.


Dernière édition par le Dim 20 Mai - 4:36, édité 1 fois
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Anya
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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyDim 20 Mai - 4:33

Livre I

Le souffle du vent s’insinua entre les branches du grand arbre, faisant frissonner chacune des belles feuilles autrefois vertes et aujourd’hui d’un gris presque argenté. Une pluie de fines gouttelettes se répandit sur le tapis blanc qui couvrait le sol depuis la veille au soir. La neige s’était arrêtée de tomber mais le ciel restait menaçant, ses nuages sombres formant une sorte de mur duveteux mais infranchissable à perte de vue. Tout était calme est silencieux, l’air lui-même retenait sa respiration et, immobile, condamnait le léger brouillard matinal à s’attarder encore un peu. Blotti contre le tronc immense, un petit animal gisait, n’ayant pas pu s’enfuir avant l’arrivée du blizzard. Il était mort, stupéfait de la fin subite de cet été qui durait maintenant depuis près de trois cent ans.

La gardienne écarta les branches et s’engouffra dans le sentier, sans un regard pour la pauvre créature. Ses cheveux étaient à présent aussi blancs que la couche de neige qui recouvrait le sentier et elle sentait ses forces s’amenuiser petit à petit. Voilà bien longtemps qu’elle habitait la caverne au fond des bois. Elle sentait la lassitude la gagner et avait conscience de s’éteindre en même temps que l’hiver s’abattait sur la forêt. Secouant la tête comme pour chasser ces sombres idées, elle se pencha vers la roche glacée de la grotte pour souffler doucement sur les braises. Il lui restait encore une tâche à accomplir. Une tâche bien plus difficile que toutes les autres. Elle soupira et ôta le lourd manteau de ses épaules. Bientôt elle pourrait enfin se reposer.

*1*


La jeune femme se redressa d’un bond. Les yeux écarquillés par la peur, elle retint son souffle, incapable d’émettre le moindre son. Tout autour d’elle, de la glace. Impossible de s’enfuir. Elle était prisonnière.
Petit à petit, les parois du cercueil commencèrent à fondre, laissant place au tableau bien plus familier de sa chambre. Encore sous le choc, elle se refusa à faire tout mouvement, comme si elle sentait encore l’étau glacé le long de son corps. Puis, tandis que ce souvenir s’éloignait, pareil à un nuage chassé par la brise, elle s’assit en tailleur en repoussant sa couverture. Alors, elle essaya de se rappeler le déroulement exact de son rêve. Cela faisait maintenant une semaine qu’il la hantait toutes les nuits. Les cernes sous ses yeux s’étiraient de plus en plus. Au souvenir de l’angoisse qui l’avait étreinte un instant plus tôt, son cœur se serra douloureusement.

Nya savait que ce n’était pas un rêve ordinaire. Malgré tout, elle ne comprenait pas. La seule explication d’un demi-rêve, comme les professeurs appelaient ces phénomènes, faisait référence à un avertissement, envoyé par quelqu’un. Voilà ce qu’elle ne comprenait pas. Qui pouvait avoir des raisons de lui adresser un tel message ? Cela faisait des années qu’elle était entrée à l’Académie mais jamais encore elle n’avait réussi à communiquer avec quelqu’un par les pensées.
Seuls les Sages étaient capables d’user des demi-rêves, et au prix d’une grande fatigue, alors pourquoi est-ce que quelqu’un le lui envoyait, à elle ? Voilà des jours qu’elle tournait cette question dans son esprit et elle ne comprenait toujours pas. D’autant plus que le message n’était pas clair. Il n’était pas formé de mots mais d’images. D’images violentes, décousues, d’images de mort où se mêlaient tour à tour la lave et le vent, la pluie et la neige, la chaleur et le brouillard. Elle espéra que l’entrevue qu’elle avait sollicité avec le conseil des Sages lui permettrait de trouver la réponse.

*2*


Soren poussa un soupir. Déposant son pinceau en prenant garde à ce qu’il ne roule pas jusqu’au bord de la table, il se leva et ouvrit la fenêtre.
« Nous reprendrons demain. Je n’arrive pas à me concentrer. »
La dame assise dans le fauteuil en face du chevalet ne broncha pas. Quittant la position qu’il avait choisi de lui faire adopter pour réaliser son portrait, elle rassembla ses affaires et disparut de l’autre côté du paravent pour retrouver une tenue plus adaptée à la vie de tous les jours. Après quelques minutes, elle réapparut, salua poliment le peintre et prit congé.

Une fois seul, Soren se laissa tomber dans le fauteuil tout juste libéré et poussa un long soupir. Cela faisait près d’une semaine qu’il ne parvenait à rien. Ses commandes prenaient du retard et, si ses clients trop respectueux de son statut officiel de peintre de la cour ne se plaignaient pas encore, le jeune homme craignait de les voir solliciter un autre artiste et particulièrement cet imbécile d’Ordolf.

Il avait du mal à saisir ce qui l’empêchait de se concentrer. S’enfonçant un peu plus dans les coussins moelleux, il tourna la tête vers la grande fenêtre qui emplissait son atelier de lumière et son regard se posa sur la tour de pierre qui dominait l’ensemble de la cité. Cela faisait des jours qu’il était pris d’une envie irrépressible d’aller à la Grande Bibliothèque.
Il n’y avait pas remis les pieds depuis des années. Très exactement, depuis que les scribes qui le formaient avaient compris qu’il ne pourraient rien en tirer et qu’ils l’avaient envoyé étudier dans la confrérie des peintres.

Le souvenir encore cuisant de cet échec l’avait découragé de franchir à nouveau la grande entrée décorée de fresques. Pourtant, il savait que ce n’était qu’une question de temps. La clef se trouvait là bas, le Haut Scribe aurait la réponse. S’il voulait continuer de gagner sa vie il serait bien obligé de ravaler son orgueil et d’aller lui demander conseil.

*3*


Loran, le secrétaire du conseil des Sages s’inclina brièvement devant la novice qui patientait dans l’antichambre de la salle de Diamant depuis des heures.

« Les Sages sont prêts à vous recevoir. »

Elle leva vers lui un regard fatigué. Les cernes sous ses yeux semblaient s’étirer indéfiniment et ses pupilles noires étaient vitreuses. Ses longs cheveux, de la même couleur, étaient ternes et négligemment retenus en chignon sur sa nuque. S’effaçant poliment pour la laisser passer, Loran remarqua qu’elle lui arrivait à peine au menton alors que lui-même était loin d’atteindre la taille moyenne des mystes. Songeant qu’il devait s’agir d’une « adoptée », il la conduisit jusqu’à la porte de la salle puis l’invita d’un signe de tête à se lancer.

Tandis qu’après une hésitation elle entrait, il repartit dans l’autre sens, heureux de terminer enfin sa journée.

Depuis qu’il était arrivé au Sanctuaire et qu’il avait obtenu ce poste, c’était la première fois que le conseil connaissait une telle affluence. Les Mystes s’étaient pressés toute la semaine dans l’attente d’être reçus et, eux qui paraissaient en général hautains et fiers pour un Commun comme lui, avaient l’air désemparés, parfois même angoissés.
Il ne comprenait pas pourquoi et n’avait pas cherché à le savoir. Il n’appartenait pas à leur Sphère et ne s’intéressait en aucun cas à leurs hautes considérations. D’abord fasciné par les habitants du Sanctuaire, il se contentait désormais de gagner l’argent qui leur permettrait, à sa famille et lui, de retourner à la Cité profiter d’une retraite dorée.
Refermant la porte d’entrée de la Tour, il prit le chemin de sa demeure et haussa les épaules lorsque les traits tirés de la jeune novice s’imposèrent de nouveau à son esprit.

*4*


La nuit était presque tombée sur la Forêt. Le Maître, assis à même le sol de l’immense construction de bois qui lui servait de palais en même temps que de demeure vit arriver les hommes qu’il attendait. Faisant signe aux deux esclaves qui se tenaient à la porte, il se leva et réajusta le manteau de fourrure qui lui couvrait les épaules. La réunion était de toute première importance. Voilà des années qu’un tel rassemblement de chefs n’avait pas eu lieu. Pourtant, à l’ordre du jour on ne trouvait ni la paix, ni la guerre. Un événement extérieur était parvenu à pénétrer les profondeurs insondables de la Forêt pour venir troubler le peuple qui y vivait.

Plusieurs hommes entrèrent, tous s’inclinant devant leur souverain. Dans leurs yeux, de la haine, parfois du mépris. Tous étaient chefs, tous convoitaient la place qu’occupait Markhan. Pourtant, aucun ne tenterait quoi que ce soit ce soir là. Les règles des Chasseurs étaient strictes, leur code de l’honneur inébranlable.

Avant qu’ils ne s’asseyent, ils se plièrent au salut rituel, chacun levant à tour de rôle la main droite pour exposer aux yeux de tous les tatouages qui la couvrait. Leur peuple ne faisait pas confiance aux mots, trompeurs et changeants, ces marques, au contraire, nul ne pouvait les effacer. Les mains se couvrait au fil des années d’anneaux de différentes couleurs et aux entrelacs variés qui indiquaient d’abord la tribu de naissance puis l’âge, le statut et le rang. Ainsi, Markhan était le seul dont la paume était toute entière recouverte de signes. On pouvait y distinguer un ours, son emblème, référence à son compagnon, ainsi qu’un enchevêtrement complexe dont la signification était perdue mais pas le symbole : c’était la marque du Maître.

Lorsque tous eurent salué Markhan l’Ours, détenteur du pouvoir des Chasseurs, la réunion put enfin commencer.

*5*


Soren se regarda une dernière fois devant son miroir avant de sortir. Il soupira. Même avec ses cheveux longs et sa courte barbe, ils n’auraient aucun mal à le reconnaître. Si les traits du jeune homme, quoique agréables étaient relativement communs, nul doute que le premier scribe qui poserait le regard sur lui se souviendrait ce regard yeux ambré si incroyables. Alors, tous le reconnaîtraient et son humiliation serait inéluctable.

Mais il n’avait plus le choix. S’il n’avait pas envie de devenir fou, il devait se rendre à la Bibliothèque en quête d’une explication. Trop de jours déjà que cette voix résonnait dans sa tête, l’empêchant de se concentrer, de trouver l’inspiration. Un leitmotiv incessant qui ne voulait pas le lâcher une seule seconde. Une voix féminine, grave et profonde, une voix qui murmurait mais qui jamais ne s’arrêtait.

Rabattant sa capuche, il pénétra dans la Bibliothèque. Tout était semblable à ses souvenirs, comme si le temps s’était arrêté depuis sa dernière visite. Pressant le pas, il fit semblant de ne pas entendre lorsqu’un des scribes lui demanda ce qu’il cherchait. Il se dirigeait au plus profond de l’immense bâtiment, là où se trouvait le bureau de l’homme qui apporterait une réponse à toutes ses questions. Le Thaumaturge conseillait le Seigneur de la Cité en personne. On racontait qu’il détenait le Don et qu’il était capable de l’exercer avec presque autant de talent que l’aurait fait un Myste. Soren était sceptique sur ce point mais, comme tout le monde, il devait reconnaître que cet homme était doté d’une sagesse et d’une intelligence hors du commun. Si quelqu’un avait la clef à son problème, ce ne pouvait être que lui.

Lorsqu’il arriva devant la porte du responsable de la Grande Bibliothèque, deux gardes se tenaient à l’entrée.

« Il faut que je voie le Thaumaturge, c’est urgent. »

Il savait pertinemment que ses nœuds de peintre, accrochés à son épaule ne suffiraient pas à les infléchir. Sa confrérie comptait parmi les plus puissantes mais l’homme qu’il voulait voir était l’un des plus hauts dignitaires de la Cité.

Comme prévu, l’un des deux hommes fit un geste pour le maintenir hors de portée de la poignée mais au même moment, une voix étouffée par la lourde porte de bois leur parvint.

« Laissez le entrer ».

Le cœur du jeune homme se serra lorsqu’il entendit ce timbre. Même après plusieurs années, il restait identique. Soren entra, la tête baissée, comme incapable de supporter l’afflux de souvenirs qui dévalait dans son esprit, tel un torrent déchaîné.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyDim 20 Mai - 4:34

*6*


C’était la première fois qu’elle pénétrait dans la salle de Diamant qui, comme son nom l’indiquait, était entièrement taillée dans un écrin de cette pierre précieuse. L’élaboration de cet étrange bâtiment avait nécessité des années de travail pour des dizaines de Mystes. Il s’agissait de construire un lieu où le conseil pourrait siéger, au cœur du Sanctuaire ; un lieu ouvert à tous, un lieu où les âmes seraient transparentes et où les rayons du soleil les réchaufferaient et les guideraient.

Mais pour l’instant, la nuit tombait et les étoiles n’étaient pas assez hautes pour illuminer la salle. Seules les chandelles disposées le long des murs se dressaient contre l’obscurité glacée. Un instant, la jeune femme eut l’impression de se retrouver à nouveau dans son rêve, prisonnière de la glace. Elle frissonna.

« Bienvenue Nya. Tu as sollicité une audience, le conseil t’écoute ».

La voix de l’Ancêtre, porte parole du Conseil en vertu de son ancienneté, la fit revenir à la réalité. Levant les yeux vers les sept sièges disposés en demi-cercle en face d’elle, elle salua humblement chacun des membres. Ils avaient l’air aussi épuisés qu’elle. L’Ancêtre, une myste de plus d’un siècle, ne semblait tenir droite que grâce à ses mains, agrippées aux accoudoirs au point qu’on en voyait saillir les veines bleuies. Les autres, tous âgés, étaient également rompus de fatigue même si, comme toujours un sourire encourageant flottait sur leurs lèvres.

Refusant de les faire patienter davantage, la novice prit la parole, d’une voix qui lui parut mal assurée et terriblement étouffée.

« Je remercie le Conseil d’avoir accepté de me recevoir. J’espère ne pas abuser de sa patience. »

C’était la formule habituelle et, ce, même si le Conseil était ouvert à tous et à toute heure, par respect pour les Sages. Néanmoins elle eut l’impression que ce préambule n’avait jamais été autant justifié qu’à ce moment.

« J’ai sollicité cette entrevue parce que cela fait près d’une semaine (et toute absorbée par son explication elle ne remarqua pas le regard de connivence qui parcourut un instant les Sept à ces mots) que mon sommeil est troublé par d’étranges visions. Je sais que je ne suis qu’une novice mais j’ai la certitude qu’il s’agit de demi-rêves ».

Voilà qui était dit. Au froncement de sourcils de l’Ancêtre, elle eut peur un instant qu’ils ne la croient pas, et qu’ils la renvoient en l’accusant de s’être moquée d’eux. Ce fut la voix grave et profonde de Fra Josuel qui lui répondit.

« Ne t’inquiète pas jeune Myste, nous te croyons. »

Bien sûr…Elle avait eu tort d’exprimer ses doutes, fut-ce par la pensée. Les âmes étaient transparentes pour les Sages, aussi claires que les murs qui les entouraient. Ils savaient qu’elle avait dit vrai. Ils pouvaient certainement percevoir les images qui la hantaient.

« Tu n’es pas la seule à avoir entendu cet avertissement. Nombreux sont les initiés qui sont venus chercher conseil auprès de nous. Un danger nous menace mais bientôt nous en saurons davantage et nous en informerons le Sanctuaire. »

C’était tout. Rien à ajouter à ces mots. Au fond d’elle, la jeune femme se sentit à la fois soulagée et déçue. Soulagée de savoir l’affaire entre les mains du conseil, de ne pas avoir à en porter le poids, déçue que tant aient entendu l’appel, déçue aussi de repartir sans réponse.
Bientôt…Patience…Tu fais partie des appelés. Bientôt…

Elle sursauta. C’était la première fois qu’on la contactait. Cette voix ne lui était pas inconnue. Levant les yeux, elle croisa le regard de l’Ancêtre, son sourire. Elle comprit.

Tandis qu’elle saluait le Conseil et se dirigeait vers la sortie, la voix de Fra Josuel retentit de nouveau.

« Tu peux dormir tranquille. Tous ceux qui sont venus nous voir n’ont plus reçu l’avertissement ».

Elle referma la porte de la salle de Diamant et reprit le chemin de l’Académie. Dans son esprit, un seul mot, résonnant comme un roulement de tonnerre, de plus en plus faible et pourtant si clair. Bientôt.

*7*


Markhan savait ce que chacun des chefs allait lui dire. Pourtant, il les laissa s’exprimer, tour à tour, raconter les mêmes faits, l’un après l’autre. Quand ils eurent tous parlé, il leur confia que lui aussi avait été témoin des mêmes faits. Lui aussi avait été alerté par son Compagnon, lui aussi avait constaté le départ de certains animaux, lui aussi avait senti la chaleur étouffante qui s’était abattue sur la Forêt depuis quelques jours. Non, il ne savait pas qui était responsable, oui, il percevait un danger qui approchait.

Tout semblait dit. Contre un ennemi invisible, rien à faire sinon attendre qu’il se découvre. L’un des chefs soupçonnait les Mystes. Avec leurs pouvoirs étranges, leur maîtrise insensée de l’esprit, ils étaient bien capables d’effrayer les animaux et de changer le temps. Les Mystes…Ce nom résonnait étrangement aux oreilles du Maître, comme un mot surgi d’un autre temps, un peuple issu de légendes, une sphère lointaine dont ils étaient venus à douter de l’existence. Il fallait se méfier d’eux, bien sûr. Pourtant, tant de siècles avaient passé dans le calme et la solitude ; pourquoi ces hommes des montagnes auraient-ils décidé subitement de venir troubler la quiétude des Chasseurs ? Markhan n’était pas convaincu. Mais ils avaient besoin d’un coupable, son peuple désirait un ennemi, qu’il puisse haïr et craindre. On ne pouvait pas se battre contre la Nature, contre les hommes, quels qu’ils soient, oui.

La réunion prit donc fin, chacun étant pressé de regagner son territoire, de retrouver la sécurité d’un foyer familier. Rien n’avait été décidé. Il fallait attendre, attendre que leurs Compagnons puissent leur en apprendre d’avantage sur cette menace. Mais tous avaient senti que le temps pressait, sans animaux, leur peuple ne pourrait pas survivre longtemps.

Tant de générations ayant connu la tranquillité et la monotonie. Markhan se demanda pourquoi tout ça arrivait maintenant, sous son règne.
Tandis qu’il était plongé dans ces considérations, un verre d’alcool d’écorce à la main, le rideau qui séparait la salle du trône de ses quartiers personnels se souleva. Son épouse apparut, suivie de leur fils.

« Ce ne sont pas les Mystes ».

Simple constatation.

—Nous n’avons aucun moyen de le savoir.

— Ils n’ont aucune raison de nous attaquer.

Nouvelle constatation.

Elle avait raison, évidemment. Mais tant qu’il n’aurait pas de preuve de leur innocence, les Mystes feraient office de coupable. Parce qu’ils étaient les seuls à pouvoir l’être et qu’il n’avait aucune intention de laisser cette menace sans nom, c’était beaucoup trop dangereux.

—Le niveau du Lac d’Azur continue à baisser. Les hommes ont retrouvé plusieurs poissons morts ce matin.

Son fils, Lukhan. Dans quelques mois il participerait à la cérémonie d’entrée dans l’âge d’homme. Déjà. Markhan était à la recherche d’une épouse digne de lui, une compagne qui lui donnerait des fils vigoureux. Plusieurs jeunes femmes étaient sur la liste mais il n’avait pas encore arrêté son choix, l’alliance avec une autre tribu devait être mûrement réfléchie pour faciliter au mieux l’accession de son fils au statut de Maître. Son statut à lui, qu’il devrait bientôt abandonner. Si cela n’avait tenu qu’à lui, il aurait cédé depuis plusieurs mois : il sentait ses forces décliner, ses articulations devenir douloureuse et la lassitude l’envahir. Mais il voulait voir Lukhan lui succéder et pour cela, il fallait attendre que son fils cadet soit assez fort pour vaincre les autres chefs prétendant au pouvoir. Ce serait bientôt le cas, il était fort et agile. La vigueur de sa jeunesse lui permettrait de vaincre les plus expérimentés, les autres succomberaient à ses coups rapides et précis, aussi vifs que l’aigle s’abattant sur sa proie.
Mais les récents événements inquiétaient le souverain. L’instinct qui lui avait permis de régner tant d’années lui faisait pressentir que son peuple était à un tournant. Lukhan l’Aigle serait-il de taille à affronter cette menace ?

*8*


Soren pénétra dans le bureau du Haut Scribe la tête basse. La dernière fois qu’il avait mis les pieds dans cette pièce, il était sorti en claquant la porte et en jurant de ne plus jamais y revenir. Le Thaumaturge, penché sur un manuscrit, lui tournait le dos mais le jeune homme pouvait sentir son sourire moqueur.

—Eh bien, te revoilà donc parmi nous…

Première attaque, qu’il essuya sans broncher.

—Puis-je savoir ce qui te déchire l’âme au point de t’obliger à venir me rendre visite ?

Celle là, il l’avait sentie venir. Le Haut Scribe se retourna et leva vers lui un regard interrogateur. Dans ses yeux gris acier, une pointe d’ironie, au coin de sa bouche, un pli moqueur. Il n’avait pas changé. Les années passaient sur lui sans l’altérer. A peine Soren remarqua-t-il la teinte plus grisée qu’avaient pris ses cheveux et les petites rides apparues au coin de ses yeux.

—Je suppose que tu as deviné que je n’avais pas le choix…

—En effet. Et à moins que je ne me trompe, ce n’est pas ton affreuse coupe de cheveux qui te tourmente à ce point ?

Non, il n’avait vraiment pas changé. Le jeune homme sentit son cœur se serrer, il avait l’impression d’être revenu quatre ans en arrière, comme si il n’était jamais parti. Il aurait préféré être accueilli avec ce qu’il méritait, tout sauf cette tranquille indifférence. Soupirant, il exposa le but de sa visite.

—Je n’y arrive plus…Depuis une semaine. Impossible de dessiner quoi que ce soit de potable.

Et soudain, il se sentit très bête. Pourquoi être venu pour ça ? Ce n’était qu’une simple panne d’inspiration, tous les artistes en connaissaient à un moment où à un autre de leur carrière. La voix qui martelait son esprit n’était que celle de sa conscience…Jamais il n’aurait du venir. Regagnant la sortie, il s’arrêta, une main posée sur la porte.

—Pardonnez moi d’être venu, c’était une erreur.

Il s’apprêtait déjà à battre en retraite, la poignée entre les doigts, lorsque la voix claire et pleine d’autorité du Thaumaturge se fit entendre.

—Cesse un peu tes simagrées et pose tes fesses sur ce fauteuil !
Il n’y avait pas à discuter. Il fit volte face et s’assit sans un mot. C’était très exactement la troisième fois qu’il entendait le Haut Scribe user de ce ton sévère et sec. La première fois, il n’avait que sept ans, la Grande Bibliothèque avait manqué de se consumer entièrement mais avait été sauvée par le sang froid de son responsable qui sans s’émouvoir avait guidé les scribes d’une main de fer, les obligeant à former une chaîne humaine entre le puit et l’incendie. La deuxième fois, c’était il y a quatre ans, quand il s’était fait chassé de la Bibliothèque après avoir insulté ses professeurs et le Thaumaturge lui-même. Ce jour là, il était parti pour la confrérie des peintres.

—Raconte moi exactement ce qu’il se passe.

—Je ne sais pas trop…C’est juste que je n’arrive plus à me concentrer…Et j’ai du mal à dormir, depuis une semaine. Comme si quelqu’un était penché au dessus de mon lit et qu’il me fixait. Et puis il y a la voix…
Il s’arrêta un moment, cherchant à trouver les mots justes.

—Une voix très faible, presque imperceptible. Une voix de femme, très profonde. Elle est toujours là…Elle ne s’arrête pas, jamais. Et elle répète toujours le même mot, sur le même ton. Un peu comme un écho…

—Danger.

Il leva des yeux écarquillés sur le Haut Scribe. Comment pouvait-il savoir ? C’était impossible, il n’en avait parlé à personne. Il allait l’interroger, le forcer à lui dire comment il avait deviné mais il remarqua que le Thaumaturge s’était enfoncé dans son fauteuil. Un pli soucieux lui barrait désormais le front et il apparaissait comme n’importe quel homme de son âge : un homme âgé de près d’une soixantaine d’années aux cheveux plus gris que bruns et aux rides marquées, un corps fatigué et un regard qui avait perdu l’étincelle de la jeunesse. La métamorphose était surprenante. On aurait dit que cette force incroyable, ce rayonnement qui entourait toujours le Haut Scribe s’était effacée, ne laissant que la coquille épuisée de celui qu’elle avait habité un temps. Incapable d’émettre un son, Soren resta sans bouger, à contempler celui qui l’avait recueilli, lui l’enfant des rues. Le silence enveloppa les deux hommes.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyDim 20 Mai - 4:34

*9*


Effectivement, ce soir là, Nya dormit en paix, ainsi que le lendemain et le surlendemain. Avec le retour à la vie quotidienne et surtout le passage au statut d’initiée qu’elle devait préparer, l’avertissement s’effaça peu à peu de son esprit, jusqu’à devenir un lointain souvenir, un cauchemar disparu avec le lever du jour.

Enfin, le grand jour arriva, pour elle et les autres novices dont le talent était assez développé pour affronter les épreuves. Cette année, ils étaient une douzaine. Elle faisait partie des plus jeunes. Pour cet événement, le Sanctuaire tout entier s’était réuni sur la place principale.

C’était l’un des endroits que Nya préférait.

Le sol se composait de grandes dalles arrondies d’émeraude. Au centre, un cercle de terre avait été conservé et on y avait planté un énorme arbre dont les branches à la teinte argentée s’étendaient sur plusieurs mètres tout autour du tronc. La place elle-même était immense, elle courait dans toutes les directions en prenant la forme approximative d’une étoile à sept pointes. Des bancs étaient installés à intervalle régulier. Taillés dans le cristal, ils reflétaient à la fois la teinte verte du sol et les rayons du soleil.

Mais pour le moment, on ne distinguait plus quoi que ce soit des dalles, tant les Mystes étaient nombreux. Bien sûr, comparés aux cités des Communs, leur peuple comptait un nombre ridiculement bas d’individus mais les voir ainsi rassemblés n’était possible qu’en de rares occasions. L’Initiation en faisait partie.

Regroupés derrière l’estrade dressée pour l’occasion, la plupart des candidats se concentraient. Les autres tentaient de faire diminuer le stress qui les assaillaient. L’enjeu était de taille : aucun ne voulait échouer et se retrouver à la même place l’année suivante. De plus, la perspective d’essuyer une défaite devant toute la population et les Sages eux-mêmes étaient loin d’être tentante.

Le maître de l’Académie appela le premier candidat. En le voyant monter les marches de l’estrade, Nya se crispa un peu plus, elle était la suivante. Pourtant, en toute objectivité, elle n’avait aucune raison de s’inquiéter. Les échecs à l’Initiation était rares et elle faisait partie des étudiants les plus brillants. Sa maîtrise du Don était même qualifiée de surprenante pour une novice de son âge et surtout pour la fille d’une adoptée.
Un murmure d’approbation parcourut la foule, signe que le premier candidat avait réussi. Sans attendre, elle se leva et s’apprêta à gagner à son tour l’estrade. Guettant un signe du professeur, elle fit le vide en elle, rassembla toutes les forces de son esprit.

Enfin, son nom retentit.

Prenant place sur l’une des deux chaises disposées sur la scène, elle chercha des yeux ses parents. Peine perdue, la foule était trop compacte. En revanche, elle croisa le regard de l’Ancêtre, située au premier rang du public avec le reste du conseil. C’était à eux que revenait le privilège, une fois le passage réussi, d’ajouter la ou les lettres qui faisait passer le nom du nouvel initié à une syllabe supplémentaire. Par cet ajout, on symbolisait l’entrée des jeunes gens dans leur pleine identité de Mystes. Auparavant incomplets et ignorants, ils devenaient des membres du Sanctuaire à part entière. A cette étape, que chacun était en mesure de franchir, succédait une autre, réservée à un nombre restreint de privilégiés : le passage au statut de Sage se caractérisait également par un ajout, Fra pour les hommes, Ewa pour les femmes.

L’initiation se composait de deux étapes. Nya réussit l’une et l’autre avec aisance et facilité. Elle avait répété ces mouvements un nombre incalculable de fois à l’Académie et c’est sans surprise qu’elle parvint à faire décoller la chaise inoccupée du sol pour lui faire effectuer le tour complet de la scène. Déplacer les objets par la pensée était l’apanage de n’importe quel Myste. En revanche, le second exercice demandait plus d’efforts et de concentration et nombre de novices devaient patienter des années pour parvenir à décoller du sol ne serait-ce qu’une demi seconde. La jeune femme y parvint sans difficulté, et plana à la hauteur du dossier de la chaise pendant près d’une minute. Lorsqu’elle toucha à nouveau le plancher de l’estrade, le même murmure d’approbation qu’un instant plus tôt parcourut l’assistance. Sur un signe du maître de l’Académie elle put donc rejoindre l’une des places vides disposées autour des membres su Conseil.

Les autres candidats enchaînèrent et finalement un seul échoua, incapable de gérer son stress pour se concentrer. Avant que ne débute le banquet et les festivités, il restait la cérémonie du baptême.

Les jeunes gens étaient alignés sur la scène et tour à tour approchés par un des Sages qui lui murmurait à l’oreille le nom qu’il lui avait choisi. Puis, le nouvel initié devait avancer vers le public pour répéter à voix haute la façon dont il serait désormais désigné.

Lorsque son tour arriva, Nya vit s’approcher l’Ancêtre. C’était un immense honneur de recevoir son nom de la doyenne du Conseil. L’estomac noué, elle se demanda quel syllabe la Myste avait choisi. Elle tenta de se souvenir de son nom…Ewa Arycie…Elle n’en était pas certaine. Mais déjà, l’auguste Ancêtre n’était plus qu’à quelques pas d’elle. Si proche. Lorsque la fine capuche de tissu blanc lui frôla le visage, elle retint son souffle.

Le public put voir le sourire qui éclaira le visage de la jeune femme à la révélation de son nouveau nom. Retenant mal la joie et la fierté qui la submergeait, elle fit un pas en avant et d’une voix claire l’annonça à l’assistance.

« Anya ». Chaque lettre prononcée avait un goût particulier. Elle le répéta en elle-même encore et encore tandis que, la cérémonie achevée, les festivités débutaient.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyMer 30 Mai - 4:51

*10*


Voilà plusieurs jours que la réunion des chefs avait eu lieu. Depuis, les choses avaient continué à se dégrader. Hier, le clan qui vivait à l’extrême sud de la pointe de Calchas était arrivé, demandant asile. Sur leurs terres, plus d’eau, plus de gibier, une chaleur étouffante, plusieurs étaient morts parmi les plus fragiles. Markhan avait accepté de leur céder momentanément une portion de son territoire, craignant tout de même de voir prochainement arriver d’autres réfugiés. Il savait pertinemment que la fierté des chefs les retiendrait de demander de l’aide aussi longtemps qu’ils le pourraient, c’est pourquoi il était d’autant plus inquiétant pour lui d’accueillir ces hommes et ces femmes.

Pour le moment, le Maître des Chasseurs était tourné vers l’Est, cherchant, du haut de son promontoire rocheux à distinguer son compagnon. Inquiet pour son peuple, il l’avait envoyé en reconnaissance en direction des autres Sphères. Deux semaines s’étaient écoulées, dans la solitude de l’homme privé d’une partie de lui-même, jusqu’à ce que ce matin, il ressente la proximité du lien qui les unissait. A présent, impatient de retrouver son âme sœur, il se tenait sur l’un des escarpements rocheux qui limitaient le territoire de son clan, le regard fixé sur les plaines parsemées de bosquets.

—Il arrive.

Markhan avait presque oublié la présence de son fils à ses côtés. Il lui répondit par un grognement signifiant son assentiment. Un sifflement retentit, suivi d’un battement d’ailes. Inutile de se retourner, le Maître avait compris que l’aigle de Lukhan s’était posé à proximité. Nouveaux sifflements, indices d’une conversation entre le jeune homme et son compagnon.

—Il dit qu’il l’a vu derrière les rochers là bas. Il sera bientôt visible.

Et, comme si tout avait été minuté, les deux hommes virent alors apparaître un énorme ours brun derrière les blocs granitiques. Le pas lourd et digne, sa démarche était lente et pleine de noblesse. Un sourire se dessina sur les lèvres de Markhan à la vue de son âme sœur. Rassuré sur l’état de forme de l’animal, il consentit enfin à rejoindre son fils à l’ombre des grands arbres et à s’asseoir.

—Tu aurais pu me laisser envoyer mon aigle, il serait revenu plus vite…

—Pas assez.

Comme toujours, le Maître était économe de paroles. A quoi bon de toute façon préciser que le laps de temps écoulé aurait été trop long et trop dur à supporter pour un couple aussi jeune ? Lukhan le savait parfaitement même si son orgueil le poussait à affirmer le contraire. Seul un lien très puissant, témoin d’une longue expérience permettait à un Chasseur et à son compagnon d’être séparés plusieurs jours. Il en était d’ailleurs lui-même éprouvé, plus qu’il ne l’avait supposé au moment de la séparation. Après un long moment de silence, le sentier vibra sous les pas du formidable ours mâle. L’aigle l’accueillit par un long sifflement, tandis que Markhan se levait d’un bond pour se blottir contre la douce fourrure brune. Point de retenue après une si cruelle absence, l’homme et la bête ne firent à nouveau plus qu’un. La suite ne fut qu’une série de grognements, et tandis que l’ours racontait son périple, Lukhan patienta, attendant que son père lui traduise le récit.

Sur le chemin du retour, il apprit que, comme ce devait être le cas, l’ours n’avait pas rencontré d’homme à l’Est de leur territoire, et ce jusqu’aux frontières de la terre des Chasseurs. Bien sûr, ils avaient secrètement espéré trouver des traces de la présence de ce peuple qui leur était tellement étranger, les Mystes. Tout aurait alors été expliqué. Mais une absence de preuves ne signifiait pas qu’ils étaient innocents, Markhan voulait se convaincre du contraire, ils devaient être coupables. Sinon, nulle explication à ces étranges phénomènes qui touchaient leur contrée. Car son compagnon l’avait confirmé, les plaines orientales connaissaient aussi des troubles, les animaux fuyaient face à des vents d’une violence inouïe qui balayaient leurs terres et enflammaient leurs abris. Aussi, c’est le visage sombre que les deux hommes revinrent au village. Leur peuple était menacé, pris en tenaille et attaqué de tous les côtés à la fois. L’heure était grave et la nouvelle réunion des chefs qui se profilait promettait d’être orageuse…

*11*


— Tu n’es pas le seul à entendre ces avertissements.

Soren attendit la suite, sans un mot, les yeux rivés sur le Thaumaturge.

—Je les reçois également, de même que plusieurs autres personnes, de façon plus ou moins distincte et plus ou moins fréquente.

—De qui viennent-ils ? Est-ce que ce sont les Mystes ?

Le jeune homme n’en avait jamais croisé mais comme tout un chacun il savait que parmi les incroyables pouvoirs de cette sphère se trouvait la communication intérieure.

—Je l’ignore encore…le Seigneur a envoyé des émissaires en direction du Sanctuaire…

—Mais ?

Il connaissait bien le Haut Scribe et savait par exemple que le ton employé, conjugué à un léger basculement de la tête sur l’épaule droite et surtout à un froncement imperceptible des sourcils était synonyme de désaccord.

—Mais cela me paraît peu probable car les relations avec les Mystes sont bonnes et qu’ils n’ont aucune raison de nous envoyer un message intérieur pendant une semaine alors que des routes existent et que des émissaires sont à leur disposition.

—Peut être qu’il s’agit d’un message confidentiel…

—…qu’ils auraient envoyé à un jeune peintre écervelé ?

Là, il fut pris de court. Réflexion stupide, soit, mais refusant de se laisser démonter, il contre-attaqua.

—Peut être qu’il s’agit d’une erreur, un Myste en danger appelant à l’aide…Si ça se trouve il est coincé dans une grotte et demande de l’aide mais il crie si fort que sa voix arrive jusqu’à nous, et…

—Tu as toujours autant d’imagination. Pourquoi est-ce que tu n’es pas devenu barde plutôt que peintre?

Le reproche était à peine voilé. Soren se mordit la lèvre inférieure et baissa les yeux, furieux de ne pas s’en être tenu à la réserve qu’il avait juré de garder, au lieu de partir dans ses délires.

—Puisque tu es là et que tu as daigné remettre les pieds à la Bibliothèque, tu vas peut être pouvoir te rendre utile. Les scribes sont un peu débordés en ce moment avec la récente fête qu’il y a à consigner. Et puis, comme tu fais partis des élus…
Traduction, il allait se faire exploiter comme une bête de somme. Hors de question. Il n’allait pas se faire attraper aussi facilement.

—J’ai beaucoup de travail en retard. Tu devras te passer de moi.

—Je croyais que tu n’arrivais plus à dessiner quoi que ce soit de potable ?

Argh ! Ses propres mots…

—J’ai besoin que tu jette un coup d’œil aux archives. Il me semble bien avoir déjà lu quelque chose qui ressemblait à ce message.
Nouvel euphémisme…un « coup d’œil » ! Vu les kilomètres de manuscrit que contenait la salle des archives, il allait certainement y passer le reste de l’année ! Et encore, en se limitant aux documents les plus récents…

—Non, je…

—De toute façon tu n’es bon à rien pour le moment. Voilà qui est réglé. Je vais dire à Japsal de t’accompagner aux archives et de te montrer la partie la plus ancienne, je crois qu’il vaut mieux commencer par là.
Et sans attendre sa réaction, le Thaumaturge fit tinter la petite clochette qui était suspendue au dessus de son bureau. En moins de deux secondes, le dénommé Japsal, petit homme chauve au ventre rebondi qui servait de secrétaire au Haut Scribe fit son apparition. Soren lui lança un regard noir, autant pour se défouler que pour lui signifier de ne plus écouter aux portes. Puis, les épaules voûtées et le moral en berne après s’être fait manipuler de la sorte il franchit la porte.

—Bonne journée, mon cher.

Sans même se retourner, le jeune homme sut exactement quel genre de sourire pervers étirait au même instant les lèvres du vieil homme.

*12*


Le banquet battait son plein désormais sur la place principale du Sanctuaire. La nouvellement dénommée Anya se trouvait en compagnie de ses parents. Une petite assiette contenant des fruits spécialement commandés des vergers de la Cité à la main, la jeune femme recevait les compliments des Mystes qu’ils croisaient. Sa mère rayonnait littéralement de bonheur, étant un adoptée, issue d’un petit village de Communs, elle craignait de voir sa fille privée du Don. Et, même si les rapports de l’Académie à son sujet avaient toujours été fort élogieux, elle doutait encore le matin même de la réussite d’Anya.

Lorsqu’une main se posa brusquement sur son épaule, la nouvelle Myste sursauta.

—On a réussiiii !

Propulsée dans les bras de sa meilleure amie, la jeune femme tendit in extremis son assiette à son père afin de pouvoir étreindre à son tour Yanne, ou plutôt Gayanne, désormais.

—Oui, on a réussi ma belle ! Félicitations !

Elle leva les yeux pour répondre au sourire éclatant que lui adressait la grande et svelte beauté aux cheveux châtains clairs. Beaucoup moins à l’aise qu’elle avec le Don, son amie avait été sur le fil pendant toute l’épreuve. Heureusement, elle avaient toutes deux réussi leur Initiation. Désormais, elles étaient considérées comme des Mystes à part entière, des adultes. Comme elles s’éloignaient toutes les deux de la cohue, Gayanne, toujours aussi volubile lui faisait part, dans le désordre le plus total de toutes ses impressions sur l’événement.

—J’avais tellement peur d’échouer ! Meryl m’avait dit que j’avais une chance sur deux de…Il a été nommé Emeryl d’ailleurs tu avais raison ! Et en plus, toi tu as été choisie par l’Ancêtre, et tu sais que, pour elle aussi, la syllabe était un « A »…Meryl, euh, Emeryl dit que c’est un grand honneur et qu’elle ne renomme qu’un seul candidat par an au maximum ! Tu te rends compte ? Hmmm, ces fruits sont délicieux, tu en veux un ? Oh…et Reon a échoué, trop de stress, il paraît qu’il a été malade toute la nuit. Moi aussi j’ai mal dormi et je…Ah! On te cherchait partout !

En un clin d’œil, la jeune femme s’évapora de ses côtés pour se retrouver suspendue aux bras d’un jeune Myste à la chevelure noire et bouclée et aux yeux en amandes.

—Félicitations Anya.

—A toi aussi Emeryl.

Le ton était poli, presque froid. Les deux jeunes gens ne s’entendaient pas particulièrement mais étaient obligés de se supporter car Gayanne était folle amoureuse et s’accrochait à lui à la moindre occasion. Pour ne pas faire de peine à son amie, elle tentait de paraître la plus cordiale possible mais l’illusion était bien mince.

—J’ai dit à Anya ce que tu m’avais dit à propos de l’Ancêtre et…

—Et d’ailleurs, le Conseil aimerait nous voir tout à l’heure.

Il l’avait coupée sans ménagement, comme à son habitude. D’ailleurs, si la jeune femme tentait de sauver les apparences, lui était toujours aussi froid, acceptant la présence de sa soupirante pour des raisons obscures mais ne tenant, en tout cas, nullement à l’amour.

—Le Conseil ? Pour quoi faire ?

—Le ne sais pas. C’est le Professeur général qui m’a dit de faire passer le message.

—Oh…Très bien.

Au fond d’elle, elle songea que ce pourrait être au sujet de ces demi-rêves sont elle n’avait toujours pas eu d’explication ; mais dans ce cas, pourquoi convier aussi Emeryl ? Mais déjà Gayanne lui avait saisi le bras pour l’entraîner à la rencontre d’autres jeunes gens, si bien qu’elle ne pensa bientôt plus à cette convocation. Ce n’est que lorsque le grand sablier du Sanctuaire marqua la douzième heure de la journée, lorsque les rayons du soleil commencèrent à décroître, que la jeune femme se rendit à la salle du Diamant, où, sous le porche, on pouvait deviner les silhouettes de plusieurs personnes qui patientaient déjà.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyLun 18 Juin - 4:40

*13*


Deux réunions de chefs en si peu de temps, c’était mauvais signe. Cet état de fait était visible sur tous les visages, la lueur du foyer situé au milieu du cercle qu’ils formaient faisant d’autant plus ressortir les rides de crispation et les gouttes de sueur qui perlaient sur le front de ces guerriers. Aucun n’avait vu d’un bon œil l’arrivée, dans le fief du Maître, de la tribu de la pointe de Calchas. Mais nul n’avait risqué un commentaire, chacun sentant au fond de son âme que dans peu de temps il pourrait en être réduit à la même extrémité.

—Il faut leur déclarer la guerre ! Les réduire à néant avant qu’ils ne nous affament !

Une fois les salutations faites, le premier à prendre la parole avait été Volkhan, la marmotte. Comme toujours, il s’était fait le porte parole des chefs les plus virulents et les plus extrêmes. Markhan se demandait quel point commun il pouvait bien avoir avec son compagnon animal. En général, savoir à qui un Chasseur était lié donnait un bon indice sur son caractère, mais depuis les années qu’ils se connaissaient le Maître ne lui avait trouvé aucune ressemblance, de près ou de loin avec une marmotte, si ce n’est, peut être, la couleur de sa tignasse qui rappelait vaguement le pelage de l’animal…Bref, encore une fois, ce serait à lui de calmer le jeu mais malgré tout son pouvoir, il savait qu’il aurait besoin d’alliers ce soir là. Aussi ses yeux firent-ils le tour du cercle que formaient les hommes, cherchant à repérer une étincelle de désapprobation dans l’un ou l’autre des regards avant de prendre la parole.

—Nous n’avons aucune preuve qu’il s’agit bien des Mystes. Comme moi, vous avez envoyé des éclaireurs vers l’Est et vous savez parfaitement qu’il n’y a aucune trace de leur présence éventuelle.

—COMMENT OSES TU DIRE CA?, explosa Volkhan, Tu sais parfaitement qu’aucun d’entre nous n’auraient intérêt à agir de la sorte quand bien même nous en aurions le pouvoir ! Et ce ne peut pas être non plus les…Communs !

Le dernier mot avait été craché, témoignant ainsi de tout le mépris de leur peuple pour ces êtres inférieurs, incapables de faire quoi que ce soit. D’ailleurs, nombre d’entre eux auraient été d’avis d’envahir leurs terres, si riches et fertiles si le Pacte ne l’interdisaient pas. Or, lle Pacte, accord ancestral et immémorial entre les trois sphères était sacré et intouchable.

—Peut être mais les Mystes n’auraient pas non plus d’intérêt à nous attaquer…Pourquoi s’en prendre à nous alors que les Communs sont infiniment plus faibles ?

—Et qu’est-ce qui te dis qu’ils ne les ont pas encore détruit ?

Celui qui venait de prendre la parole était un allier de la marmotte. Un jeune chef dont le pouvoir était récent. Sa remarque était totalement déplacée et lui valut un regard noir de Volkhan. Si le monde des Communs s’était effondré, les animaux l’auraient su et alors, ils l’auraient su. Impensable que l’une des sphères ne disparaisse dans le silence.

Aussi, le meneur de la fronde reprit-il la parole en tentant de faire comme si la réplique précédente n’avait jamais été prononcée.

—C’est évident…Ils se sont alliés. Les Mystes ont toujours eu besoin des Communs pour leur servir de domestiques…Et ceux là sont tellement abrutis que, du moment qu’on leur donne quelques gemmes ils sont heureux ! Oui, ils se sont alliés…pour nous détruire !
L
e silence retomba. Chacun jaugeait son voisin, tentant de comptabiliser combien de partisans comportait chaque camp. Bien sûr, l’autorité du Maître était suprême et irrévocable mais, dans les faits, il était relativement facile pour les chefs de s’y opposer et de faire contrepoids.

Si Markhan était depuis si longtemps à la tête de leur peuple, c’était pour deux raisons. D’abord, parce que l’ours était un redoutable combattant, un combattant invaincu. Mais cette invincibilité qui le maintenait sur le trône était en partie due aux autres chefs qui se retenaient de le provoquer en duel et en dissuadaient tous les jeunes gens aux dents longues de leurs tribus. De fait, s’ils l’avaient voulu, leur monarque aurait été obligé de se confronter à des adversaires chaque jour et alors, aussi fort qu’il pusse être, Markhan aurait fini par être vaincu. Jusque là, son charisme et sa sagesse l’avaient préservé d’un tel sort. Ce soir, il savait qu’il allait devoir prouver, encore une fois, qu’il possédait ces qualités.

—Tu parles comme si tu connaissais ces peuples, Volkhan… Mais il y a quelques semaines encore, ces noms appartenaient pour la plupart d’entre nous à la légende…Voilà des centaines d’années que le Pacte est en vigueur et jamais encore l’une des sphères y a fait une entorse. Pourquoi maintenant ?

Plusieurs hommes, surtout parmi les chefs expérimentés hochèrent la tête, approuvant ses réserves sur cette entrée en guerre. Cette décision était lourde de conséquence, outre la mobilisation de tous les hommes en âge de combattre, elle lui conférait l’autorité totale sur l’ensemble du peuple, réduisant à néant le rôle des chefs. Alors Markhan ne comprenait pas pourquoi ces hommes qui étaient des rivaux en puissance insistaient pour lui remettre un tel pouvoir à leur propre détriment…

Dans sa tête, une voix lui souffla la solution, tellement évidente et pourtant si difficile à admettre.

Parce qu’ils ont peur…
Le maître poussa un soupir silencieux. Lui aussi avait peur. Peur pour son peuple, sa famille, son compagnon. Tout à coup, la charge qu’il assumait pesa terriblement lourd sur ses épaules pourtant larges. La voix de Volkhan le ramena à la réalité.

—Peu importe ! Nous ne sommes pas là pour tenter de deviner leurs motivations mais pour protéger notre peuple !Serais-tu devenu lâche Markhan ?

Un concert d’acclamations d’une part et de sourdes protestations de l’autre retentit dans la pièce. Lorsqu’un semblant de clame revint, ce fut au tour de Gakhan de prendre la parole. Gakhan le renard, l’un des plus vieux chefs. Au moins, le point qui le rattachait à son compagnon était parfaitement clair. La ruse du vieil homme était légendaire, c’est elle qui lui avait permis de garder le contrôle de sa tribu malgré le déclin de ses forces physiques.

—Cesse d’être ridicule, marmotte, (l’intéressé grimaça) aucun de nous ne peut mettre en doute le courage du Maître. Toi qui t’y connais si bien sur les Mystes et les Communs, je suppose que tu es tout aussi savant sur le code de l’honneur des Chasseurs…

Un murmure traversa la salle, le code de l’honneur était sacré au même titre que le Pacte, chacun était tenu de le connaître par cœur et sur le bout des doigts. Et comme tous voulaient entendre la suite, le calme revint rapidement, laissant Gakhan reprendre la parole.

—Alors, comme tu le sais certainement, un Chasseur n’a pas le droit d’engager un combat, hors du cadre d’un duel ou si l’offense n’est pas avérée. Or, même si les récents événements sont désastreux pour notre peuple, il me semble que chacun sera d’accord avec moi pour admettre que tes accusations ne peuvent être clairement prouvées…

Regard entendu et triomphant du côté des partisans de Markhan, doute et hésitation chez les autres, fureur, enfin, dans les yeux Volkhan.

—Aussi, je propose (et il jeta un coup d’œil à leur souverain pour guetter son approbation) que nous envoyions un groupe d’hommes vers l’Est avec pour mission explicite de ramener ces preuves. A leur retour, nous entrerons en guerre.

Les acclamations fusèrent et la décision fut rapidement entérinée par le Maître qui leva la séance pour l’heure, reportant au lendemain le choix des « enquêteurs ».

*14*


Cela faisait trois jours que Soren n’avait pas quitté la Bibliothèque. Soi disant pour perdre moins de temps, le Thaumaturge lui avait fortement conseillé de s’installer temporairement dans l’une des cellules réservées aux scribes. C'est-à-dire en fait, qu’il avait eu moins le choix que si on lui avait pointé un couteau sur la gorge….Mais l’avantage, effectivement était qu’il avait pu se consacrer à plein temps à ses recherches, sans compter que la nourriture infecte et le mutisme des employés ne l’encourageaient pas vraiment à traînasser. Bien sur, les premières heures, il avait bien essayer de lancer des conversations et de se rendre sympathique mais, apparemment, le Haut Scribe avait veillé personnellement à la formation de ses recrues : le jeune peintre parvint tout au plus à s’attirer un léger sourire, au milieu des regards désapprobateurs et des « chuuuut ! » indignés.

Après une demi-journée passée à traîner des pieds, il avait donc dû se mettre au travail. Et plus le temps passait, plus son humeur était sombre. La vue de tous ces manuscrits, le bruit de la plume grattant le papier et l’odeur si particulière des vieux parchemins avaient ranimé en lui des souvenirs qu’il avait cherché à bannir pendant des années. Il avait l’impression d’être redevenu un élève scribe, essuyant sans relâche les critiques de ses tuteurs quant à son écriture hésitante et à ses fautes incessantes pendant les exercices de recopiage. Pourtant, il croyait avoir définitivement tourné la page, ou plutôt, tourné le dos à cette voie. Et voilà qu’il se retrouvait de nouveau assis dans l’une des salles d’archives, à s’abîmer les yeux sur des parchemins à demi effacés, éclairé par la seule lueur d’une torche accrochée au mur…

Repoussant de sa main gauche une nouvelle pile de feuillets illisibles, il s’empara des derniers parchemins de l’étagère. Plus que cent quatre-vingt-treize rangées... Au rythme où il allait, il aurait consulté l’ensemble de la salle d’ici un an et demi.

Au moment où, excédé, il allait repousser le manuscrit aux lettres à peine lisibles qui se trouvait devant lui, certains mots, à l’encre plus foncée attirèrent son attention. Se penchant un peu plus vers la table, il plissa les yeux pour déchiffrer les pattes de mouches qui couvraient le papier puis s’empara de la feuille suivante et de celle d’après, faisant tomber, dans sa précipitation, la pile des parchemins non consultés.

Brusquement, il repoussa sa chaise et serrant contre lui les feuillets, il s’engouffra dans le couloir en direction du bureau du Haut Scribe. Cette fois-ci, les gardes le firent entrer sans broncher.

Le Thaumaturge était assis à son bureau, dans la même position que lors de sa dernière visite au point qu’il douta un instant que vieil homme ait quitté sa chaise durant ces trois jours.

—Eh bien ? Qu’est-ce que tu attend pour me montrer ce que tu as trouvé ?

La dureté de la voix le fit sursauter. Vu ses traits tirés, le Haut Scribe n’avait pas du beaucoup dormir ces derniers jours.

—Oh ! Euh…oui, voilà.

Les sourcils froncés et l’air concentré de son interlocuteur lorsqu’il parcourut la page le rassurèrent sur le bien fondé de sa venue. Bien sur, le parchemin était tout sauf clair, les mots à demi effacés et l’encre à peine visible après des centaines d’années mais les quelques phrases intactes semblaient particulièrement intéressantes et en relation avec leur situation. Comme pour imprimer leur contenu dans son esprit, le Thaumaturge les relut à voix haute.

—L’avertissement nous est parvenu en même temps que les premiers signes (…)Les Chasseurs sont arrivé à nos portes (…) devons fuir jusqu’à l’Océan Septentrional (…) les Mystes nous attendrons.

—Le manuscrit date du tout début du Temps des Troubles. Le nom de l’auteur est partiellement effacé mais je crois que c’est Guilhem de je ne sais trop quoi.

—Intéressant…, murmura le Thaumaturge pour lui-même, je crois que nous tenons quelque chose.

—Alors vous pensez que l’avertissement cherche à nous dire que les Chasseurs vont passer à l’attaque ?

—Je l’ignore encore… Mais ce qui est certain c’est que les événements que nous vivons, les avertissements, se sont déjà produits, il y a très longtemps. Je suppose que la suite est illisible ?

—Oui, l’auteur mentionne cinq tomes ; j’ai vérifié, il ne reste que celui-ci.
La plupart des pages sont effacées ou tout simplement tombées en poussière. Les seuls passage lisibles sont celui-ci et un autre situé un peu avant et sans intérêt.

—Sans intérêt pour qui, mon garçon ?

—Pour nous…Il ne fait que parler des mauvais récoltes, de la chaleur et blablabla…

Avec une rapidité insoupçonnée pour n’importe quel spectateur non averti, le Haut Scribe se leva de son siège et se glissa derrière le jeune homme pour consulter lui-même la feuille qu’il tenait toujours à la main. Tapotant son index sur le papier, il reprit la parole.

—Mauvaises récoltes…Le président de la guilde des fermiers se plaignaient la semaine dernière des températures qui sont en train de ruiner tous les champs et les vergers…Oui…ce n’est pas une coïncidence. Je crois que nous avons trouvé. Il faut en parler au conseil.

Le jeune homme tiqua sur le « nous » mais s’abstint de tout commentaire. Déposant l’ensemble des feuilles sur le bureau, il prit la direction de la sortie.

—Parfait, dans ce cas je suppose que je peux rentrer chez moi. J’ai du travail qui m’attend et j’ai l’impression que la voix est de moins en moins présente. Avec un peu de chance, je réussirai à nouveau à me concentrer…

—Hors de question.

—Hein ?

—Tu viendras avec moi à la réunion du Conseil demain matin. Et d’ici là, vas chercher s’il n’y a pas d’autres manuscrits de la même période qui évoquent ces événements.

Inutile de protester. De toute façon, Soren se savait déjà plongé dans cette histoire jusqu’au cou, quelques jours de plus ou non, il n’en était plus à ça près…Saluant le Haut Scribe qui ne lui répondit pas, trop absorbé par sa lecture, il remarqua que celui-ci semblait être ragaillardi. Pourtant, il ne lui avait apporté que des mauvaises nouvelles. Entre, les récoltes désastreuses, l’invasion des Chasseurs et l’exil de son peuple, il avait du mal à comprendre ce qui mettait le Thaumaturge de si bonne humeur. Mais après tout, il n’avait jamais compris cet homme, même après lavoir côtoyé pendant plusieurs années. Aussi, secouant la tête pour chasser ces réflexions, il reprit la direction des archives, ramassa les feuilles éparpillées au sol et se plongea à nouveau dans leur lecture.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyLun 18 Juin - 4:42

*15*


Pour la deuxième fois de sa vie, Anya pénétra dans la salle de Diamant. Cette fois-ci, elle n’était pas seule, Emeryl se tenait à sa gauche, raide et crispé face à l’incroyable architecture du lieu. Comme toujours, les sept sages siégeaient face à eux, aussi immobiles que des statues, un doux sourire accroché à leurs lèvres.

Après les salutations d’usage, Fra Melvanem, le plus âgé après l’Ancêtre, prit la parole. Sa voix, pareille au son des flûtes dont jouaient les Communs semblait terriblement faible et chevrotante. Pourtant, elle emplissait la salle et résonnait au sein de leur esprit.

—Le Conseil tient tout d’abord à vous féliciter jeunes Mystes. Vous avez brillamment réussi votre Initiation. Pourtant ce n’est pas pour cela, du moins pas uniquement, que vous vous trouvez ici. Vous avez été choisi pour votre intelligence, votre habileté et votre maîtrise exceptionnelle du Don pour des individus aussi jeunes.

Anya sentit Emeryl se redresser à ses côtés et, sans même le voir, elle sut qu’il souriait. Pour sa part, elle baissa inconsciemment la tête et fixa le sol où les ombres de chacun des protagonistes s’étendait démesurément et, doucement, dansait, à partir des flammes vacillantes des chandelles. Au loin, le filet de voix de Fra Melvanem s’était remis à couler, lentement, bienveillamment

—Si vous l’acceptez, le Conseil souhaite vous confier une mission.

La jeune Myste releva la tête, interrogeant du regard les Sages. Cette fois-ci, ce fut la voix de Fra Josuel, leur porte-parole habituel, qui retentit.

—Vous avez tous deux reçu des demi-rêves et vous êtes venus nous en parler. Mais, c’est sans explication que vous avez quitté cette salle. Aujourd’hui, nous vous offrons la possibilité de peut être découvrir des indices à propos de ces avertissements.

Ainsi, son intuition avait été juste. Elle brûlait d’impatience d’en entendre plus, de découvrir la réponse à ce mystère. Un coup d’œil vers la gauche lui suffit pour savoir qu’elle n’était pas la seule. Elle ignorait que lui aussi avait reçu ces messages d’alerte. Au fond d’elle, son orgueil en fut blessé. Elle avait cru être la seule novice concernée…

—Des ambassadeurs de la Cité sont arrivés au Sanctuaire. Ils témoignent d’étranges phénomènes. Certains des leurs ont également reçu des avertissements, sous des formes variées. Ils croyaient que le message émanait de nous…

—Des Communs ? Mais ils n’ont pas le Don…Comment est-ce possible ?

La voix tranchante d’Emeryl avait retentit dans la salle comme un millier de lames d’acier. Etonné lui-même, il recula d’un pas et baissa humblement la tête. Mais aucun des Sages ne semblait avoir prit ombrage de cette intervention. Toujours souriants, ils semblaient plutôt amusés.

—Certains d’entre eux le possèdent. Souvent faiblement, ce qui expliquent qu’ils n’aient pas été détectés. D’autres, ont un niveau respectable mais leurs proches ont refusé de les laisser nous rejoindre et d’en faire des adoptés. Quoi qu’il en soit, eux aussi ont entendu l’avertissement.

Fra Josuel venait de clore poliment mais de façon claire la digression et avait recentré le sujet sur la mission qui leur était proposée.

—Ces ambassadeurs nous ont aussi rapportés que les champs et les vergers souffraient de la sécheresse cette année. Rien d’alarmant si ce n’est que le phénomène ne correspond pas au cycles que nous observons depuis des dizaines d’années. De la même façon, des Mystes sont venus nous informer que les températures étaient beaucoup plus fraîches dans les montagnes ces temps-ci.

Quelque chose de gigantesque était en marche, elle le sentait. Mais elle ignorait quoi, et que l’Ouest soit touché également n’était guère rassurant. De qui pouvait émaner l’avertissement ? Une chose était sure, la menace était bien réelle, autour du Sanctuaire et même en son sein… Combien de temps leur restait-il ?

—C’est en cela que consiste votre mission. Comme d’autres, nous vous avons choisi pour devenir nos yeux et nos oreilles. Si vous acceptez, vous irez vers le mont de la Sagesse. Vous y resterez un ou deux jours, le temps de constater, ou non, des phénomènes inhabituels. A votre retour, vous nous ferez un rapport.

Une expédition. Le mont de la Sagesse était situé au Nord du Sanctuaire, dans la partie la plus escarpée et la moins abritée de toutes les montagnes qui les entouraient. Là bas, pas de forêt, simplement des rocs et le brouillard. Un brouillard constant, épais. C’était sans conteste le versant le plus isolé et le moins exploité. A l’Ouest, les monts de l’Honneur et de la Force étaient des voies de passage vers les terres des Communs ; au Sud, les collines étaient largement habitées car les montagnes qu’elles bordaient regorgeaient de minerais précieux et à l’Est, enfin, les bois qui couvraient le mont du Courage étaient très appréciés des Mystes qui en avaient fait un haut lieu de méditation.

La jeune Myste était persuadée qu’on avait fait appel à eux car aucun Initié plus talentueux n’avait voulu se porter volontaire pour aller vers le Nord. Leur mode de vie était tout entier tourné vers le développement du Don. L’effort physique était recommandé mais se limitait souvent à des promenades en forêt. La perspective d’escalader les flancs du mont de la Sagesse n’avait rien de réjouissant et pourtant, malgré tout, qu’on leur propose cette mission était un grand honneur, ils ne pouvaient refuser.

D’un commun accord, les deux jeunes gens acceptèrent humblement, remerciant le Conseil de leur accorder sa confiance. Et, cette fois ci, ce fut l’Ancêtre en personne qui leur répondit.

—Nous savons qu’il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’une mission agréable. Elle est pourtant nécessaire et vous permettra sans nul doute de progresser dans la maîtrise du Don. Cependant, sachez que le Conseil n’est pas ingrat et que nous vous remercions d’avoir accepté.

Anya se mordit la lèvre inférieure. Se pouvait-il qu’ils aient à nouveau lu en elle comme dans un livre ouvert ? Elle avait pourtant prit soin de cacher ses pensées…Un petit rire retentit dans son esprit. Sursautant, elle croisa le regard d’Ewa Arycie. Bien sur…Elle avait été présomptueuse de croire qu’elle aurait pu échapper à leur acuité. C’étaient les Sages, les plus puissants des Mystes, tandis que ce matin encore elle n’était qu’une novice, talentueuse certes, mais une novice quand même.

—Vous pouvez rentrer chez vous. Vous partirez demain matin. Et, si vous le désirez, vous pourrez être accompagnés par des amis de votre choix.

L’entretien était clos. Les deux jeunes initiés saluèrent à nouveau le Conseil et quittèrent la salle de Diamant, l’esprit encore embrumé par tout ce qu’ils venaient d’apprendre. Sans un mot, ils se séparèrent, regagnant chacun leur demeure.

*16*



Les chefs quittèrent l’un après l’autre le palais du Maître. Celui-ci les regarda s’enfoncer dans l’obscurité de la Forêt, adossé à la chambranle de l’immense porte de bois sombre qui donnait accès à sa demeure.

Lorsque tous furent partis, il s’apprêta à rentrer à son tour quand un mouvement dans l’ombre du bâtiment attira son attention. Un léger sourire étira ses lèvres fines, tandis qu’il se redressait, prêt à accueillir son vieil ami.

—Eh bien Gakhan, depuis quand un chef des Chasseurs se terre-t-il dans le noir comme un vulgaire assassin ?

—Tes sens ne sont plus ce qu’ils étaient, ô Maître…Voilà plusieurs minutes que je t’observe à ton insu, répliqua le renard en exposant son visage à la lumière du flambeau que tenait Markhan.

—Nous vieillissons tous mon ami. Même le Maître…

—Alors il est temps de lui trouver un remplaçant.

La voix se fit plus sèche, presque cassante. L’ours poussa un soupir imperceptible, voilà qu’ils entraient dans le vif du sujet. L’affaire devait être importante pour que Gakhan ne prenne pas même le temps, comme à son habitude, de parler de tout et de rien. Mais après tout, ils se connaissaient depuis tant des années qu’il était devenu inutile de prendre des gants. Aussi, d’un geste, il invita le chef de la tribu de l’Extrême Est à entrer à nouveau dans la grande salle de son palais.

Les deux hommes prirent place autour du feu, à l’endroit même où, quelques instants plus tôt, les seize chefs des Chasseurs étaient assis. Cette fois-ci, Markhan délaissa le fauteuil de bois qui témoignait, devant tous, de son statut de Maître pour s’installer sur l’un des tapis qui couvrait le sol. Avec une pointe d’irritation, il se rendit compte qu’il se trouvait exactement à la place qu’avait choisi Volkhan durant la réunion. Gakhan, lui, se trouvait à sa place habituelle. C’est lui qui prit le premier la parole tandis qu’un esclave leur servait de l’alcool d’écorce dans de grandes tasses de métal.

—Tu comptes te retirer n’est-ce pas ?

—Je croyais que j’avais réussi à donner le change.

Le renard eut un petit rire.

—Pour les autres oui. Mais je te connais Markhan…

Evidemment. Le vieux chef avait toujours été le plus intelligent d’entre tous. Heureusement pour lui, c’était à la force des bras que le Maître était choisi. Frottant distraitement sa barbe naissante, il ne chercha même pas à nier les faits.

—Lukhan est prêt. D’ici quelques lunes, je ferai l’annonce. J’ai bon espoir qu’il batte tous les autres…

—Il a de qui tenir. Mais tu le sais comme moi, la force de suffit pas. Il te faudra des alliés mon vieil ami. Aussi brave que soit l’aigle, plus les combattants seront nombreux et moins il aura de chances face à des guerriers expérimentés comme Volkhan ou Durkhan.

Déposant sa tasse d’un geste brusque qui fit résonner le bruit sec dans toute la salle, le Maître répondit d’une voix qu’il aurait voulu moins dure mais qu’il ne put contrôler.

—Je sais. Je suis en train de lui choisir une épouse.

Une alliance matrimoniale avec une tribu puissante lui permettrait de réduire le nombre d’adversaires potentiels pour son fils. L’affaire était délicate, les pourparlers duraient depuis des semaines sans que son choix soit arrêté. Un coup d’œil à Gakhan lui permit de constater que c’était à se sujet que le renard était venu s’entretenir. Les yeux brillants, celui-ci reprit la parole d’une voix mielleuse qui provoqua un frisson irrépressible chez son interlocuteur.

—Justement…à ce sujet, j’ai une proposition à te faire…Tu n’es sans doute pas sans savoir que j’ai une fille en âge d’être promise…

Les yeux froncés, le Maître observa le vieil homme. Etait-il devenu sénile ?

—Toi une fille ? Certes, mais je te rappelle aussi que tu n’as aucun fils et que ta tribu, à ton image ne compte que très peu de guerriers respectables…Comment as-tu pu imaginer qu’une telle alliance serait possible ? Je te l’ai dit Gakhan, je cherche à éliminer des adversaires qui sont capables de faire de l’ombre à mon fils…

Le vieux renard accusa le coup sans sourciller. Ravalant l’insulte qu’il venait d’encaisser, il fixa le Maître de son regard bleu clair et, reprit ses explications comme s’il n’avait jamais été interrompu.

—Tu es toujours aussi impulsif à ce que je vois…mais tu n’es pas sans ignorer que les chefs des tribus du Sud-Est et du Nord-Est comptent parmi mes proches relations…Epouse ma fille et ni l’un ni l’autre n’enverront de concurrents.

Face à un interlocuteur aussi impatient et facile à s’irriter, il avait choisi de ne pas tourner autour du pot. Sa proposition eut l’effet escompté : Markhan le contempla quelques instants sans rien dire, les bras croisés et les yeux méfiants.

—J’aurais du me douter que tu avais quelque chose derrière la tête…Et je suppose qu’outre le mariage, il faudra que je te verse une compensation. Mais je ne comprend pas ce que les deux autres chefs ont à gagner…

—Ne t’occupe pas d’eux. Nous avons nos propres arrangements…

—Je vois. Evidemment avec l’appui de trois tribus, sans compter que le Centre-Est et le Centre-Sud m’ont promis leur appui, les chances de Lukhan deviennent plus que réelles…

Un sourire triomphant étira les lèvres du renard. Il savait qu’il venait d’emporter la partie. Le reste de la discussion ne serait que bluff et marchandage. Et pour ça, il se savait très fort.

Au bout de près de deux heures de discussion, ils parvinrent à un accord. La partie avait été moins facile que Gakhan ne l’avait pensé, le Maître ne voulant rien céder au vu de l’importance des enjeux. Ainsi, il fut décidé que la main d’Eloïshah, la fille du vieux chef, serait publiquement mise à prix comme le voulait la coutume, dès le lendemain, et que les combats opposant les prétendants auraient lieu dans les plus brefs délais. Lukhan étant presque certain de sortir vainqueur, le seul autre prétendant pour le moment étant un imbécile de renom, l’union entre les deux tribus ne faisait guère de doute bien que Markhan dut, comme il s’en doutait, offrir une compensation à Gakhan pour obtenir par la suite son soutien inconditionnel. En l’occurrence, il avait accepté de céder une portion de son territoire, habitants compris, car la tribu de l’Extrême-Est était touchée par un singulier vieillissement de sa population, la faute sans doute aux multiples alliances que ses habitants avaient contractées à l’exemple de leur chef et qui avaient vu le départ de nombreuses jeunes filles pour d’autres tribus…

Enfin, les deux chefs trinquèrent ensemble, s’entaillant chacun la chair pour sceller cet accord dans le sang. Puis, ils se séparèrent, une fois la date des fiançailles définitivement fixée. Chacun regagna alors sa couche, fier et satisfait de ce qui c’était décidé.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyLun 18 Juin - 4:43

*17*


Soren prit place dans l’attelage du Thaumaturge. Eut égard à sa fonction de Haut Scribe, celui-ci était transporté aux frais de la Cité par un équipage digne du seigneur lui-même. Pour sa part, c’était la première fois que le jeune homme voyageait autrement qu’à pied et il s’en trouva fort aise. Et, tandis qu’ils traversaient les grandes avenues de la ville, il était penché à la fenêtre, les yeux grands ouverts comme s’il découvrait pour la première fois l’agitation qui régnait dans les quartiers centraux. Regrettant pour la énième fois de ne pas avoir apporté son matériel à dessin, il poussa un soupir et se rassit correctement, soucieux de ne pas ruiner totalement la coiffure que le Thaumaturge lui avait forcé à adopter à défaut d’avoir pu le convaincre de couper sa crinière fauve.

Après un cahotement supplémentaire sur les pavés inégaux de la rue qui faillit assommer les occupants du carrosse, ils arrivèrent en vue du Fort.

Résidence attitrée du Seigneur depuis des temps immémoriaux, le Fort était une vaste construction de pierre blanche aux murailles épaisses et aux murs percés, à intervalle régulier, de fenêtres en forme d’arc brisé. On y pénétrait en passant sous une arche garnie de soldats qui vérifiaient consciencieusement toutes les entrées et les sorties et après avoir gravi une petite colline sur laquelle la route serpentait pour offrir aux visiteurs une montée toute en douceur.

L’équipage s’immobilisa dans la vaste cour intérieure où des serviteurs portant les armoiries de la famille régnante se précipitèrent pour accueillir le Haut Scribe. Avec force courbettes, ils furent menés jusqu’à la salle d’audience où le Seigneur était en devoir de siéger une bonne partie de la journée. Et en effet, au bout du long tapis rouge qui parcourait la salle, Dame Alaïs, Seigneur de la Cité depuis près de quatorze ans, attendait son conseiller préféré, un grand sourire aux lèvres.

Passant entre les rangées de sièges disposées de chaque côté de l’allée et sur lesquels avaient pris place les principaux dignitaires de la ville, les deux hommes esquissèrent les révérences d’usage avant de s’asseoir sur les chaises que le Seigneur leur avait réservées, au tout premier rang. Le Thaumaturge avait expliqué à Soren qu’il s’agissait d’un insigne honneur, le protocole exigeant que les places respectent le statut de ceux qui s’y asseyaient : plus on était dans les faveurs du Seigneur et plus on devait se trouver proche de lui. Cela n’allait certes pas sans provoquer des remous parmi les membres des familles les plus importantes qui étaient boudés par Dame Alaïs mais personne ne pouvait rien y redire tant que celle-ci régnerait. Or, l’élection du Seigneur n’ayant lieu que tous les dix ans, à moins d’un regrettable accident, la dame tiendrait les rênes du peuple des Communs pendant encore six longues années.

Cela n’était pas pour déplaire au Thaumaturge qui n’avait jamais été aussi en vue. Depuis son accession au pouvoir, l’actuel Seigneur avait fait de lui un conseiller privilégié et écouté, aux détriment des politiciens aux dents longues qui l’avaient soutenu par intérêt

Ainsi, c’est avec un grand sourire mais une voix ferme témoignant de l’expérience du pouvoir que Dame Alaïs lui demanda des nouvelles au sujet de ces avertissements troublants que plusieurs de ses sujets avaient reçu. Elle-même avait entendu à plusieurs reprises le message et elle s’inquiétait à juste titre des répercussions possible sur l’ordre et le calme de la Cité en cette année où les récoltes s’annonçaient déjà catastrophiques.

Le Haut Scribe se leva et exposa le résultat de ses recherches. Enjoignant son jeune assistant à se lever également, il lui demanda de lire les fragments qu’ils avaient retrouvé dans les archives. Et, tandis que Soren leur faisait partager le contenu des manuscrits de Guilhem, un silence de plomb tomba sur la salle, la voix seule du jeune homme s’élevant jusqu’au hauts plafonds. Puis, une fois la lecture terminée, un murmure parcourut les rangs des dignitaires, s’amplifiant doucement jusqu’à devenir un brouhaha terrible où chacun voulait que son avis soit entendu par tous.

—Silence !

Le Seigneur avait parlé, joignant à sa voix le bruit sourd de son sceptre
frappant sur le sol de pierre. Instantanément, le calme revint dans la salle d’audience au point que Soren se demanda comment une aussi petite femme, à l’allure si…insignifiante pouvait faire montre d’une telle autorité. Dame Alaïs était en effet de toute petite taille, ses formes arrondies et généreuses ne parvenant même pas à remplir le grand trône sur lequel elle siégeait. D’apparence débonnaire, elle avait, en toute franchise, davantage l’apparence d’une sympathique boulangère que celle du Seigneur régnant sur la Cité et sur toutes les autres villes des Communs.

Pourtant, force était de constater qu’elle avait su s’imposer alors que, à la mort de son époux, héritier de la grande maison Solanie, quinze ans plus tôt, personne n’avait pris au sérieux la jeune veuve qui avait exprimé le désir de prendre la suite des affaires politiques de son mari. Finalement, mêmes les intrigants qui avaient empoisonné ce dernier avait été forcés de constater que la dame de fer qui l’avait remplacé était bien davantage redoutable…

Et après force discussions, palabres et débats, il fut convenu, au grand dam de Soren que la Grande Bibliothèque poursuivrait ses recherches dans le même sens et qu’en attendant, des émissaires continueraient d’être envoyés au Sanctuaire pour tâcher d’en apprendre davantage ainsi qu’à El Beth, ville la plus proche du territoire des Chasseurs d’où il serait plus facile de les observer. Puis, sur un geste de Dame Alaïs, l’audience prit fin.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyDim 1 Juil - 5:21

*18*


Ce matin là, l’aube était rosée et légèrement fraîche. Les deux jeunes femmes avançaient à grands pas, pour tenter de se réchauffer. Leur destination, le point de rendez-vous, fixé à la porte Nord du Sanctuaire. Là, deux silhouettes se détachaient déjà, leur paquetage à leurs pieds.

—Alors prêts pour l’aventure ?

Comme toujours, Gayanne était d’excellente humeur, c'est-à-dire volubile. Anya, toujours plus posée que son amie salua avec un léger sourire Emeryl et son acolyte habituel, Venorec. Si cela n’avait tenu qu’à elle, la jeune femme aurait choisi de se lancer à l’assaut du Mont de la Sagesse simplement avec sa comparse mais les Sages en ayant décidé autrement, c’était Emeryl qui avait été désigné pour l’accompagner et non Gayanne. Et, par un enchaînement logique, puisqu’elle n’avait aucune envie de se retrouver seule pendant deux jours avec le jeune homme, elle avait invité son amie et, de fait, n’avait pu évité la présence, en contrepartie de ce Venorec qu’elle était loin d’apprécier. Enfin, il s’agissait d’une mission importante qui leur avait été confiée par la plus haute instance du Sanctuaire et il était, somme toute, de fort mauvais goût de multiplier les récriminations avant même le départ.

Rapidement, les quatre jeunes Mystes se lancèrent à l’assaut de la montagne et après moins de deux heures de marche, ils étaient déjà perdus dans le brouillard et ne distinguaient plus les hautes tours du Sanctuaire. Leur champ de vision, réduit à quelques mètres, les laissaient entrapercevoir des rochers aux formes aigues et improbables, parfois entourés de buissons d’épineux, le plus souvent nus et lisses.

La température était descendue de plusieurs degrés dès le début de l’ascension et même la jolie Gayanne avait été réduite au silence par la nécessité de préserver leurs forces. Ainsi, après un temps qui leur sembla interminable, ils décrétèrent qu’il devait être l’heure du repas et s’assirent à même le sol pour grignoter. Serrés les uns contre les autres, ils frissonnaient, certains se demandant pourquoi ils avaient été choisis par cette mission, les autres pourquoi ils avaient accepté d’accompagner leurs amis. Aucun n’osa formuler ses pensées à voix haute et savoir que la mission ne faisait que commencer leur donna, à tous, une folle envie de faire marche arrière au pas de course.

Pourtant, après quelques minutes de repos, ils se relevèrent d’un commun accord et se remirent en route perçant leur chemin à travers le mur de brouillard, sans but précis sinon celui de progresser vers le sommet de l’immense montagne.

—Nya… (Gayanne l’appelait toujours par son ancien nom qui avait, de fait, pris une nuance affective) Est-ce que l’un d’entre vous ne pourrait pas planer jusqu’au sommet du Mont, vérifier que tout va bien et redescendre ?

Le ton était suppliant, la voix hachée par la respiration haletante de la jeune Myste. Se retournant, Anya saisit son amie par la main, l’aidant à grimper sur le rocher où elle se tenait avec les deux garçons.

—Aucun de nous n’en a la force, tu le sais bien. Et puis, on risquerait de se perdre…

Seul un énorme soupir lui répondit. Et tous se remirent en marche.

—Est-ce que c’est normal qu’il n’y ait aucun bruit ?

La voix d’Emeryl venait de briser un silence presque absolu, à peine entrecoupé par le souffle lourd des quatre jeunes Mystes. Anya leva les yeux vers lui, essuya la goutte de pluie qui venait de s’écraser sur son nez et, après s’être accordé quelques secondes de réflexion, lui répondit.

—Je ne sais pas trop…Etant donné le peu de végétation, il ne doit pas y avoir beaucoup d’animaux…

—Je pensais quand même trouver quelques oiseaux, des rongeurs, voire même des reptiles…Mais il n’y a absolument rien. C’est plutôt bizarre. Comme si la vie avait désertée la montagne.

—Ce n’est pas normal. Je sais que certains Communs viennent sur le Mont de la Sagesse pour chasser des animaux à fourrure. Des marmottes, des ours ou ce genre de chose…

Comme toujours, Venorec abondait dans le sens de son meilleur ami. Mais pour une fois, la jeune Myste dut avouer qu’ils avaient certainement raison, elle aussi avait déjà entendu dire que certains Communs venaient chasser sur le territoire du Sanctuaire pour revendre les fourrures. L’air plus frais que sur leurs terres leur permettait d’obtenir des fourrures.

—Mais ce matin il y avait plein d’empreintes d’animaux et on a même vu un lièvre.

Gayanne avait raison. Les premières pentes du Mont regorgeaient de vie et c’était justement là le problème. Ces animaux étaient censés vivre dans les zones aux températures les plus basses, ils n’auraient du en croiser qu’à partir du lendemain, beaucoup plus en altitude. Or, après une journée de marche, les occupants de la montagne avaient déjà disparu.

Il faisait beaucoup trop froid.

—Normalement on aurait du marcher plus longtemps avant d’en voir. C’est pas normal qu’il neige à cette altitude.

Effectivement, les premières gouttes s’étaient peu à peu transformées en petits flocons qui venaient colorer le sol rocailleux en blanc. Les quatre jeunes gens se turent quelques instants, la tête levée vers les cieux et les bras en croix. C’était la première fois qu’ils voyaient de la neige. Pour la plupart des Mystes et des Communs, ce n’était qu’une sorte de mythe, une légende colportée par une poignée d’aventuriers et de chasseurs assez fous pour se lancer dans l’ascension des plus haut sommets.

Jamais encore la douceur de l’air dans les plaines et toutes les zones habitées ne s’était altérée au point de voir poindre des flocons. Et cela incluait la partie du Mont où ils se trouvaient. Ils étaient en train d’assister à un phénomène incroyable. Mais après s’être extasiés quelques minutes, leur moral en prit un nouveau coup. Le jour tombait rapidement et ils n’avaient pas prévu de passer la nuit dans de telles conditions. Déjà leurs manteaux et leurs bottes ne suffisaient plus totalement à les protéger et il fallait s’attendre à une nouvelle chute de la température. Lentement mais sûrement, le brouillard avait recommencé à les envelopper.

—Là bas !

Emeryl pointait du doigt ce qui, de loin, ressemblait à l’entrée d’une grotte. Ils se précipitèrent et, trop heureux que les apparences ne se soient pas révélées trompeuses, s’engouffrèrent dans l’étroit boyau sans même prendre la peine d’en vérifier le contenu. Heureusement, l’anfractuosité n’était pas profonde, juste assez pour les protéger du souffle glacial du vent. Harassés de fatigue, ils se laissèrent glisser à terre et se regardèrent. Leurs expressions allaient de la consternation au désespoir.

—Il faut faire du feu.

Anya sortit la pierre à étincelles de son sac. Par bonheur elle avait pensé à s’en munir. Et, cherchant un combustible, elle repéra un petit buisson, juste à l’entrée de la grotte qui n’avait pas encore été trempé par la pluie neigeuse qui s’abattait à l’extérieur. Bientôt, un petit foyer brûlait, réchauffant les corps engourdis par le froid. Piètre réconfort à peine renforcé par le casse croûte qu’il partagèrent. Les jeunes Mystes savaient que ce n’était que le début d’une longue nuit.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyVen 10 Aoû - 3:57

*19*


La coutume voulait que le jour précédent les fiançailles la jeune femme et ses parents dînent avec les prétendants et leur famille. Pour le moment, on se trouvait encore au milieu de l’après-midi, mais Markhan avait tenu à venir le plus tôt possible sur les terres de la tribu de l’Extrême Est pour s’entretenir de certains détails avec le vieux chef. Sa suite avait été laissée dans la pièce d’entrée et le Maître était à présent simplement entouré de son épouse, de son fils et de Reikhan son ami et garde du corps. Installés par une cohorte d’esclaves, ils attendaient leur hôte en sirotant de l’alcool d’écorce.

Celui arriva enfin, suivi de ce qui semblait être sa fille. Toutefois, l’obscurité de la pièce ne permettait pas de distinguer ses traits et Markhan reconnu là une nouvelle astuce de son vieil ami. D’ailleurs, Gakhan s’avança un grand sourire aux lèvres, saluant chacun de ses invités avec une politesse confinant à de l’obséquiosité et en s’attardant particulièrement sur le prétendant d’Eloïshah.

Enfin, d’un geste théâtral, il fit signe à sa fille d’approcher. Et chacun compris alors pourquoi il était aussi joyeux. Eux, en restèrent bouche bée. La jeune femme était d’une beauté remarquable. Les cheveux blonds étaient une caractéristique rare chez les Chasseurs. Markhan s’était toujours enorgueilli de la teinte dorée qu’avait la chevelure de son épouse Nèveshah. Mais c’était la première fois qu’il voyait des cheveux aussi blonds. D’un blond presque laiteux tant il était clair, d’un blond relevé par les yeux bleus qu’elle tenait de son paternel. Sa minceur de liane et sa finesse des traits lui donnaient un air ingénu, presque fragile. Le vieux renard avait de quoi être fier. Pas étonnant qu’il ait cloîtré la jeune beauté pendant toutes ces années. Il avait bien préparé son coup…

—Enchantée, je suis Eloïshah.

La voix de la jeune femme ramena les trois hommes à la réalité, ce que n’avait pas réussi à faire le coup de coude de Nèveshah dans les côtes de son époux. Et une fois les présentations faites, Gakhan permit à sa fille de se retirer, ou plutôt, lui en donna l’ordre implicite comme s’il voulait la mettre à l’abri des regards de ses invités. Lorsqu’elle fit demi tour, un charmant sourire aux lèvres, tous purent voir la créature jusque là invisible qui s’était nichée dans ses cheveux. Malgré la distance, ses anneaux étaient parfaitement distincts, brillants étrangement et leur couleur noire formant un contraste saisissant avec la chevelure presque blanche. Et, comme se le charme avait été rompu par le départ de la jeune femme, Markhan fronça les sourcils en interrogeant son vieil ami.

—Couleuvre ?
—Il s’agit d’un naja.

Dans tous les cas, un serpent n’était pas du meilleur augure. Il était très rare qu’on ne puisse déterminer, dans les grandes lignes, le caractère d’un Chasseur grâce à l’évocation de son compagnon. C’était pour cette raison qu’il avait obtenu son mariage avec Nèveshah de haute lutte ; peu nombreux étaient ceux qui voyaient d’un bon œil l’union d’un ours et d’une louve, deux identités aussi fortes faisaient rarement bon ménage. Pourtant, Markhan avait réussi à les faire démentir, voilà de nombreuses années qu’ils vivaient ensemble. Des années passées à alterner passion fougueuse et affrontement ouvert mais des années passées ensemble. Et si depuis le premier jour leur rapports ne s’étaient jamais stabilisés, force était de constater que l’union était solide.

Mais que l’alchimie ait fonctionné dans leur cas ne voulait rien dire sinon qu’ils faisaient figure d’exception. Voilà pourquoi le Maître restait dubitatif quant à la découverte du compagnon de la jeune Eloïshah. Les serpents étaient retors, sournois et dangereux. Il en savait quelque chose. Se débarrasser de son plus grand rival, Erkhan, la vipère lui avait demandé des lustres et le tout avait finalement dû se régler par un combat à mort, le plus difficile qu’il ait jamais mené. Il en gardait toujours le souvenir cuisant au creux de la hanche, là où la dague de son ennemi s’était enfoncée bien des années plus tôt.

A présent, Markhan n’était plus certain de vouloir unir son fils, son héritier à cette jeune femme. Trop risqué. Il aurait préféré un caractère plus souple, moins complexe. Lukhan n’avait besoin que d’une mère pour ses enfants, pas d’une épouse difficile à manœuvrer.

Gakhan sentit le vent tourner en sa défaveur. Il avait volontairement omis de préciser jusque là le compagnon de sa fille. Si chez les Chasseurs, des animaux puissants et féroces comme l’ours, le loup ou le lynx étaient bien vus, la ruse et la finesse étaient considérés comme perversion et faiblesse. Ainsi en était-il chez ce peuple ou la force seule était reine. Et même si la réalité n’était pas aussi simple, rien n’ébranlerait cette certitude, aussi ancrée dans les esprits que le roc l’était à la montagne. La beauté d’Eloïshah ne suffirait peut être pas à convaincre le Maître et son fils, pourtant il était hors de question que ce soit un autre prétendant qui obtienne sa main. Le renard savait que Lukhan prendrait la place de son père un jour ou l’autre. Il était encore jeune, peut être un peu trop, mais tôt ou tard, l’aigle prendrait son envol et étendrait ses ailes sur le peuple des Chasseurs, ce n’était qu’une question de temps.

—Allons mon vieil ami, tu es bien placé pour savoir que, parfois, des unions vouées à la catastrophe se révèlent pérennes…

Markhan sourit, regarda son épouse et reporta son attention sur le chef de l’Extrême Est. Il s’attendait à une remarque du même acabit. Hors de question pour le vieux rusé de perdre cette alliance. Et, bien qu’ils l’ait scellé dans le sang, Gakhan savait que l’accord restait fragile.

—Les exceptions sont ce qu’elles sont, renard, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles se multiplient. Il est fort dommage d’ailleurs que tu aies accidentellement oublié de me faire part de ce léger détail…

L’autre prit un air faussement contrit et se tordit les mains avec l’art consommé d’un grand comédien.

—Ô Maître…(l’ami avait providentiellement disparu au profit du titre ronflant qu’il n’était guère habitué à employer) Il te faut prendre en compte la beauté de mon enfant.
—Les jeunes beautés ne manquent pas au sein de notre peuple, y compris celles appariées à un compagnon à la réputation, disons, moins…sulfureuse…

La voix douce et riche de Nèveshah ne voilait aucunement son désaccord quant à l’union de la jeune femme avec son fils. Plus encore que Markhan elle se faisait un devoir de préparer au mieux l’accession de Lukhan à la tête des Chasseurs et telle une mère ourse elle était prête à sortir ses griffes pour protéger coûte que coûte le fruit de sa chair.

Aussi, outre le fait que comme les autres femmes elle éprouvait un sentiment de rejet à la simple apparition de la splendide Eloïshah, de la jalousie diraient certains, l’incompatibilité manifeste du compagnon de la fille de Gakhan avec l’idée qu’elle se faisait de la bru idéale l’avait poussée à s’exprimer, contre les habitudes en vigueur chez leur peuple.
En effet, les femmes n’étaient que rarement admises dans ce genre de débats et encore moins autorisées à prendre la parole. Le fait qu’elle soit la femme du Maître n’excusait en rien cette intervention si ce n’était que tous s’étaient depuis longtemps habitués à la force de caractère de l’épouse de Markhan.

Ce ne fut donc pas la surprise qui fit relever soudainement la tête au Renard. Non, dans ses yeux malicieux on ne lisait pas l’étonnement mis l’étincelle de la ruse.

—Nèveshah est la preuve vivante qu’un Chasseur, de surcroît un chef, ne doit en aucun cas craindre d’avoir une épouse à la hauteur de sa grandeur.

Et, croisant le regard hautement désapprobateur de l’intéressée, il se détourna, concentrant ses efforts sur les deux individus de sexe mâle et ajoutant à mi-voix :

—De toute façon, c’est bien connu, les serres de l’aigle n’ont aucun mal à se refermer sur le serpent…

La remarque acheva de rassurer l’Ours. De toute façon, un simple regard échangé avec son fils confirmait ce qu’il savait déjà. La beauté ensorcelante de la jeune femme avait fait grand effet sur Lukhan et il était impensable désormais que l’Aigle renonce à une telle proie. Ce serait à coup sur son premier et son plus beau trophée. D’ailleurs, le jeune homme ne quittait plus des yeux le rideau derrière lequel elle avait disparu un instant plus tôt.

Mais Markhan savait également qu’il devrait essuyer la fureur de sa propre épouse et que celle-ci ne manquerait de le juger comme unique responsable. Pourtant, au fond de lui, le Maître ne pouvait s’empêcher de donner raison à son fils. Il ressentait presque une pointe de jalousie en songeant aux traits si troublants de la ravissante Eloïshah…


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyVen 10 Aoû - 3:59

*20*

Soren n’avait pas ressassé sa mauvaise humeur bien longtemps. Certes, il n’avait pas sauté de joie, bien au contraire, lorsque le Thaumaturge lui avait annoncé l’avant-veille d’une voix placide qu’il ferait partie des enquêteurs envoyés à El Beth. Bien évidemment, tout cela n’était que le résultat d’une malheureuse faiblesse des jambes du Haut Scribe qui aurait, cela va s’en dire, adoré prendre part au voyage…

Le jeune homme s’était donc retrouvé obligé de préparer son paquetage en un temps record pour pouvoir rejoindre à temps ses compagnons de voyage au Fort puisque personne n’avait songé, cette fois-ci, à envoyer un attelage, même le plus ordinaire qu’il soit. Bref, après avoir gravi la colline au pas de course, il avait été accueilli par la méfiance de toute une escouade de gardes aux couleurs verte et or du Seigneur. Division d’élite au service personnel de Dame Alaïs et spécialement détachés pour cette enquête, pas vraiment du genre soldats de base si on en croyait la collection tout à fait exceptionnelle de cicatrices dont ils disposaient, les regards acérés, les muscles saillants et l’ordre parfait dans lequel ils étaient rangés alors même que leur capitaine n’était pas encore arrivé.

Malgré sa taille tout à fait honorable pour un Commun moyen, il faisait figure d’adolescent à côté d’eux. Et il regrettait déjà ce voyage qui n’avait même pas encore commencé. Sans compter que, selon la loi des séries, les faits avaient pris une dimension autrement dramatique lorsque des palefreniers étaient arrivés en tenant par les rênes de magnifiques coursiers, tout à fait adaptés à la soldatesque qui l’accompagnait mais pas vraiment à lui, artiste peintre qui jamais encore n’était monté à cheval…

C’était donc sous les regards moqueurs de ces hommes qu’il était lamentablement parvenu à se hisser sur le dos de l’une des bêtes, après avoir appelé à l’aide deux des garçons d’écurie qui, pour le coup, en avaient eu l’air désolé pour lui. Heureusement pour lui, la monture qu’il avait choisie, ou plutôt qu’on lui avait laissé, était plus petite et un peu moins nerveuse que les autres, même si, parce qu’il ne la maîtrisait pas vraiment, cela ne se voyait pas…

C’est alors que le premier rayon de soleil de sa journée intervint…en la personne du capitaine de la mission. Enfin, de la capitaine plutôt. Eurydice…le moment où elle s’était présentée résonnait encore dans son esprit. Certainement la femme la plus femme qu’il ait jamais croisé. Et en y repensant, qu’il avait dû avoir l’air stupide, la bouche pendante et les yeux écarquillés, lorsqu’elle avait traversé l’arche pour les rejoindre !

Pour sa défense, il ne faisait aucun doute qu’elle devait faire le même effet à tous ceux qui la voyait pour la première fois, avec ses longues tresses noires qui encadraient un visage à la fois sensuel et volontaire à la peau sombre, ses longues jambes musclées et sa démarche gracieuse, sans compter ses cils immenses, écrins des deux onyx de ses yeux…non, il ne s’en était toujours pas remis.

Et ce fut donc le cœur léger qu’il se mit en route, oubliant presque qu’il se trouvait sur un cheval, tant il était fasciné par la présence de la belle à ses côtés. Car ce fut là, sans conteste, le deuxième objet de sa réjouissance. En effet, s’il ne se faisait aucune illusion quant au silence chargé de mépris de la dizaine de soldats, il put prendre sa revanche rapidement lorsqu’il s’aperçut du statut qui était le sien au sein de cette équipée. En tant que représentant du Haut Scribe, il tenait lieu d’invité d’honneur ce qui lui valut la compagnie du capitaine Eurydice pendant tout le début de la journée.

Savourant chaque mot qui franchissait ses lèvres, il s’extasiait à chacune de ses paroles même si d’aucuns auraient pu trouver étrange un tel intérêt pour l’explication de la mission qui les attendait. Mais peu lui importait à lui, d’ailleurs il ne saisissait aucunement le sens des mots qu’elle lui adressait, se contentant de les garder précieusement pour pouvoir les admirer à loisir. D’ailleurs, même sa monture semblait sous l’emprise de la sublime jeune femme, trottant au pas sans lui causer aucun désagrément.

Dommage qu’un tel état de grâce ne puisse durer longtemps…Et tandis que la vision du Fort s’éloignait de plus en plus derrière les cavaliers, le capitaine ordonna d’augmenter l’allure et rejoignit la tête de la colonne, laissant le jeune peintre en queue de peloton. Bientôt, il fut totalement distancé, essayant tant bien que mal de rester en selle, suant sang et eau pour maîtriser son coursier mécontent d’être séparé des autres.

Après quelques péripéties parmi lesquelles une ou deux accélérations brusques du cheval qui le firent se retrouver, couché sur l’encolure, paralysé de peur mais presque à hauteur des autres, ses compagnons de route finirent par se rendre compte de son léger problème. Et après aveu de sa totale incompétence en matière de chevauchée sous les regards consternés des soldats, capitaine comprise, il fut décidé qu’il courait un trop grand risque sur un coursier. En conséquence de quoi, on lui attribua le ravissant poney jusque là attaché à l’un des chevaux et chargé du ravitaillement.

Sa fierté en prit un rude coup. Et pour le convaincre de consentir à cette humiliation suprême, l’argument employé fut qu’il s’agissait là d’un poney de grande taille. Oui, mais un poney quand même ! Pourtant, il lui fallut se rendre à l’évidence que sa nouvelle monture était davantage adaptée à ses talents de cavaliers. Soren se retrouva donc en selle sur Chiffon, comme il l’avait prénommé en hommage à sa robe gris sale, qui trottinait d’un bon pas aux côtés de l’immense destrier de Eurydice. L’avantage, si on omettait le ridicule de la situation, résidait dans le point de vue inédit qu’il avait sur la sculpturale jeune femme.

Bien entendu, cela n’améliora en rien son crédit auprès des rudes guerriers qui l’accompagnaient. Et malgré les réprimandes de la capitaine, soucieuse pour son « invité d’honneur » il surprit à plusieurs reprises des commentaires peu amènes sur sa personne. Toutefois, après quelques jours de voyage et plusieurs portraits et croquis réalisés gratis, l’ambiance se détendit quelque peu et, s’il ne distinguait toujours pas trace du moindre respect dans leurs regards de rapace, il put sentir le début d’une certaine sympathie à son égard.

Le moral retomba de façon significative avec l’avancée vers l’Ouest. Une vague de chaleur les submergea et on dut commencer à rationner l’eau pour être certain d’arriver en bon état à destination. Rapidement, il fut décidé que le voyage se ferait de nuit pour économiser le plus de forces possibles. La journée, elle, passait avec une lenteur terrible, le peu de sommeil permis par la température ne permettant pas de combler le temps. Soren, lui, soucieux de préparer son rapport pour le Thaumaturge, était occupé à coucher sur papier, tout ce qu’il voyait, utilisant les tons ocres et rougeoyant pour faire ressortir au mieux la lourdeur de l’atmosphère. Les soldats, eux, se contentaient de s’étendre à même le sol à la recherche d’un peu de fraîcheur ou bien jouaient aux dés.

Ce furent sur ces entrefaites, et après une bonne dizaine de jours de chevauchée qu’ils parvinrent enfin en vue de la cité d’ El Beth. Au milieu de la nuit, seule la lune et quelques flambeaux disséminés sur les remparts permettaient de distinguer la silhouette de la ville aux hautes tours comme elle était surnommée à travers la sphère des Communs.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyMer 22 Aoû - 4:15

*21*


L’aube était grisâtre. Grisâtre et glacée. Encore étourdis par la longue nuit qu’ils venaient de passer, les jeunes Mystes se glissèrent un à un à l’extérieur de la grotte. Cherchant vainement à profiter des minces rayons de soleil qui ne suffisaient guère à emplir le ciel pâle et vide, ils restèrent un long moment en silence.

Le manque de sommeil se lisait facilement sur leurs traits tirés. La nuit était loin d’avoir été synonyme de repos. La tempête avait en effet continué à se déchaîner pendant de longues heures, laissant pénétrer des rafales de vent dans le renfoncement rocheux où ils s’étaient abrités. Outre le vacarme que cela produisait, pareil aux hurlements d’une meute de loups affamés, les quatre amis avaient surtout craint pour la maigre flamme de leur feu. Celle-ci ne cessait de vaciller, faiblissant dangereusement avant de reprendre un peu de vigueur, mais jamais assez pour qu’ils cessent de s’inquiéter. La morsure du froid, également les avaient tenus éveillés, malgré leurs lainages, malgré leur entassement dans la minuscule caverne.

Et à présent que l’obscurité interminable s’était enfin dissipée, la simple pensée de ce qui les attendait suffisait à les décourager. Pourtant, il était hors de question de faire demi-tour sans avoir accompli leur mission. Ils étaient d’accord pour continuer, même si aucun ne le ferait pour les mêmes raisons. Emeryl, par orgueil se refusait à la fuite, Anya était poussée par le sentiment du devoir, Gayanne n’abandonnerait son amie pour rien au monde tandis que Venorec était certainement trop couard pour songer à rebrousser chemin tout seul. Ils devaient donc se remettre en route.

Mais pour le moment, ils se contentaient de rester debout, de respirer l’air pur de la montagne après avoir passé de longues heures coincés les uns contre les autres et dos à la pierre rugueuse à respirer les fumées asphyxiantes de leur minuscule foyer. Détendre leurs muscles endoloris était donc nécessaire quoi que l’attention qu’ils y prêtaient devenaient de plus en plus douteuse au fil des minutes qui passaient.

De fait, aucun d’eux ne voulait prendre la responsabilité du premier mot, nécessairement annonciateur de la reprise du périple. Aussi, tout en se frictionnant les bras énergiquement, ils échangeaient des regards lourds de sens, à la fois suppliants, il faudrait bien que quelqu’un sonne le départ, et menaçants, pour tâcher de convaincre que ce quelqu’un ne serait pas soi. La valse dura quelques temps, de Venorec à Emeryl, d’Emeryl à Anya, d’Anya à Gayanne pour finalement faire un tour complet des protagonistes et revenir au point de départ. En vain.

Ce fut finalement un rugissement terrible qui brisa la torpeur générale. Et, tel un écho lugubre, un hurlement de douleur lui répondit.

L’énorme loup noir se tenait au dessus de Venorec, l’air féroce, les griffes sorties et les crocs dégoulinants d’un liquide rosé, mélange de salive et de sang. Les muscles saillants malgré son épaisse fourrure noire, il lâcha un grognement à la signification plus que limpide. L’animal était plutôt rare dans la région et normalement cantonné aux plus hauts sommets. Bien plus dangereux que les prédateurs habituels, il n’était pourchassé que par les aventuriers les plus intrépides qui revendaient leurs dépouille une véritable fortune.

Quoi qu’il en soit, l’avertissement lancé par le terrible prédateur n’eut pas l’effet escompté : aucun des jeunes Mystes n’esquissa un geste. Emeryl, Gayanne et Anya restèrent immobiles, leurs regards se déplaçant en un mouvement régulier de leur camarade à la mâchoire du félin tandis que Venorec lui non plus ne bougeait plus, sans que les autres sachent si c’était par peur ou parce qu’il s’était évanoui. Néanmoins, les longues marques de griffure partant de son épaule gauche pour traverser sa poitrine étaient clairement visibles et saignaient abondamment.

Soucieux de ne pas perdre sa proie, le loup s’avançait désormais pas à pas vers les Mystes restant qui reculaient en cadence sans lâcher la bête du regard. Un nouveau rugissement jeta une Gayanne terrifiée et hurlante dans les bras d’Emeryl qui n’en menait pas plus large, ce qui eut pour conséquence de les faire trébucher en arrière. Malheureusement, ou heureusement pour eux, le terrain était en pente et leur chute les éloigna quelque peu du dangereux prédateur face à qui Anya était désormais seule.

Elle ne s’en rendit pas vraiment compte tant son esprit et son cerveau étaient en ébullition, cherchant à travers les ondes paralysantes de la frayeur, la meilleure conduite à tenir. La fuite restait sans doute une alternative de choix si l’on exceptait qu’elle équivalait à abandonner ses compagnons et qu’il y avait de fortes chances pour que le félin soit d’humeur à la poursuivre…Quant au combat, nul besoin de calculer le rapport de force pour savoir qu’elle ne ferait pas le poids plus d’une demi seconde.

Le loup ne lui laissa pas le loisir de poursuivre ces considérations et d’un bond se retrouva si proche d’elle qu’elle put sentir son souffle chaud et les relents de son haleine. A présent, chaque pas en arrière n’était plus le résultat d’une réflexion, même courte, mais uniquement un réflexe issu du plus profond de son être pour tenter de rester en vie.

Dommage que sur cette fameuse route de la survie se soit trouvé un bloc de pierre qui stoppa net sa progression. Et, parce qu’il était hors de question de quitter ne serait-ce qu’une fraction de seconde la bête des yeux, Anya resta immobile, assistant aux premières loges au spectacle de cet énorme loup noir qui se préparait, babines retroussées, à lui bondir dessus dans un avenir très proche.

Et tandis que son futur à elle, ne faisait plus aucun doute dans son esprit, le félin était désormais dans les airs, crocs et griffes sortis, elle ferma les yeux. Et le temps, qui s’était déjà lourdement ralenti au cours des derniers instants, lui permettant d’apprécier les mouvements décomposés de la bête en plein saut, le temps, donc, perdit encore un peu de vitesse.

Il lui semblait à présent qu’elle attendait depuis une éternité qu’enfin les pointes acérées s’enfoncent dans sa chair. Rien de pire qu’attendre un coup qui ne vient pas. Et, les muscles contractés, la mâchoire serrée et les paupières plissées, elle resta dans le noir, espérant que tout serait vite fini. A tel point qu’au bout d’un moment, elle se demanda si, après tout, elle était encore vivante, si, finalement, elle n’avait pas été tuée d’un seul coup par l’attaque du félin. Elle se décida donc à rouvrir les yeux.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptySam 25 Aoû - 5:56

*22*


Sur les terres de la tribu de l’Extrême Est, le jour des fiançailles arriva. Les invités affluaient de l’ensemble de la sphère des Chasseurs, l’événement suscitant une vive curiosité. En effet, outre l’intérêt autour du jeune Lukhan qui alimentait les paris depuis des mois, chacun donnant son avis sur le fait qu’il succéderait ou non à son père, la fille de Gakhan était au centre des conversations, sa beauté ayant été vantée dans toutes les tribus. Pour le moment, rares étaient ceux qui avaient pu apercevoir la jeune femme, gardée jalousement à l’intérieur du palais de son père, mais sa réputation la précédait.

—Tu es prêt ?

Reikhan le borgne avait été chargé de préparer le fils du Maître pour son combat. Si personne ne doutait réellement que ce fut lui qui gagnerait la main d’Eloïshah, il restait tout de même à évincer l’autre prétendant au cours d’un combat singulier. Or, chez les Chasseurs on ne sous-estimait jamais un duel, quel que fut l’adversaire, car l’histoire de leur peuple était jalonnée d’exemple ou les vainqueurs n’étaient pas ceux que l’on attendait.

—Oui. Donne moi mon arme.

Les duels se déroulaient toujours au poignard. Chaque Chasseur fabriquait le sien, choisissant la longueur de la lame ou encore la composition de la poignée. Celui de Lukhan brillait par sa sobriété. Court, léger et parfaitement équilibré, avec une poignée taillée dans l’os du premier loup qu’il avait tué. Une arme rapide adaptée à sa façon de combattre.

Le jeune homme se redressa, exposant sa poitrine nue à la lueur de la chandelle qui éclairait la tente. Serein, il n’avait peur ni du combat ni de la défaite mais n’était pas pour autant électrisé par la proximité du duel ou la foule massée autour du cercle qui délimitait le terrain.

Pourtant, aujourd’hui aurait lieu son premier « vrai » combat, non pas comme les entraînements avec son père ou les défis entre jeunes de la tribu mais un véritable duel, avec un enjeu de taille. Certains Chasseurs aimaient se battre, ressentaient du plaisir à faire couler le sang. Ce n’était pas son cas, il ne s’agissait pour lui que d’un passage obligé. Cela ne l’empêchait pas d’être décidé à vaincre son adversaire. Lukhan détestait perdre. Il avait été élevé pour succéder à son père, il était né vainqueur.

Faisant jouer son arme dans la paume de sa main, il donna à une accolade à son vieux protecteur et, sans hésiter, parut sous le soleil de plomb et au milieu de la foule qui l’acclamait. Il était le premier à entrer dans le cercle du duel. Son regard parcourut le public mais ne répondit pas aux encouragements et aux salutations. Droit, et un rien hautain, il se campa solidement sur ses deux jambes, prêt à en découdre.

Son adversaire ne tarda pas. Plus grand et plus musclé que lui, c’était un homme de la tribu de Gakhan, un imbécile qui n’avaient pas voulu se résoudre à abandonner l’idée d’épouser la fille de son Chef malgré toutes les évidences qui jouaient en sa défaveur. Le fils du Maître avait déjà croisé des douzaines d’empaffés têtus de son genre. Il savait qu’une fois le duel commencé, l’assurance affichée par le bonhomme fondrait à la vitesse de l’aigle sur sa proie. Et, comme pour confirmer ces pensées, l’autre se lança dans une série de provocations. Il n’y répondit pas, attendant le signal.

Ce fut Gakhan lui-même qui, rompant le cercle dense des spectateurs, vint saluer les prétendants de sa fille et brisa en deux un rameau de bois, signe que le duel pouvait débuter. Et, aussitôt, Lukhan vit son adversaire se jeter sur lui. Il soupira, en se préparant à esquiver, il avait en horreur ce genre de brute épaisse…

Le combat ne dura guère. Et le public put admirer le talent de l’aigle. Les plus réticents comprirent pourquoi il était le successeur tout désigné de son père. Virevoltant autour de son adversaire, le jeune homme était d’une célérité et d’une agilité époustouflante. Esquivant le premier coup, il se retrouva d’un bond dans le dos de l’autre prétendant et lui assena un coup au bas du dos à l’aide du manche de son poignard. Il ne souhaitait pas faire couler le sang. Sa victoire serait propre, propre et triomphante. Il l’obligerait à abandonner.

Aussi, à la manière de son Compagnon, il se mit à tourner autour de sa proie, formant des cercles de plus en plus rapprochés, attaquant dès qu’il voyait apparaître une faiblesse dans la défense de l’autre, par petits coups vifs et précis. Son adversaire en était lui réduit à se protéger de cette pluie de coups, en poussant des mugissements de rage.

Lukhan se sentait porté par les spectateurs. Malgré la concentration qu’exigeait le duel, il pouvait entendre la rumeur sourde de leurs encouragements, au milieu de la tâche floue de constituait le cercle d’hommes autour d’eux, il parvenait parfois à distinguer des visages qui souriaient de son avantage. A cet instant, il se prit à ressentir le plaisir de frapper l’autre duelliste, de le voir plier sous ses coups. Il sentit monter en lui la soif de sang qu’il avait tant méprisée et comprit soudain l’exaltation que tant de Chasseurs ressentaient lors des combats.

Tandis que d’un coup de pied aux tibias il fit s’écrouler la pyramide de muscles, l’Aigle tapi en lui réclama la mise à mort de la proie. C’était ainsi, la loi de la nature, les plus faibles devaient périr. Ce n’était que justice, il était le vainqueur, il devait se nourrir. Retournant son poignard, il cessa d’en utiliser la partie taillée dans l’os et d’un coup précis, avant même que son adversaire ait eu le temps de demander grâce, il lui trancha la gorge.

Alors, l’Aigle se releva. Et il contempla le peuple qui l’acclamait. Son peuple. Gorgé de cette victoire, il brandit son arme sous les hurlements déments de la foule. Il venait de gagner le cœur des Chasseurs. Il venait de prouver qu’il était fort, fort et impitoyable. Et c’est ainsi que se devait d’être leur Maître.

Placés en hauteur pour mieux profiter du spectacle avec les autres Chefs, Markhan et Neveshah échangèrent un regard. Leurs derniers doutes venaient de s’envoler. Et, à leurs côtés, ceux qui rêvaient depuis tant d’années de prendre la tête des Chasseurs sentirent que le vent venait de tourner en leur défaveur.

Le soir même, sous la pleine lune comme le voulait la coutume, on célébra les fiançailles de Lukhan et d’Eloïshah. Debout, face à face, entourés de leurs familles et des dignitaires des autres tribus, les deux jeunes gens placèrent leur paume de main l’une contre l’autre. Le jour de leur mariage, cette union serait scellée dans le sang, pour le moment, ce fut l’alcool qui noya les réjouissances.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyMer 10 Oct - 7:41

*23*


Menés par les gardes de nuit directement à la caserne d’El Beth, les envoyés de la Cité purent se reposer jusqu’au matin. Ou plutôt jusqu’à l’aube, car la rumeur du marché tout proche les submergea avec le lever du jour au point qu’ils ne purent refermer l’œil.

Il fut donc décidé qu’ils commenceraient par une petite visite de la ville avant d’aller se présenter au bailli pour lui exposer le but de leur mission.
A peine eurent-ils mis un pied à l’extérieur que tous comprirent pourquoi on surnommait El-Beth la ville aux hautes tours. Si la silhouette des grandes flèches de pierre blanche se distinguait plus ou moins à la lumière de la lune, au grand jour, le spectacle était totalement différent.

Les édifices étaient tellement monumentaux et hauts qu’en levant la tête les habitants de la Cité purent à peine distinguer un carré de ciel bleu. Les tours blanches s’élevaient à une hauteur terrifiante, les unes et les autres s’entassant de façon effrayante sur des surfaces au sol minuscules et parfois pentues.

Le tout ressemblait à un étrange chaos, une sorte d’escalier aux marches anarchiques et aux couleurs éclatantes. En effet, les murs de craie disparaissaient presque tous sous des quantités de tissus, voilures, rideaux, draps étendus pour sécher et toiles cirées formant les devantures de magasins aux teintes vives et diverses.

Malgré tout, il se dégageait de la ville une impression très nette de luminosité et d’ouverture qui contrastait avec les ruelles étroites et encombrées. Plus encore, c’était une atmosphère de vie qui prédominait. Non pas la vie de la Cité, mais une vie grouillante, bruyante et comme accélérée. Une vie épuisante pour ces étrangers à peine reposés, un bonheur et une gaieté envahissants et harassants.

Coincé entre deux colosses, Soren avait la nette impression qu’il était en train d’étouffer et qu’il ne tarderait pas à s’effondrer. Impression démentie puisqu’il arriva finalement au palais du bailli sur ses deux jambes.

La petite troupe s’arrêta devant l’édifice qui s’élevait devant eux. Ils avaient du demander leur chemin à mainte reprise pour parvenir, au gré de ruelles étroites et tourbillonnantes, à destination. Le palais se trouvait en fait sur une sorte de colline ou beau milieu de la ville, au fond d’une grande place qui se trouvait être la place du marché. Et en comparaison, la ville basse qui les avait déjà étonnée, était un havre de paix et de silence.

Jamais ils n’avaient vu de lieu aussi bruyant, aussi plein de monde et aussi animé. On ne pouvait pas faire un pas sans se heurter à quelqu’un et même les hurlements étaient étouffés par la rumeur gigantesque qui s’élevait des étals. Ils durent, pour la traverser sans encombre, s’avancer en file indienne, chacun s’attachant à ne surtout pas quitter des yeux celui qui le précédait.

La tâche fut évidemment plus aisée pour la soldatesque aux mensurations bien supérieure au commun des mortels que pour le pauvre Soren qui, comme par hasard, se retrouva en bout de file…Il dut, à sa grande honte, se résoudre à s’accrocher à la tunique du Citadin qui le précédait pour ne pas se faire avaler par la foule qui les entourait.

« Dis, le peintre, tu peux me lâcher maintenant, hein ? » fit remarquer le soldat en question, hilare, une fois qu’ils furent arrivés devant une énorme tour carrée, presque aussi haute qu’elle était large.

Le jeune homme s’empressa d’obtempérer avant que toute la division ne soit mise au courant, chose qui arriverait tôt ou tard mais qu’il préférait repousser au maximum.

« Nous sommes des envoyés de la Cité. Nous venons parler au bailli. »

Le ton ferme d’Eurydice persuada le garde de les laisser entrer immédiatement ce qui ne fut pas l’avis de son supérieur qui déboula en une seconde dès qu’ils eurent mis le pied dans le bâtiment. Moins sensible à la belle capitaine, il ne voulut rien entendre et refusa que tout le groupe fût reçu par le bailli. Soren suivit donc l’escouade à l’extérieur.

« Eh, le peintre qu’est-ce que tu fabriques ? » S’exclama la voix chérie entre toute.

Se retournant prestement, ledit peintre faillit entrer en collision avec la jeune femme qui le fixait d’un air hautement désapprobateur. Lui qui s’était finalement habitué à la compagnie des gardes de la division d’élite de la Cité en avait presque oublié son rôle de représentant du Haut Scribe. Bien évidemment ! Sa place n’était pas auprès de la soldatesque mais avec leur supérieure, et avec le bailli !

Trottant derrière l’objet de ses désirs à la manière d’un jeune chiot car ses foulées étaient loin d’être de la même ampleur que celles d’Eurydice-aux-jambes-magnifiques-et-immenses, il pénétra dans le bureau de l’administrateur de la ville de El-Beth.

En fait de bureau, l’endroit ressemblait d’avantage à une salle du trône. Richement décorée de tapis et de tapisseries, la salle était circulaire, emplis de gardes armés jusqu’au dents et à l’opposé de l’entrée se trouvait un immense fauteuil de bois, placé, pour préserver les apparences devant une sorte de grande table également en bois gravé qui devait évoquer un bureau.

Pour le moment, étant donnée qu’elle était couverte de victuailles de toutes sortes, elle faisait plutôt office de table à manger derrière laquelle un tout petit homme rond se régalait.

Soren, à force de ne jamais la quitter des yeux, surprit le froncement de sourcils d’Eurydice. Se faisant la remarque qu’une telle scène méritait un croquis, il s’efforça de retenir les moindres détails d’un coup d’œil circulaire puis, se rappelant de la fonction qu’il occupait, il redressa ses épaules, se tint droit et tenta de perdre son regard curieux d’artiste au profit de quelque chose de plus solennel.

En quelques minutes, l’entretien fut expédié. Le bailli d’El-Beth n’était pas particulièrement favorable aux envoyés de la Cité qui lui rappelaient son devoir d’allégeance, mais, parce qu’il n’avait aucune raison de leur refuser le droit d’enquêter dans la ville et aux alentours, et surtout qu’il semblait pressé qu’ils quittent sa tour, il accepta toutes leurs demandes, leur signant le droit de circuler librement partout, d’interroger n’importe qui et d’être logés aux frais de la ville à la caserne.

Eurydice, elle aussi pressée d’en finir avec les formalités administratives, ne s’étonna pas du peu de curiosité du bailli quant à ce qui les amenait et quitta la salle dès qu’elle le put. Soren, pour le coup un peu déçu de ne pas avoir eu l’occasion de briller dans son nouveau rôle, la suivit tout de même sans insister.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyJeu 11 Oct - 5:44

*24*


D’abord, elle ne distingua rien sinon un flou blanchâtre qui devint de plus en plus net. Où était-il ? Où…était…passé…le loup ? Les mots s’égrenèrent dans l’esprit de la jeune myste, d’abord, foudroyants comme l’éclair puis plus lentement, tandis qu’elle prenait pleinement conscience de l’information.

Devant elle, rien. Rien que les rochers monotones, rien que les rares buissons d’épineux qui s’y accrochaient, rien que la silhouette recroquevillée de son camarade…Mais pas de loup. Pas de loup. La phrase se répercuta dans son esprit comme un écho sans fin. Pas de loup. Elle était sauvée.

Anya se laissa glisser contre le roc, elle ne fit rien pour retenir ses jambes qui s’effondraient en dessous d’elle, à peine poussa-t-elle un soupir de soulagement.

« NYAAAAAAAAAAA ! »

La voix venait de derrière la grande pierre. Une voix inquiète, suraiguë. Gayanne. La jeune myste tourna difficilement la tête.

—Je suis là. Je vais bien.
—Oh Nya ! J’ai eu tellement peur ! C’est vraiment incroyable !

Son amie était à présent à son niveau et se jeta dans ses bras. A peine eut-elle le temps de distinguer la silhouette d’Emeryl qui la suivait.

—Ca va aller. Je vais bien. Mais où est allé le loup ?

Mieux valait peut être qu’ils restent sur leur garde. L’animal était dangereux. Et on disait qu’il était particulièrement intelligent.

—Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? lui répondit Gayanne en roulant des yeux surpris, Il est mort…

Mort ? Comment ? Voilà qu’elle ne comprenait plus rien…Combien de temps était-elle restée debout contre la pierre, les yeux clos ? Le loup était alors si proche…Elle pouvait presque encore sentir son haleine putride !

—Nya ? Est-ce que ça va ? Je veux dire…Tu es sure que ça va ? Tu…Tu ne te rappelles pas ?

Se rappeler ? Se rappeler quoi ? Elle fixa son amie avec une lueur d’incompréhension. De quoi parlait-elle ? De quoi était-elle censée se rappeler ? Elle avait fermé les yeux, et, quand elle les avait rouvert, il avait disparu. Que s’était-il passé ?

—Tu l’as tué, énonça la voix grave et tranquille d’Emeryl, tu l’as tué. Avec ton esprit. Propulsé, d’un seul coup. On a tout vu, il est là bas.

Le jeune myste désignait de la tête un tas de rochers, derrière la pierre contre laquelle elle avait été coincée ; un tas de rochers en contrebas, à plus de vingt mètres. On pouvait clairement y distinguer ce qui restait du loup noir. Un squelette brisé, aucune trace de sang, on aurait presque pu le croire endormi si ce n’était l’angle impossible que formait à présent sa colonne vertébrale.

—C’est…impossible…, furent les seuls mots qu’elle parvint à articuler.
—Non, c’est vrai. Il fonçait sur toi. Et nous, on était là bas, pas très loin de là où il est maintenant. Et toi, tu ne bougeais plus. Et il courait...Il a sauté. Et alors, il a changé de trajectoire, droit sur nous, à toute vitesse. On l’a senti, tu sais, la puissance de ton esprit.

C’était impossible. On ne pouvait percevoir la puissance de l’esprit seulement lorsque le Don était utilisé à un très haut niveau. Comme pour…catapulter un être vivant de la taille du loup, par exemple. Oui, mais il fallait des années d’études pour parvenir à un tel niveau. C’était…impossible.

—Tu l’as fait. Je ne sais pas comment, mais tu l’as fait, énonça Emeryl comme s’il avait pu lire dans ses pensées.

Un gémissement de douleur détourna leur attention. Venorec. Ils l’avaient oublié. Et, d’un seul élan tous trois se précipitèrent aux côtés du blessé. Aucun n’avait de connaissances en matière médicale. Le jeune myste avait, semblait-il perdu connaissance. Ils ne purent dirent si la blessure était sérieuse. Mais leur camarade baignait dans son sang.

—Il faut que l’un de nous aille prévenir des secours.

Emeryl ne précisa pas que le messager devrait se déplacer grâce au Don, par lévitation, pour aller plus vite. Ce qui excluait Gayanne, trop peu avancée dans la maîtrise de la puissance de l’esprit pour se risquer à un tel voyage.

—J’y vais, leur déclara-t-il d’une voix ferme, Anya, tu veilles sur eux, si un autre loup attaque, tu pourras les défendre. Je ne serai pas long.

Elle voulut répliquer qu’elle non plus ne serait pas longue, peut être moins que lui, et que de toute façon, elle était trop épuisée pour se défendre une nouvelles fois, et qu’elle en savait aussi peu que lui sur la façon de s’occuper de Venorec pendant ce temps, et que…Le regard suppliant de son amie la persuada de ne pas ouvrir la bouche. Elle acquiesça et regarda le jeune homme décoller du sol avant de s’éloigner.

Alors, Gayanne posa la tête sur son épaule et éclata en sanglots. Elle avait eu terriblement peur pour son amie, s’en voulait de ne pas être intervenue pour l’aider et se sentait d’une lâcheté incomparable. Anya se mit en devoir de la consoler, lui assurant que n’importe qui aurait agi de la même façon, et qu’elle ne lui en voulait pas le moins du monde. Elle ne sut jamais si c’était d’épuisement ou de soulagement mais la jolie myste finit par s’endormir sur son épaule, avec même un sourire aux lèvres.

Faisant attention à ne pas la réveiller, Anya se releva doucement et tenta de faire quelque chose pour aider le pauvre Venorec. Il n’avait toujours pas repris connaissance et seuls les gémissements rauques qui passaient ses lèvres de temps en temps permettaient de voir qu’il était encore en vie tant sa pâleur était effrayante.

Elle hésita longuement. Devait-elle tenter de le déplacer, de le mettre dans la petite grotte à l’abri du vent ? Que faire ? A bout de nerfs, harassée, elle s’assit aux côtés du blessé. Elle n’arrivait toujours pas à réaliser. Un tel exploit.

Quelques jours plus tôt, une telle réussit aurait terriblement flattée son orgueil. Maintenant…elle était fatiguée, elle avait eu tellement peur…Non, elle n’était plus très sure de vouloir devenir un myste puissant, un être hors du commun. La proximité du danger avait fait disparaître ses rêves de grandeur. Regardant, impuissante, les deux jeunes gens qui lui avaient été confiés, elle finit par enfouir sa tête entre ses bras. Oublier. Ne plus y penser. Lentement, une goutte perla au coin de son œil et vint mourir au bas de sa joue.


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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyMar 18 Déc - 1:10

*25*


Les enquêteurs désignés par le conseil étaient cinq. Tous issus de tribus différentes, tous comptant parmi les meilleurs guerriers. Pourtant, voilà des jours et des jours qu’ils s’étaient mis en marche et leur mission n’avait pas avancé le moins du monde. Tant d’espoirs reposant sur eux…La promesse d’enfin avoir une réponse aux phénomènes récents. Mais rien. Rien que des jours de marches à travers la forêt et, désormais, une vaste plaine, peu d’arbres, quelques formations granitiques ça et là mais rien qui puisse expliquer la sécheresse brutale qui avait frappé les territoires des Chasseurs.

Les hommes étaient découragés. Ce matin là, ils s’étaient réveillés fourbus et, malgré l’heure qui avançait, aucun n’avait fait signe de bouger. Rassemblés à l’abri d’un bloc de pierre autour des restes de leur feu de camp, ils restaient assis en silence.

Grâce à leurs compagnons, ils avaient appris qu’ils se trouvaient à quelques jours d’une cité des Communs. El Beth. Autrefois, les Chasseurs avaient commercé avec eux. C’était avant que leur replis sur la Forêt de soit total. Et cela faisait désormais des décennies que les Chasseurs n’avaient côtoyé que les Chasseurs. Nul ne s’en plaignait. Les Communs étaient faibles et ne vivaient que pour l’argent. Plus on se tiendrait éloigné d’eux et mieux leur peuple se porterait. Ils n’avaient pas besoin de ces êtres inférieurs.

Et c’est sur cette réflexion qu’étaient restés les enquêteurs. Bien sur, ils avaient pensé se fondre dans la masse des Communs grouillant dans la cité mais avaient abandonné l’idée rapidement. Jamais ils ne passeraient inaperçus. Même couverts de leurs manteaux – ce qui en soi était suspect par une telle chaleur - les tatouages qui couvraient leurs mains et leur taille les auraient trahis.

Sans être aussi grands que les Mystes, les Chasseurs l’étaient bien plus que les Communs. Et surtout, ils possédaient une masse musculaire peu commune. Larges et trapus, nul n’aurait pu les confondre avec les habitants d’El Beth. Bref, mauvaise idée.

Restait qu’ils n’avaient guère de chances de progresser dans leur enquête en demeurant ainsi à l’écart. La veille, ils s’étaient âprement disputés pour savoir que faire. Etant donné leurs progrès et leur incapacité à se fondre parmi les Communs, deux membres de l’équipe étaient favorables à l’abandon de leur mission. Deux autres voulaient poursuivre et tenter d’interroger des marchands à l’extérieur de la Cité. Le dernier, également chef de l’expédition, était resté silencieux. Mutique, il n’était intervenu que pour éviter que les autres en viennent aux mains. On en était resté là.

Et, après une nuit relativement calme, on en était toujours même point. Ferkhan, qui dirigeait le petit groupe, refusait toujours de prononcer le moindre mot en faveur de l’un ou l’autre parti. Assis contre la roche, les yeux mi-clos, il semblait réfléchir…ou dormir. Les autres espérèrent qu’il réfléchissait. Aussi, pour ne pas le déranger, ils s’étaient tus également. De toute façon, la querelle de la veille était toujours dans les esprits et chacun préférait affûter ses armes dans son coin.

Ce calme relatif prit fin avec l’arrivée du compagnon de Ferkhan, un petit épervier aux plumes brillantes. Dans une série de glapissements que seul son double humain comprit, il se posa au centre du petit groupe. Aussitôt, le chef des enquêteurs se leva d’un bond et se rua sur ses armes. Sans même chercher à comprendre, les quatre autres Chasseurs firent de même. Les explications viendraient en temps voulu. Ils avaient été élevés pour combattre et obéir à un chef, pas pour poser des questions. Aussi, les enquêteurs, comme un seul homme, quittèrent leur camp et se mirent à couvert derrière une formation rocheuse proche.

A mi-voix, le meneur de l’expédition leur expliqua que son compagnon avait repéré un petit groupe de Communs – des soldats apparemment – qui se dirigeaient vers eux au galop. Dans le doute, mieux valait, bien évidemment, se tenir prêt au combat. Théoriquement, les deux sphères n’étaient pas en conflit. Mais la fin brutale de leur relation et la longue période d’ignorance mutuelle devait inciter à la prudence. Surtout s’il s’agissait de soldats.

L’épervier était reparti observer les Communs à tire d’aile, mais bientôt un écureuil gris surgit et, perché sur l’épaule de son alter ego, il confirma l’arrivée d’hommes armés. Les autres compagnons ne tardèrent pas à arriver pour faire le même rapport.

A présent, les oreilles entraînées des Chasseurs pouvaient distinguer le martèlement des sabots. Ils se rapprochaient. Comme s’ils savaient exactement où ils se trouvaient. Etrange…Les enquêteurs s’étaient montrés discrets et ils étaient encore à distance de la cité des Communs dont on distinguait à peine les tours. Le feu de la veille peut être…Oui, ils auraient du se montrer plus prudents.

Ils étaient proches, de plus en plus proches. Et, comme pour confirmer les pensées de Ferkhan, ils fonçaient droit sur le camp tout juste abandonné par la petite expédition. Ils n’étaient pas nombreux. Une dizaine, peut être moins.

Ca y est. Ils s’étaient arrêtés à hauteur du camp. De là où ils se trouvaient, les Chasseurs pouvaient apercevoir une partie des chevaux. Lentement, ils quittèrent leur abri et se dirigèrent vers le bloc granitique qui les avait abrité pendant la nuit. Il fallait le contourner, pour arriver par l’autre côté du rocher et pouvoir se placer en hauteur. Même s’il n’y avait pas de combat, il était bon de dominer ses éventuels adversaires.

C’est ce que les Chasseurs firent à merveille. Silencieux comme des ombres car habitués à se déplacer en forêt sans le moindre bruit, ils se faufilèrent parmi les buissons épineux afin d’atteindre le rocher qui surplombait leurs visiteurs. En contrebas, ceux-ci étaient en grand conciliabule pour tenter de comprendre où étaient passés les hommes qu’ils traquaient. Se redressant de toute leur hauteur, les hommes de la Forêt projetèrent leur ombre gigantesque sur les Communs qui relevèrent la tête, ouvrirent des yeux ronds et sortirent leurs armes.
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MessageSujet: Re: Trespaera, Livre I   Trespaera, Livre I EmptyMar 29 Jan - 9:31

*26*


« Qui êtes vous ? » Lança Eurydice aux cinq inconnus. Une main sur son épée, l’autre faisant signe à ses hommes de ne pas attaquer, le capitaine de la Cité tentait de jauger le petit groupe qui leur faisait face. A cause du soleil, elle ne distingua que le contour de leurs silhouettes. Ils étaient grands. Plus, même, que ses hommes. Et plus larges d’épaule aussi.

Les gardes d’El Beth ne s’étaient pas trompés la veille lorsqu’ils leur avaient parlé d’une petite colonne de fumée à quelques lieues de la cité. Nul marchand ne venait de l’Ouest. Nul homme n’était censé venir de l’Ouest. C’était une chance que la conscience professionnelle du garde l’ait menée sur cette partie des remparts.

Le menton fièrement relevé, toute trace de surprise ayant disparu de son visage, la jeune femme attendit la réponse de ces inconnus. Sinon, ils passeraient à l’attaque. Ils avaient l’avantage du nombre. Sept hommes bien entraînés, prêts à réagit au moindre de ses ordres. Inutile de compter le peintre. Il s’appliquait à la suivre partout mais ne se rendait guère utile.

—Et vous…qui êtes vous ?

La voix était étrangement traînante, avec un drôle d’accent, rugueux. Le capitaine chercha d’où pouvaient venir ces étrangers. Elle aurait volontiers désigné les Mystes. Sauf que le peu de connaissances qu’elle possédait sur cette sphère infirmait cette hypothèse. Ces hommes étaient des guerriers. Grands, certes, mais rien à voir avec la minceur de liane et la taille démesurée des habitants du Santuaire.

La réponse apparut dans un recoin de l’esprit d’Eurydice mais elle refusa d’écouter cette petite voix. Passant en revue toutes les cités des Communs les plus éloignées – Polis, Siuda, Babel – elle fut incapable d’en trouver une qui puisse abriter des habitants de cette espèce…

— Nous sommes des membres de la division d’élite du seigneur de la Cité. Répondez à présent.

Quelques secondes s’écoulèrent, pendant lesquelles, seul le bruit du vent parmi les buissons se fit entendre. Les deux groupes s’affrontaient du regard. Les Communs, les yeux plissés refusaient de céder malgré la blessure que leur infligeaient les rayons du soleil. Finalement, le chef des inconnus fit signe à ses hommes. Tous les cinq sautèrent avec agilité d’une roche à l’autre pour se retrouver en face – et à la même hauteur – que les soldats de la Cité.

Séparés seulement par quelques mètres, Chasseurs et Communs continuèrent à s’observer. Après une nouvelle attente qui leur sembla à tous interminable, le chef des guerriers inconnus prit la parole.

—Nous sommes des envoyés de la Forêt.

Les membres de la division d’élite se lancèrent des regards étonnés. Leur chef ne perdit pas son sang froid. Au fond d’elle, elle le savait déjà. Tout comme un autre membre du groupe. Si petit et si frêle pour les Chasseurs qu’ils l’auraient presque pris pour un adolescent. Il s’approcha de la femme et lui murmura quelques mots à l’oreille. Elle acquiesça doucement et fit de nouveau face aux étrangers.

—Que venez vous faire sur nos terres ?

Sa voix était ferme et arrogante. Et sa main n’avait pas quitté la garde de son épée. Ferkhan, pourtant peu démonstratif, en plissa les yeux d’étonnement. Voir une escouade de soldats sous le commandement d’une femelle était déjà étonnant en soi. Mais le ton sur lequel elle lui parlait relevait de la provocation. Chez eux, seules les épouses de chefs – et encore – pouvaient se conduire de la sorte.

Le Chasseur hésita. Attaquer ces hommes était tentant. Pourtant, malgré tout, son instinct lui soufflait de s’en abstenir. Après tout, ils n’avaient pas été envoyés pour déclarer la guerre mais pour mener une enquête. Ces vermines avaient d’autres usages que les leur, devait-il pour autant les exterminer ?

—Nous ne venons pas en guerre. Le Maître des Chasseurs nous a nommés comme enquêteurs.

Seules les lèvres minces de Ferkhan remuèrent. Son visage osseux au nez aquilin et aux orbites enfoncées resta de marbre. Y compris lorsque le petit épervier se posa sur son épaule droite.

— Les Chasseurs n’ont plus le droit de pénétrer sur les terres des Communs. Si vous désirez une information, demandez-la nous. Pour le reste, il vous faudra une autorisation du Seigneur de la Cité.

Elle n’en était pas bien sure…Après tout, cela faisait tellement longtemps que la Forêt avait rompu tout contact avec leur sphère…Dans le doute, il valait mieux renvoyer ceux là chez eux. Eurydice jeta un coup d’œil à l’homme qui l’avait rejointe quelques instants plus tôt. Soren hocha imperceptiblement la tête. C’est bon, il était d’accord avec son initiative.
Le capitaine eut tout de même un doute. Après tout, le peintre était toujours d’accord avec elle. Il était certes le représentant du Thaumaturge lui-même mais on ne pouvait pas dire qu’il avait brillé par ses prises de positions.

Et pourtant…Le jeune homme était en pleine réflexion, analysant la situation avec le peu d’informations qu’il avait sur les Chasseurs. Certes, les deux sphères n’étaient pas en guerre. Mais tout de même…Ils étaient entrés impunément et délibérément sur les terres des Communs sans la moindre autorisation. D’un autre côté, bien qu’ils aient l’avantage numérique, il était loin d’être assuré que les membres de la division d’élite remporteraient un hypothétique combat…

— Nous nous contenterons donc de quelques informations, lança le chef des Chasseurs. Etes vous toujours en relation avec les…Mystes ?

Le dernier mot fut presque craché et les traits de Ferkhan se durcirent un peu plus. Sans laisser le temps aux Communs de répondre, il continua, prononçant plus de mots en quelques secondes qu’il ne l’avait fait depuis leur départ de la Forêt.

— Nous les croyons responsables de la sécheresse sur nos terres. Si tel est le cas, il s’agit d’une déclaration de guerre et nous sommes prêts au combat.

La diplomatie et le tact ne faisaient pas partie des premières qualités du chef des enquêteurs. Après tout, on ne l’avait pas choisi pour ça. Et puis, au moins, ses propos avaient le mérite d’être parfaitement clairs. D’ailleurs, l’acuité de son regard lui permit sans difficulté de remarquer le tressaillement qui avait parcouru le jeune homme qui se tenait près du capitaine et lui avait chuchoté à l’oreille.

Sécheresse. Oui, le mot avait résonné dans l’esprit de Soren avec la force d’une explosion. Les propos du manuscrit qu’il avait déchiffré lui revinrent à l’esprit. Il ne s’en souvenait pas exactement mais le parchemin semblait parler d’une guerre, des Chasseurs attaquant les deux autres sphères, d’un temps de troubles et de…sécheresse.

— C’est une lourde accusation, Chasseur ! Le capitaine que je suis ne saurait y répondre. Mais je ne vois guère pourquoi les habitants du Sanctuaire rompraient une trêve aussi ancienne.

Un instant, le visage généralement inexpressif de Ferkhan sembla se durcir. Quelques fractions de secondes seulement, si bien que Soren se demanda s’il n’avait pas rêvé. Car, déjà, le chef des Chasseurs avait de nouveau revêtu son masque impassible. Toutefois, tout comme la capitaine de la garde d’élite, le jeune peintre se trouvait assez près pour percevoir l’étincelle qui s’était embrasée dans la pupille de l’homme.

— Si vous les protégez, sachez que vous risquez de payer le même prix, répondit-il avec l’accent rugueux de son peuple.
Et, d’un simple geste de la main, il donna le signal du départ à ses hommes. En moins de temps qu’il n’en fallut pour que les Communs y comprennent quoi que ce soit, ils avaient disparu, se fondant dans la végétation épineuse et les blocs rocheux voisins.

— Je crois qu’il est temps de rentrer faire notre rapport, murmura Eurydice.
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