Espoir

Les apparences sont parfois trompeuses. Pourquoi croyez-vous que les contes nous apprennent que le mal est toujours soit hideux, soit d'une beauté captivante mais froide. Tout ceci n'est qu'un artifice du mal lui-même pour vous rendre confiant et mieux vous tromper. Les choses ne sont jamais aussi simples. Le mal et le bien s'étendent au travers des hommes. Et ceux-ci ne sont ni beaux, ni laids. Il est une histoire, inconnue du monde qui narre ce qu'il fut et ce qu'il est. Que deviendra-t-il ? Ce n'est pas encore écrit. Le Livre ne se couvre d'encre qu'au fur et à mesure que les temps passent, ni avant, ni après.



La forêt était sombre malgré le soleil au zénith. Les arbres poussaient si près les uns des autres qu'on ne voyait que rarement la lumière traverser ses feuilles. Les sous-bois étaient remplis de ronces, de fougères et de buissons. Mais ce n'était pas un lieu de mort, au contraire. Ceux qui savaient regarder trouvaient des milliers d'indices prouvant que la vie foisonnait en ces terres. Cervidés, oiseaux, carnivores, proies, prédateurs tous se retrouvaient ici, se chassant les uns les autres sans relâche au nom de cette unique loi, manger ou être mangé. Et si l'on regardait plus attentivement encore on pouvait sentir la présence d'une espèce particulière. Pas vraiment animale, mais soumise aux mêmes instincts. Une troupe d'hommes se tenait ici. Ils ne faisaient pas de feu de peur d'alerter leurs ennemis, ils ne parlaient qu'à voix basse pour ne pas déranger la quiétude qui les protégeait. Une douzaine d'hommes en armure qui ne faisaient pas plus de bruit que le vent dans les branches.

Estel poussa un soupir las. En vain elle avait tenté de convaincre ses conseillers qu'elle avait raison. Mais ces vieux grisons et ces jeunes guerriers étaient plus habiles à se disputer qu'à écouter. Sans faire de bruit, elle se leva et quitta le conseil. Elle savait ce qu'il fallait faire et n'avait pas besoin de leur aval. Ces gens ne lui appartenaient pas, c'étaient des hommes que son père lui avait imposés. La politique ! N'était-ce pas ce contre quoi elle se battait ? C'était la politique qui détruisait les fermes et tuait tous ceux qui n'étaient pas capable de payer la dîme à une dizaine de gros porcs qui ne savaient que faire de leurs dix doigts ! Stupides pays ! Cela n'avait pas de sens, le monde n'était pas fait pour être divisé. Le monde était un !
Elle frôla l'écorce d'un chêne centenaire et leva les yeux vers la sagesse qui semblait se dégager de son cœur de bois. La forêt, la nature et les bêtes se fichaient bien de nos frontières. Le monde était un et elle, Estel, fille de la légende et du temps, fille de son Âge, allait le réunir pour lui apprendre la sagesse. Oui, même si pour cela elle devait faire quelque chose que la morale et les lois réprouvaient.

Derrière elle, des bruits discrets. Elle n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qu'ils la suivaient. Mais elle continua sa route. Elle se demandait si elle pouvait vraiment faire confiance à ces deux là. On dit communément que la parole a créé le mensonge. C'est faux. N'importe quel animal un tant soit peu intelligent sait mentir. Certains font le mort pour échapper à leurs ennemis, d'autres se parent de couleur vive pour faire croire qu'ils sont dangereux…les hommes ne sont pas aussi subtils. Si leurs paroles sont fausses, le langage du corps, chez eux, est souvent révélateur. Sauf, justement en ce qui concernait ces deux là. Essayer de comprendre ce que Xian et Xain pouvaient bien penser relevait à chercher autre chose que son reflet en regardant dans un miroir. Ils avaient l'étrange capacité de ne rien exprimer du tout ce qui faisait qu'enfin de compte, on finissait par se sonder soi-même. Il y avait en eux une force tranquille et aussi immuable que les montagnes qui rassurait toujours la jeune femme.

Estel continua sa ballade jusqu'à ce qu'un frêne attire son attention. Il n'avait rien de plus que les autres à part un creux entre deux racines qui l'invitait à s'asseoir. Ce qu'elle fit.
Elle n'eut pas longtemps à attendre. Les deux hommes apparurent peu de temps après et s'assirent sans plus de cérémonie à coté d'elle, sur la mousse. Estel les regarda un moment en silence. Les deux hommes étaient le vivant portrait l'un de l'autre. Ici comme ailleurs, les vrais jumeaux étaient rares et cette façon qu'ils avaient d'être toujours ensemble et de porter les mêmes habits les rendaient plus étrange encore. Mais ce qui détonnait le plus chez eux, c'était leur physique.
Estel était un pur produit du peuple qu'elle combattait. De taille moyenne, plutôt fine, elle avait la peau blanche, les lèvres rouges, les yeux bruns et de longs cheveux châtains légèrement ondulés qu'elle cachait dans un chignon pratique. Son visage était ovale et si elle était un peu trop athlétique pour être considérée comme une beauté, elle passait pour tout à fait jolie dans cette partie du monde.
Les jumeaux, eux, avaient la peau semblable à un vieux parchemin. Leurs yeux, d'un vert intense étaient allongés et pas plus épais que des grains de riz. Ils cachaient également leurs longs cheveux acajou dans des chignons serrés mais c'était plus par habitude que par commodité. Et ils étaient petits. A peine plus grand que celle qu'ils avaient suivit.

-Tu voulais…
-…nous voir ?

Commença Xian, laissant comme d'habitude son frère terminer la phrase. Estel sourit. Elle ne leur avait pas demandé de la suivre en sortant de la réunion. Mais Xain et Xian la connaissait bien et lui avait naturellement emboîté le pas. Parmi la douzaine de révoltés, de politiciens et de voyous qui composaient son "armée", elle ne faisait vraiment confiance qu'à ses deux lieutenants. Mais la confiance ne rendait pas les choses plus faciles, au contraire.

-Ils ne veulent rien entendre. Ils ne comprennent pas que c'est la SEULE solution ! Si nous n'agissons pas, alors la troupe du Sanglant va nous tomber dessus d'ici deux jours et tout sera perdu ! Ce monde est trop beau pour risquer d'échouer à cause d'une bande de mercenaire sans idéal ni patrie !

-On peut…
-…le faire si tu…
-…veux.

Estel n'essaya pas de deviner qui parlait. Aujourd'hui, ce genre de jeu n'avait plus d'importance. Elle jouait bien plus gros.

-Non, on ne doit pas aller contre les ordres du conseil.

Les deux hommes se levèrent alors et saluèrent sans un mot la jeune fille avant de s'enfoncer dans la forêt vers le camp du Sanglant. Estel sourit. Elle avait réussi son coup. Personne ne pouvait lui reprocher ce qu'elle venait de faire. Après tout, elle avait interdit aux deux guerriers d'y aller non ?
Elle se leva, fière d'elle mais un peu honteuse de ses artifices et retourna toujours seule, au campement. Derrière elle, aussi silencieuse et efficace que les jumeaux, la nature reprit ses droits. Personne n'aurait pu deviner que l'avenir du monde venait de se jouer ici.